Critique : Carnage

Nicolas Thys | 12 septembre 2011
Nicolas Thys | 12 septembre 2011

Michael Ritchie est à l'image de nombreux réalisateurs ayant faits leurs preuves dans les années 1970, l'homme d'une décennie. Voire même l'homme de trois films, tournés coup sur coup, après quoi il a disparu dans les limbes de la médiocrité cinématographique, ne revenant que par à coups, au détour d'une séquence réussie dans un film qu'on voit d'un œil afin de ne pas abîmer l'autre. Pourtant ces trois films, La Descente infernale, Prime cut et Votez McKay, sont la preuve d'un talent indéniable, et surtout d'une volonté de proposer un cinéma différent, de couper les ponts avec le classicisme et de s'aventurer vers une voie moderne et indépendante. Différente.

Prime cut est son second film pour le cinéma. Loin d'être parfait, il parvient à sublimer ses imperfections, essentiellement scénaristiques, pour jouer avec le paysage, la lumière et la violence naturelle d'un monde qui se décompose. Violence qui commence dès la première séquence dans un abattoir, leitmotiv d'une certaine époque, tous pays confondus. Annoncé dès 1949 par Franju et son Sang des bêtes, on se souvient de Maitresse de Barbet Schroeder (1975), de L'Année des treize lunes de R.W. Fassbinder (1978) ou de celui, moins cru peut-être, de Tobe Hopper dans Massacre à la tronçonneuse (1974). Réalisme d'une époque où la violence se lâche. L'homme est tué dans la fiction, les animaux finissent dans l'assiette pour de vrai. La mort en image, documentaire, difficilement supportable, montrée frontalement. Et dans Prime cut la chair humaine et l'animale se mêlent.

Cette idée va parcourir le film, l'homme n'est qu'une bête. Les femmes, viande élevée dans un orphelinat, sont mises dans des enclos pour une vente particulière et elles sont traitées comme des moins que rien à la solde d'hommes dépourvus de toute humanité et aux visages si marqués qu'ils semblent déformés et monstrueux. Les morts se succèdent, tous plus cruels les uns que les autres jusqu'au final étrange. Les séquences de bagarres parcourent le film, Gene Hackman et son frère se battent comme des chiens, pour s'amuser. L'humain est avili, animalisé et il se condamne. De plus, les acteurs masculins ne sont plus tout jeunes. Ils ont vécu mais leur vie est derrière eux et ils trainent un passé trouble dont on ne ramasse que des bribes. Tous sont des gangsters, des bandits avec plus ou moins d'honneur, et un travail à faire. Ils ont gagné, on ne les pourchasse plus, ils se flinguent entre eux.

La fête en est un bel exemple, où tous les individus se rangent automatiquement aux côtés de Gene Hackman, même quand ils ne savent pas qui sont ceux qu'on poursuit, ils ne les aiment pas. Ils chassent en meute et obéissent à un instinct vorace. Une nouvelle forme de cannibalisme.

Mais, au-delà des êtres déshumanisés, on sent la nature et sa toute puissance, son calme serein qui plane et contre laquelle nul ne peut aller. Réalisé en 1972, quelques séquences semblent aujourd'hui mystérieusement perdues entre La Mort aux trousses et son champ de blé où un solitaire Cary Grant cherche à échapper à une machinerie infernale, et les champs des Moissons du ciel de Malick, contemplatifs, qui n'engendrent pas d'action mais qui l'attendent. Les deux générations sont d'ailleurs présentes avec Lee Marvin, acteur old school et la jeune Sissy Spacek dans son premier vrai rôle au cinéma, un an avant La Balade sauvage du même Malick. La nature domine ici dans des paysages d'une Amérique profonde, loin des villes et des grattes-ciels mais elle n'appartient à personne. Personnage à part entière, elle se situe dans les deux dimensions précédemment décrites. Elle crée l'action et elle l'attend, ou l'anticipe avec cet étrange orage final qui recouvre le bleu de gris et modifie en un plan l'atmosphère générale du film.

Plus encore peut-être que son titre original, le titre français, Carnage, résume l'ensemble. Entre la carne, la chair, et le massacre qu'il annonce, il nous parle d'un cinéma, celui des 70's, et de ses radicales mutations d'avec l'ancien.

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