Critique : La Comtesse
Si Le portrait de Dorian Gray rencontrait Nouvelle cuisine chez Shekhar Kapur, cela donnerait sans doute un film de la trempe de La comtesse, nouveau long de Julie Delpy après le surprenant succès de 2 days in Paris. Ou l'histoire archi connue, sauf par l'auteur de ces lignes, d'une comtesse hongroise au coeur sec qui découvre - ou qui décide - que se baigner dans le sang de jeunes vierges lui permettra de combattre l'inflexion du temps sur son apparence physique, et donc de séduire durablement le jeune homme qui la fait chavirer. Delpy traite cette variation vampirique sur un mode résolument classique, composant des plans d'un sérieux absolu et comptant sur la seule puissance de son personnage principal pour injecter beaucoup d'étrangeté et de malaise dans le cadre.
Narrativement, le film se tient de façon impeccable. La manière qu'a Delpy de
croquer en quelques images la jeunesse de la comtesse, sans jamais s'appesantir
mais en levant juste assez le voile pour rendre le personnage fascinant, pose
dès le début les intentions de la cinéaste : rigueur et austérité. Le but étant
de coller au plus près de la personnalité de l'héroïne, que la caméra ne lâche
quasiment jamais, pour en suivre le cheminement intérieur sans pour autant
épouser aveuglément son point de vue. Lorsqu'il devient clair que Bathory est
sans doute en train de s'auto-persuader des effets miraculeux de cet étrange
remède, le film parvient à capter la distance idéale pour ne rien perdre de ses
états d'âme. Et c'est finalement dans cette direction que La comtesse réussit pleinement son coup, en dépeignant une
possible folie sans jamais vraiment la nommer ni la confirmer de façon certaine.
Le hic, c'est que tout cette affaire manque cruellement de chair et d'âme. Ce
film froid, pas ardent pour deux sous, est ancré dans un premier degré assez
lassant et s'enferme, malgré ce qu'il a à raconter, dans un classicisme un peu
trop éhonté. Extrêmement impliquée, mettant en scène et interprétant ce
personnage qui la captive, Julie Delpy semble manquer de recul sur tous les
plans. Sa prestation glaciale, d'une dureté absolue, a quelque chose de forcé
ou au contraire de pas assez poussé dans le côté désincarné de la comtesse.
Arrive un moment où un visage figé, aussi austère soit-il, n'est plus suffisant
pour mettre en valeur une personnalité aussi complexe. Marina De Van aurait
fait une incroyable comtesse Bathory et aurait également pu rendre le film plus
charnel et torturé que ce qu'il est en l'état, à savoir une oeuvre de façade,
engoncée dans son propre rigorisme, et passant à côté d'une grande réussite qui
lui tendait pourtant les bras.
Thomas Messias
Lecteurs
(4.0)