Firefly : critique

Zorg | 18 octobre 2005
Zorg | 18 octobre 2005

Firefly fait un peu figure d'ovni dans le paysage bigarré des séries télé de science-fiction.

Si vous êtes personnage d'un tel programme, vous pouvez au choix :

Faire partie d'une bande de joyeux boys-scouts déguisés en pyjamas flashys parcourant l'univers en long en large et en travers à bord de votre fidèle soucoupe pour maintenir l'ordre, distribuer le courrier et porter le nez de la civilisation sur des planètes où il n'y a pas d'eau pour le laver
Jouer les apprentis diplomates de l'espace avec des races aliens échappées du Muppet Show parlant des idiomes aussi intelligibles qu'un bilan comptable, tout en luttant pour restaurer la libre consommation des cuisses de grenouille dans la galaxie
Faire office de chair à canon dans une guerre intergalactique opposant les néo-communistes de la planète Glontrün IV aux robots anthropophages évadés de la Nébuleuse de L'Enclume Magique.

 

Les archétypes de la SF ont la vie dure, particulièrement à la télé. Et au milieu de tout ce décorum de marionnettes en plastoc, de décors de polystyrène, d'aliens aux formes improbables et de personnages vertueux et droits dans leurs combinaisons étanches, on retombe toujours plus ou moins sur la même chose. Sauf dans Firefly.
Même si elle n'évite pas pour autant certains thèmes récurrents de la science-fiction contemporaine, la série recèle des trésors d'inventivité. En plantant son chapiteau dans un contexte où les hommes règlent leurs comptes comme au bon vieux temps de la conquête de l'Ouest, Joss Whedon a fait plus que mélanger deux univers dissemblables. Il a renouvelé un genre qui avait bien besoin d'une bonne bouffée d'air frais tout en se dotant d'un monde totalement original.

Nous sommes donc quelques 500 ans dans le futur, et la galaxie est régie par « l‘Alliance », qui si ce n'est pas explicitement mentionné dans la série, s'avère être le résultat de la fusion entre les entités politiques américaines et chinoises (d'où l'influence sur le design, les costumes ou encore des personnages jurant en chinois). En dehors des planètes ultramodernes qu'on retrouve communément dans un monde futuriste, la conquête spatiale bat son plein. Et qui dit conquête, dit hommes livrés à eux-mêmes, colonisation, terraformation, bref frontière.
Ce mythe de la frontière entre civilisation et monde sauvage (ou libre, c'est vous qui voyez) est une source inépuisable d'histoires et de thèmes qui font chaud au cœur de l'américain épris d'aventure. Injecté dans un univers futuriste où les villages sont remplacés par des lunes ou des planètes et où la diligence est un vaisseau spatial, les possibilités sont infinies. De plus, au delà de l'aspect purement matériel (squatter une vallée californienne pour refaire Rio Bravo, c'est pratique et pas cher), c'est réellement cet élément cardinal de la conquête de l'Ouest qui donne à Firefly son caractère si particulier.

 


En se penchant sur les aspects plus concrets qui contribuent au caractère unique de la série, on retrouve pêle-mêle :
De la musique folk / country en lieu et place des thèmes pétaradants inhérents au genre (quand ce n'est pas de la vocalise éthérée vers l'infini et l'au-delà made in Jerry Goldmsith style « Aaaaah-aaaaaah Aaaaah Aaaaaah-aaaaaaaaaaaaah »). Sans parler du thème de la série, écrit par Joss Whedon (oui, oui, il est partout).
Un style visuel assez innovant pour les images de synthèse de vaisseaux spatiaux, façon pris sur le vif par une équipe de tournage (crash zoom, focalisation à retardement, tremblotements…).
Un design d'ensemble tout à fait original, à commencer par le vaisseau Serenity, version mécanisée d'un insecte bioluminescent.
Pas de bruit dans l'espace (un détail qui peut paraître anodin mais qui a son importance).
Pas de bestioles ni d'aliens exotiques contrairement à la plupart des séries de science-fiction.

 

Mais tout ce melting pot d'hyperdrives, de selles de chevaux et de boudoirs chinois n'aurait pas grand intérêt sans des personnages à la hauteur et surtout une histoire qui tienne la route. Fort heureusement, c'est carton plein de ce côté là. Pour preuve, le personnage central est un antihéros manifeste, pas toujours très aimable, en lutte avec le pouvoir, qui n'hésite pas à voler, ni même à tuer, pour assurer sa propre subsistance, et qui s'attire les pires emmerdes de la galaxie avec une régularité qui force l'admiration. Il s'est entouré d'une bande de fidèles compagnons, au moins aussi looser que lui pour certains, et à bord de leur poubelle de l'espace, ils volent ensemble de jobs minables en rapines pouilleuses à la recherche d'une revanche sur l'existence. Voilà pour le portrait de groupe (plus de détails dans la galerie des personnages). Histoire de se simplifier la tâche, ils héritent de surcroît lors du pilote de plusieurs passagers dont certains s'avèrent particulièrement recherchés par le gouvernement.

Cependant, il ne faut pas noircir excessivement le trait. Certes, les héros sont des hors-la-loi, mais, bien évidemment, des hors-la-loi au grand cœur. Il leur arrive plus souvent de jouer à Robin des bois ou aux Sept mercenaires qu'aux Dalton ou aux Frères James. Un point qui n'est pas sans rappeler la vénérable Agence tous risques, les bricolages en moins. Après tout, ce n'est pas parce qu'on a les men in black du gouvernement au cul que l'on est pour autant dépourvu de toute moralité.

Comme pour bien d'autres séries de ce genre, une partie de l'intérêt repose sur cette alternance entre épisodes liés à la trame principale et histoires autonomes. Cependant, si la balance s'équilibre plutôt bien, chaque épisode apporte tout de même son lot de révélations sur les personnages, leur passé, leur psychologie. Malheureusement, à l'inverse des autres séries de Joss Whedon, Angel et Buffy, où les protagonistes ont subi de profondes évolutions au fil des années, Fireflyn'a pas vécu assez longtemps pour avoir l'opportunité d'approfondir et développer les siens. Un constat d'autant plus regrettable que la dynamique entre les personnages est particulièrement bien huilée. Le groupe est d'une homogénéité rare, grâce à la « Whedon's Touch » si l'on peut dire, tandis que les comédiens, parfaitement à l'aise dans leurs baskets, s'entendent visiblement à merveille. Résultat, même si certains épisodes s'avèrent un peu lents et bavards, les répliques fusent et font presque toujours mouche.

 

D'une manière générale, les épisodes les plus significatifs et les plus enthousiasmants sont ceux écrits et réalisés par Joss Whedon lui-même. On le retrouve aux manettes sur cinq d'entre eux, dont le pilote, et surtout l'ultime épisode, Objects In Space (Objet volant identifié, traduction barbare et dénaturant la signification réelle de l'épisode soit dit en passant ), sans conteste le meilleur de toute la série. Tim Minear, son collaborateur de longue date sur Angel, et créateur des séries à courte espérance de vie Wonderfalls et plus récemment The Inside (deux autres shows sacrifiés par FOX sur l'autel de l'audimat), hérite quant à lui de la médaille d'argent pour son travail sur les épisodes les plus sombres de Firefly, avec notamment l'excellent Out of gas (La Panne).

 

Résumé

En dépit de sa mort prématurée, Firefly reste une série très dense, même s'il est difficile de dire si elle aurait tenu le choc sur la durée. Cependant, connaissant la capacité de Whedon à planifier ses intrigues avec plusieurs saisons d'avance tout en faisant évoluer ses personnages en profondeur (il suffit de regarder la 4e saison d'Angel pour s'en convaincre), on peut affirmer sans prendre trop de risques qu'avec un peu de temps devant lui, il aurait pu, si ce n'est faire de grandes choses, du moins nous offrir un show tout à fait épatant et dans la lignée de ses glorieux prédécesseurs.

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