Critique : Deux en un

Par Didier Verdurand
31 août 2004
MAJ : 18 septembre 2018
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Les frères Farrelly ne sont pas que des bouffons dont le but est de faire rire : devenus maître en l’art, ils n’avaient plus rien à prouver dans ce domaine. Dumb & Dumber est devenu un classique burlesque culte, avec un Jim Carrey jubilatoire et inimitable. Kingpin, honteusement inédit en salles chez nous, a offert à Woody Harrelson le rôle le plus comique de sa carrière. Mary à tout prix a triomphé sur la planète, rapportant 365 millions de dollars. Fous d’Irène, peut-être plus inégal, propose un Jim Carrey à l’interprétation forçant à nouveau l’admiration. Jamais d’ailleurs un autre réalisateur n’a pu catalyser d’aussi belle manière le potentiel comique exceptionnel de ce comédien hors norme. Osmosis Jones est probablement leur seul faux pas : mêlant animation et prises de vue réelles, ce délire très original lui aussi n’a pas convaincu, et reste leur seul bide au box-office. L’Amour extra large marquait le début d’un virage qui se confirme : pour la première fois, l’émotion faisait son apparition et l’humour n’était pas aussi présent que dans leurs précédents films – ce long métrage nous offrant tout de même au passage quelques moments d’anthologie. Dans Deux en un, la démarche est identique : rires garantis, mais avec obligation d’aller plus loin en s’attachant à des personnages et à leur histoire, délivrant au passage une petite leçon d’humanité, rare dans les comédies actuelles.

Après Gwyneth Paltrow et son obésité touchant bon nombre de spectateurs (américains du moins), le pari devient cette fois-ci plus osé. À part dans le légendaire Freaks de Tod Browning et Les frères Falls de Michael Polish, avait-on le souvenir d’avoir vu des frères siamois sur grand écran ? La clé de la réussite devait naturellement passer par un casting bien choisi, et si les deux acteurs principaux retenus pouvaient surprendre par leur choix, il faut se rendre à l’évidence : Matt Damon et Greg Kinnear sont irréprochables. Liés physiquement jusqu’à 14 heures tout au long de journées de tournage, sans jamais tomber dans la caricature grotesque, ils réussissent le tour de force de faire croire en leurs personnages, de les rendre attachants. Le quota de rires est largement respecté, mais le scénario des Farrelly va largement plus loin, jusqu’à créer une immense sympathie à leur égard. Si Matt Damon est très populaire en France, ce n’est pas encore le cas de Greg Kinnear, bien souvent sous-exploité dans le cinéma, et qui trouve parmi ses nombreuses scènes un numéro de comédie musicale mémorable. Les seconds rôles sont tout droit sortis de la galerie Farrelly : Cher s’autoparodie en jouant son propre rôle, celui d’une star médisante et calculatrice, obsédée par sa carrière et affublée d’une assistante muette la suivant comme son ombre. Eva Mendes, sortie de Desperado 2 et 2 Fast 2 Furious, commence à faire miroiter ses réelles capacités, tandis que Seymour Cassel se montre surprenant en agent raté (qui mène les deux frères sur un film porno…). Griffin Dune est complètement dépassé en réalisateur de sitcom, et pour finir on retrouve en guest star non créditée la toujours étonnante Meryl Streep, visiblement heureuse pour une fois de se retrouver autre part que dans un drame. C’est sans oublier les comédiens inconnus, dont un, mentalement atteint, qui a l’honneur de nous faire part de ses remerciements lors du générique de fin. Moment extrêment touchant, qui montre une bonne fois pour toutes que, derrière la farce, les Farrelly délivrent un message de tolérance, lancé comme une brique dans la flaque d’eau hollywoodienne.

C’est la principale raison pour laquelle Deux en un n’est pas aussi hilarant qu’on pourrait l’imaginer sur le papier. Les réalisateurs ont écarté toute moquerie méprisante en offrant aux frères siamois des attitudes de vainqueurs, mettant tout en œuvre pour dépasser les préjugés. Certes, une gentille naïveté pleine d’utopie règne ici, mais le but de ce conte surréaliste n’est autre que de faire rire « sainement ». Destiné à un public habitué aux blagues trop faciles des comédies dérivées de Mary à tout prix (les American Pie et consorts… ), Deux en un s’impose de ne jamais manquer de respect envers son sujet, se lançant le pari de faire évoluer grâce au rire la mentalité de son audience. Un acte noble en soi, qui mérite d’être grandement salué.

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