Zodiac : critique labyrinthique

Flore Geffroy | 19 septembre 2021
Flore Geffroy | 19 septembre 2021

Zodiac, ce soir à 20h55 sur Arte.

Peu importe si la fin et l'énigme non résolue de cette enquête inspirée de faits réels, sont connus dès le début : Zodiac est palpitant et captivant. L'histoire, donc, narre comment à la toute fin des années 60, un tueur en série a écumé la région de San Francisco et échappé à la police pendant 22 ans. A ce jour, le malsain meurtrier n'a toujours pas été authentifié avec certitude et encore moins arrêté. Une formule un peu classique en théorie, sauf que Zodiac est réalisé par David Fincher, porté par un casting quatre étoiles (Jake GyllenhaalRobert Downey Jr.Mark Ruffalo), et mené avec brio.

DANGEROUS METHOD

On pouvait craindre un film trop propre sur le papier, parfaitement calibré et survendu sur une équipe de luxe. Zodiac, film suspect de prime abord donc : un casting aux petits oignons, une histoire tirée d'un des ouvrages écrits par l'un des protagonistes de l'affaire, et un réalisateur à peu près irréprochable. David Fincher est tout de même le cinéaste et demi-dieu derrière Alien 3, Seven, The Game et Fight Club.

En 2007, il a été absent depuis plusieurs années, pour la première fois de sa carrière très active dans les années 90. Panic Room a été son premier film du nouveau millénaire, et si ce pur exercice de style lui a permis de marier son style aux possibilités technologiques récentes, le film avec Jodie Foster est aussitôt considéré comme moindre parmi ses précédents coups d'éclat.

 

Photo Mark RuffaloThat 70's Show

 

Le vertigineux, éprouvant et extrême Zodiac est donc certainement né de ce réveil, et le thriller ouvrira la deuxième partie de sa carrière, depuis illuminée par The Social Network ou Gone Girl. Fincher devait un temps s'intéresser à un autre cauchemar bien américain avec Le Dahlia noir, finalement récupéré par Brian De Palma. Il préfèrera finalement le tueur du Zodiaque, lié à son imaginaire d'enfant puisqu'il a grandi dans les années 70, dans une Californie hantée par ces crimes. Il racontera notamment se souvenir que son bus scolaire était surveillé par les policiers, suite aux menaces du soi-disant Zodiaque de massacrer des enfants. "C'était l'ultime Boogeyman pour moi", dira le cinéaste.

Il y aura ensuite un travail de recherche approfondi, avec des mois d'interviews et décryptages pour déconstruire le mythe du Zodiaque, Fincher souhaitant mettre en avant le réel, avec Les Hommes du président de Pakula en inspiration première. Puis la quête du bon studio, prêt à soutenir un projet si dense, si extrême. Fincher, avec le scénariste James Vanderbilt et le producteur Bradley J. Fischer, diront à MGM, qui voulait réduire la durée du film à 2h15 max. Il faudra l'accord des géants Warner Bros. et Paramount Pictures pour lancer la machine, avec un budget très modeste de 65 millions.

 

Photo Jake Gyllenhaal, Robert Downey Jr.Gorge serrée et profonds abysses

 

SAINTE TRINITÉ

Au-delà de la seule narration linéaire, le réalisateur axe, pendant deux heures quarante haletantes quasiment de bout en bout, la substantifique moelle qui métamorphose un thriller de bonne qualité en fiction quasi documentaire. Cette substantifique moelle, ce sont les trois personnages dont la vie sera durablement bouleversée à cause de ce Zodiac qui signe ses meurtres et les lettres  - parfois cryptées - qu'il envoie à la police et à la presse.

Il y a d'abord Dave Toschi (Mark Ruffalo, parfait), flic de San Francisco qui passe ses jours, ses nuits, sa vie, à traquer sans relâche l'insaisissable. Il y a Robert Graysmith, jeune caricaturiste politique au San Francisco Chronicle, dont l'intérêt premier pour l'affaire vire à l'obsession personnelle. Graysmith refera l'enquête, chien renifleur, pisteur et traqueur, écrira deux livres minutieux sur l'affaire (Zodiac en 1986 et Zodiac Unmasked en 2002), dont le scénario du film est très largement inspiré.

Jake Gyllenhaal ne joue pas à être Graysmith : il le vit. Dans ses hésitations. Dans son obstination. Dans sa quête de la vérité. Il en est touchant, car tout en fragilités dans dans son entêtante détermination.

La plus grosse surprise vient pourtant de Robert Downey Jr., qui habite littéralement la peau de Paul Avery, alors reporter aux faits divers du San Francisco Chronicle. Électron libre en quête du scoop, désabusé, sûr de lui, caractériel, Avery noyait sa solitude de loup dans l'alcool et le cynisme. Juste avant Iron Man mais après un Kiss Kiss, Bang Bang qui l'avait définitivement ramené sur le devant de la scène, l'acteur est épatant de naturel, de conviction, avec sa barbichette et ses vestes aux couleurs incongrues dans un monde de costards-cravates gris. Dans tous les cas, c'est un trio en or.

 

Photo Robert Downey Jr.Paper Man

 

LUMIÈRES SUR LES TÉNÈBRES

D'un point de vue plus technique, la reconstitution des années 70 est un régal. On se plonge avec délice dans une salle de rédaction où les bons gros téléphones potelés trônaient sur des bureaux verts de gris, à côté de machines à écrire préhistoriques et où le courrier n'arrivait pas du tout électroniquement. Les rues de San Francisco abritent des voitures à la beauté fanée.

Et surtout, surtout, Zodiac est visuellement splendide, et provoque des sensations fantastiques. S'alternent à l'écran ombres et lumières, nuit et jour, noir et brun orangé, comme avant un orage. Fincher retrouver le directeur de la photographe de The Game, Harris Savides, qui avait depuis tracé une belle route auprès de James Gray (The Yards) et surtout Gus Van Sant (Gerry, Elephant et Last Days). Entre les ténèbres tragiques du premier, et la clarté aveuglante du deuxième, Zodiac baigne dans une ambiance unique en son genre.

Le réalisateur voulait une image moins stylisée, aux antipodes de Seven, avec le travail du directeur de la photo Darius Khondji. Son utilisation du numérique en haute définition (sauf pour certains plans, notamment au ralenti), loin de l'amour presque fétichiste de la pellicule, a marqué les esprits, dans un élan de modernité radical presque. Et malgré cette approche plus sobre, Zodiac reste truffé de moments de mise en scène bluffants, d'un plan aérien accroché à un véhicule, jusqu'à de captivants travellings faussement tranquilles.

 

PhotoNumériquement vôtre

 

Zodiac ne prétend pas détenir la vérité sur une enquête toujours ouverte à ce jour, et qui semble destinée à rester une énigme à jamais. En se basant sur quantités de faits, de preuves, d'écrits et témoignages, le film présente une vision de l'affaire, laissant le spectateur s'y plonger, s'y perdre, et essayer de s'y retrouver.

Mais le film va au-delà de l'enquête elle-même en croisant les existences de trois individus liés malgré eux au sordide de meurtres en série ; liés aussi par un besoin quasi impérieux de justice. Malgré eux. Il y a dans cette quête, presque désespérée à force d'être vaine, comme le désir latent et inavoué d'un monde meilleur. Avec Zodiac, le meilleur du thriller et du polar se jumelle. 

 

Affiche officielle

Résumé

Un très grand film de David Fincher, et un très grand film tout court.

Autre avis Geoffrey Crété
Le style de David Fincher se dilue sans se perdre dans ce film d'enquête riche, vertigineux, d'une efficacité redoutable, dont l'absence de fausse note en fait une réussite éclatante.
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Lecteurs

(4.6)

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commentaires
Kyle Reese
20/09/2021 à 15:09

Revu et très bon film de FIncher grâce à son ambiance et effectivement le scénario qui mixe l’enquête officielle avec le livre de l'ex dessinateur. Et tout ça pour ... rien au final. Un suspect que tout désigne mais que les éléments concrets recueillis tout du long par la police et les experts ne peuvent incriminer. Il semblerai bien que ce Lee inquiétant qui a tout du profil n'était pas le Zodiac. Le sérial killer est surement mort aujourd'hui et à moins d'une découverte de preuves inattendue quelque part dans un sous sol de Californie (pourtant rare) on ne saura jamais qui il était. Sinon j'ai l'impression qu'il n'y aura plus de sérial killer avec un nombre important de meurtre avec la technologie d'aujourd'hui dans les pays à la pointe niveau police. Et ça c'est quand même une bonne nouvelle.

sylvinception
20/09/2021 à 13:04

Je suis fan inconditionnel de Fincher, et pour moi, même s'il reste un grand film, Zodiac n'arrive clairement pas à la cheville de Seven, Gone Girl ou The Social Network (dans un autre genre).
Le soit-disant point fort du film est également pour moi son gros point faible : 2h30... qui ne passent vraiment pas vite, au point d'en paraitre le double.

pith
20/09/2021 à 08:20

Clairement le meilleur film de Fincher.

CHFAB
27/11/2020 à 16:41

Personne ne l'a dit ici, mais il faut louer les qualités incroyables du scénario, dont le terreau réel est tout bonnement ahurissant, pour cette enquête sur plus de 30 ans (!); et avec des rebondissements encore il y a quelques années, malheureusement non concluants... Avec le phénomène Charles Manson, le tueur au Zodiac est l'évènement qui précipite la fin des années 60 dans la noirceur, le désenchantement et la violence, notamment dans le cinéma. Fincher a choisi la nuance, le trouble, l'érosion sociale, la lenteur et l'élégance pour ce film extraordinaire, qui reste si longtemps en mémoire. et grâce à cet article je viens de découvrir qu'il existe un director's cut?!?!? un cade

Xprocessor
21/11/2020 à 14:25

Film absolument splendide qui marque l'entrée de Fincher dans un style... disons... plus ... classique.. avec une atmosphère étrange et presque suffocante parfois... et une photographie moins criante et plus empreinte de l'époque pendant laquelle se déroule l'enquête... Une très belle retranscription que l'on retrouve dans le magnifique Benjamin Button mais aussi dans la série Mindhunter... Fincher est devenu grand avec ce film...

douds17
20/11/2020 à 19:58

Presque entièrement d'accord avec vous !
Car NON, 65 millions de dollars pour un film sur un tueur de série, ce n'est pas "très modeste" ! Même à Hollywood !

De Passage
20/11/2020 à 15:55

Un très bon docu-film dont il manque un petit quelque chose qui donnerait envie de le voir plusieurs fois.

ocani
20/11/2020 à 11:06

@Phiphi72: tout à fait d'accord avec le director's cut, il est sublime.

Deny
20/11/2020 à 02:53

Étonnè de voir autant d'avis positif dans ce film assez classique aux enjeux très minces. C'est un bon film, mais un chef d’œuvre est exagéré pour ma part. Je préfère, de loin, Gone girl.et bien sur le génial Fight Club le meilleur film de Fincher.


19/11/2020 à 23:34

Comment je kiffouille ce film quelle beauté. C'est fou, autour de moi, ma femme compris, tout le monde trouve ce film chiant. Moi je le trouve magistrale. Du coup, je me pignole seul dans mon coin en louant St Fincher (oui même Alien 3 et alors...).

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