L’Empire : critique du Star Wars de Bruno Dumont

Mathieu Jaborska | 22 février 2024 - MAJ : 22/02/2024 14:34
Mathieu Jaborska | 22 février 2024 - MAJ : 22/02/2024 14:34

Après un détour par les grandes chaines d'information de France, le singulier cinéaste Bruno Dumont retourne sur la cote d'opale... pour y faire un Star Wars local, avec sabres laser, cathédrales spatiales, Fabrice LuchiniCamille CottinLyna Khoudri et Anamaria Vartolomei. Peut-être plus encore que ses derniers films, L’Empire exaspérera ses détracteurs, passionnera ses défenseurs, décontenancera quiconque était préservé de son univers et s'imaginait découvrir une banale parodie de space opera.

Beyond good and evil

Comme toujours, pour qui ne connaitrait pas Bruno Dumont, l'expérience risque d'être au mieux déstabilisante. Son cinéma est souvent porté aux nues au nom d'une tradition critique très française, dans la lignée de la politique des auteurs. Ses films font toujours preuve d'une indéniable originalité, qu'importe le genre abordé (le drame, puis la comédie grotesque). L'Empire serait bel et bien un film dit "de genre" si le cinéaste n'utilisait pas la mythologie du space opera et plus précisément de Star Wars pour entretenir son propre système. D'ailleurs, il expliquait sur France Inter qu'il constituait presque un prequel à son premier long-métrage, La Vie de Jésus.

Tout est là, donc : le nord et ses habitants, tournés en dérision en permanence, une photographie blafarde, des comédiens dirigés à l'oreillette, un Fabrice Luchini qui cabotine comme si sa vie en dépendait, un montage qui fait durer chaque plan juste assez longtemps pour instaurer le malaise, des acteurs non professionnels qui jouent mal et imposent une diction rare au cinéma. Mais aussi un vaisseau spatial en forme de Sainte Chappelle, un enfant antéchrist et une bataille secrète entre les un et les zéros, entre le bien et le mal, qui fait rage secrètement dans un petit village de la côte d'opale.

 

L’empire : Une bande-annonce WTF pour le Star Wars français et ça a l'air complètement déjantéEt le boulonnais serait Tatouine : logique

 

Ce qui intéresse Dumont dans Star Wars et ses rejetons, c'est leur manichéisme, une grille de lecture qu'il peut apposer sur sa traditionnelle galerie de personnages gauches. Ce qui pourrait ressembler à un Under the skin du terroir (les extra-terrestres s'incarnent dans des corps d'humain et apprennent à appréhender leurs sentiments) vire à la réflexion plus morale qu'existentielle sur la nature humaine, d'où le lien avec la première partie de sa filmographie. La guerre des étoiles impose de s'aligner sur un modèle littéralement binaire, par conséquent très contemporain. C'est en faisant l'expérience de l'humanité que les zéros, mais surtout les uns, découvrent un entre-deux plus nuancé.

Lui qu'on accuse souvent de misanthropie, il affirme son attachement à ses semblables en les opposant à un absolutisme artificiel, voué à s'autodétruire. Tandis que notre espèce, symbolisée notamment par le duo de gendarmes issus de P'tit Quinquin, tirerait de ses faiblesses et de ses affects la clé de sa survie. Pour l'auteur, le genre n'est qu'un outil de plus dans une caisse déjà bien remplie.

 

L’empire : photo, Fabrice Luchini"Les extrêmes se rejoignent"

 

Le moindre mal

L'Empire ne serait dès lors qu'une nouvelle satire grotesque (tous les potards du Z et du malaise sont poussés à fond), que certains ont d'ailleurs vu comme une énième émanation culturelle de l'extrême-centrisme politique : les fascistes de l'espace vaudraient finalement presque autant que les garants utopistes de la bonne morale à l'ère numérique, tous très différents des "vraies gens" évoluant entre les deux sans trop se poser de questions. D'autant que le personnage d'héroïne du bien joué par Anamaria Vartolomei se surprend à abandonner ses idéaux lorsque son ennemi juré l'attrape vulgairement par les hanches...

Toutefois, comme Ma Loute n'était pas seulement une description outrée de la lutte des classes et France n'était pas seulement une critique rentre-dedans du modèle médiatique français, L'Empire est moins simpliste que ça. En effet, la plupart de ses personnages, qu'ils improvisent leurs répliques sur demande instantanée de Dumont ou laissent apparaitre la facticité d'un jeu pourtant bien sincère, n'ont pour ainsi dire pas de valeur.

 

L’empire : photoDernier contact

 

Ils traversent le récit, se contentent d'exister et d'interagir maladroitement. Et même lorsqu'ils agissent, ça n'aboutit à rien, qu'il soit question d'oeuvrer pour leur camp ou de concrétiser une histoire d'amour. Ils vivent, c'est tout, de plus en plus loin des sophistications vides des grands monuments faisant office de vaisseaux spatiaux.

Est-ce la marque d'un mépris général ou d'une empathie philosophique ? La critique française, comme à chaque fois, se chargera d'en débattre, en fonction de son école. Pour les inconditionnels de la figure de l'auteur, L'Empire est assurément un ajout intéressant à la filmographie de Dumont, explicitant son rapport à la représentation de la morale humaine. Ecran Large, fruit d'une culture numérique qui semble ne pas lui plaire et adepte d'une cinéphilie du genre, ne peut s'empêcher d'objecter qu'il rabaisse la science-fiction populaire au rang de simple artifice, incapable de subtilité.

 

L’empire : Affiche officielle

Résumé

Quand Bruno Dumont pastiche la science-fiction populaire, c'est uniquement pour lui opposer sa vision d'une humanité fluctuante, spontanée. Au bénéfice d'une poésie grotesque ? Au prix d'un mépris du genre et de la conscience politique de ses sujets ? Nous-mêmes n'en sommes toujours pas certains.

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Lecteurs

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commentaires
Marc en Rage
14/03/2024 à 17:02

@Le vieux matou

Je n'ai vu que la bande annonce de l'Empire et c'est déjà trop ! MON SENS CRITIQUE ME DIT NON C'EST HORRIBLE !!!
J'ai vu 3 fois DUNE 2 et on est devant un film époustouflant un film pour le grand Ecran du vrai CINEMA

Le vieux matou
12/03/2024 à 23:11

UN NAVET DU PLUS BEL EFFET!!! Allez voir la bande annonce du film! C’est fait? Eh bien vous venez de visionner les scènes les plus marquantes du film! Ce film est tout juste bon pour servir de fond sonore à l’épluchage de pommes de terre, par exemple! Quant au combat entre le bien et le mal que vous pouvez découvrir au degré des pâquerettes,,il est d’un ennui tel que pendant 5 bonnes minutes, je me suis assoupi, Un navet, vous dis-je! Gardez vos sous pour un vrai film...

Sanchez
06/03/2024 à 16:01

@no one is innocent
Analyse très intéressante. J’imagine qu’il y a une volonté autre de la part de Dumont de mettre les 2 nanas à moitié a poils que ce que vous y’en analysez mais j’avoue je vois pas trop pour l’instant

No one is innocent
03/03/2024 à 14:13

Que symbolise le mal dans ce film ? C'est très simple. Il suffit de noter ce que font les mauvais. Ils ne tuent pas gratuitement ou n'exploitent personne. Ils "baisent" sans avoir forcément des sentiments (sans être non plus des violeurs ou des libertins ; n'imaginez pas que vous allez voir un Fellini mais plutôt une sorte de Camping 4 métaphysique). Le bien, que fait-il ? Il combat le mal (donc ceux qui baisent sans avoir de sentiments). Le bien, c'est l'amour (au sens romantique du terme). La jeune femme qui représente le bien finit par tomber amoureuse du jeune homme qui représente le mal. Elle veut lui faire avouer qu'il a des sentiments (à cause de sa condition humaine). Lui qui lui a fait reconnaître qu'elle a un corps dont elle peut jouir (à cause de sa condition humaine). A la fin, le mal et le bien fusionne. Moralité : on peut avoir des sentiments et aimer se faire plaisir (vive pour cette raison l'humanité) ; il ne faut pas opposer l'amour et les plaisirs de la chair ou encore tout réduire à l'un ou à l'autre (tout n'est pas 1 ou 0, noir ou blanc, etc.). En bref, la morale générale du film se veut bon enfant. Là où le bas blesse (en dehors du jeu des acteurs catastrophiques), c'est :

(1) les villageois sont tous filmés comme des taiseux ou des ploucs. Ils sont quand même désignés comme "attachants". Bref, cela fait un peu penser à du racisme positif à la Tintin (le gentil noir "ki parl' com' ça banana blan"). Sauf qu'ici, ce n'est pas les noirs qui sont visés, mais les provinciaux (et plus exactement les habitants d'un petit village-lotissement). Qu'ils sont sympathiques ces gens de la campagne tout de même ! Qu'ils sont authentiques ! Meulle Diou !

(2) les jeunes femmes (il y en a 2, cela facilite l'analyse) se promènent à moitié à poil (ce qui n'est pas le cas des jeunes hommes) ou dans des tenues moulantes. Elles sont irrésistiblement attirées par le méchant (la gentille finira même par en tomber amoureux). Bref, une jeune femme, c'est soit une dévergondée, soit une sainte nitouche à la Lara Croft. Tant tous les cas, la femme, c'est "ce qui fait bander" (le cul de l'actrice jouant la gentille devient une obsession du méchant et du réalisateur manifestement). C'est un objet exclusivement sexuel. Et si elle résiste, il ne faut pas hésiter à lui saisir la main et à la plaquer sur le sexe de l'homme. Car au fond, les jeunes femmes n'attendent que cela, d'être harcelée, c'est bien connu ! Faisons découvrir les plaisirs de la chair en les forçant un peu, cela ne peut pas faire de mal (c'est de l'ironie, je précise) ! A qu'il était bon le temps où elles fermaient leurs gueules ! La baise ou le féminisme, faut choisir ! C'est navrant de voir ce genre d'idées encore propagées de nos jours...

(3) Il y a un handicapé dans le film (le commandant) mais qui est filmé comme un débile et dont le seul but est de faire rire (il est accompagné d'un andouille pour y parvenir).

Bref, un film parti d'une bonne intention (quelques jolies images de la campagne tout de même), mais qui n'est qu'un nanar. Apparemment, ce n'est pas grave d'après ce que je lis : même si personne ne va le voir, il est déjà rentable (j'aurais dû faire cinéaste d'Etat). Peu importe, son tort n'est pas d'être un mauvais film qui veut se donner un genre "j'ai fait exprès d'être un mauvais film" (on est loin d'une vraie parodie réellement marrante comme la Cité de la peur). C'est vrai que vous allez perdre quelques euros en allant le voir (je l'ai fait, on ne m'y reprendra plus). Non, le plus agaçant, pour moi, c'est le discours sur la femme, les handicapés et les gentils ploucs de province. Bref, un film réactionnaire dans son message, quoi qu'en dise son réalisateur ou ses défenseurs (qui évitent soigneusement de parler de la manière dont ces minorités sont traitées ; en ont-ils même conscience ?), car ce n'est pas l'intention du message qui fait le message, mais ce qui est écrit dedans.

Marc Le seul
03/03/2024 à 02:37

C est amusant 2 minutes les gens quk copient mon pseudo, mais la stop maintenant.

surtout si votre seul arguemrnt c est de dire que le film il est pas tres bien,sans dire pourquoi.

alors que moi je dis que le film il est bien tres bien. et quand je l aurais vu, moi je saurais dire pourquoi il est bien.

Sanchez
27/02/2024 à 12:33

Un dumont très bon cru , il ne fait rien comme les autres. Toujours ce cocktail de plans magnifiques , de fond flou et de ridicule assumé, cest extrêmement rafraîchissant. La plus belle blague du film, c’est que les effets spéciaux et les plans de l’espace sont bcp mieux fait que dans n’importe quel Marvel ou autre Snyder , alors qu’on est chez Bruno Dumont. Toujours un bonheur de voir ces acteurs non professionnels extrêmement touchants, et on a cette révélation Annamaria Vartolomei (quel nom!) que Dumont ne filme pas qu’à 5 cm de son visage comme Audrey Diwan.
Pour en revenir aux propos de la pénible Adèle Heanel, effectivement on peut faire une lecture sexiste du film , et j’avoue ne pas avoir compris où il voulait en venir avec ses 2 actrices principale qui ne balade à moitié à poils. Mais un film raciste ?? Parce qu’il n’y aurait que des blancs ? A ce moment là Justine Triet fait parti du Ku Klux Klan ! On n’accuse pas des gens de racisme aussi gratuitement. Ne reviens pas Adèle merci !

Jokov
25/02/2024 à 12:19

@Fliflu2

Entre la note et le résumé, t'as un texte entier. C'est ce qu'on appelle une critique. C'est pas là pour te dire quoi faire, ça donne une opinion. Et parfois, c'est ni 0/5 ni 5/5, et c'est entre les deux. Cela signifie que le film est moyen.

Fliflu2
25/02/2024 à 11:42

Il est bon ou pas ce film?2,5 étoiles et le commentaire final ne dit pas quoi faire...


25/02/2024 à 01:42

Oui enfin, le public a le droit le plus strict de donner son avis de profane de la façon dont il le souhaite. Je ne supporte pas cet élitisme a deux balles qui supposerait que les fanatiques du cinema seraient les seuls a avoir un avis Sage sous prétexte qu'ils connaitraient une histoire du cinéma.

Si beaucoup sont si radicaux quant au cinema Français, c'est peut-être parceque la méthode de financement casse quand meme pas mal de chose dans les realisations. Dumont, ou les autres, ils s'en foutent absolument que leurs films fassent 3 entrés et reste en salle 2 semaines. Le film il est déjà rentable. Les credits sont donnés par les banque direct car dans tous les cas, les credit impôts gérés par le CNC sont present. Ensuite a chaque fois des regions s'y mettent aussi, a cela s'ajoute les investisseurs étranger, les chaines de TV,etc Bref dès que le film sort en salle, il est rentable d'une certaine manière. Le cinema dependant de l'argent public, ça explique certains "partis pris" qui ne serait jamais fait a l'étranger.

Jarmush, baker, Coppola (fille), Reichard, etc,.. Eux s'ils se plantent et font pas d'entrer, cela va être difficile de continuer. En France, il y a des Real qui enchainent les nullités sans aucun complexe (je ne vise pas forcément Dumont, bien que...)

Pour finir, meme si les com' sont un peu énervé, je rejoins parfaitement ceux qui disent que voir une BA qui nous montre des décotés plongeant, des fesses et un Luchini qui surjoue, ça donne pas envie et ca donne le ton... De toute façon, je le répète, ils n'ont pas besoin de notre fric. Le financement du cinéma français se fait pas via les guichets, mais par le prélèvement a la source. J'ai deja payé.

Que ce soit clair, je ne rejette pas tout le cinéma francais. J'ai des real que j'aime beaucoup. Mais quand meme, il n'y a qu'en France qu'on peut se tapper deux remake de la guerre de boutons a cause de conflits intérêt et qu'en plus tout le monde a été financé. (ca date mais ca ma marqué)

Marc en Rage
23/02/2024 à 15:14

@Marc LE VRAI

Va voir des films et donne nous une critique avec des arguments ! je te répondrai avec mes arguments.

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