Daaaaaali ! : critique d’un faux-biopic à la Quentin Dupieux

Antoine Desrues | 7 février 2024 - MAJ : 09/04/2024 10:37
Antoine Desrues | 7 février 2024 - MAJ : 09/04/2024 10:37

Après le succès de Yannick, le prolifique Quentin Dupieux est déjà de retour avec Daaaaaali !, faux biopic de Salvador Dali mais vraie rencontre de cinéma entre le peintre surréaliste espagnol et le réalisateur français. Si le goût des deux artistes pour l’absurde suffit à rapprocher leur œuvre respective, il libère aussi Dupieux des entraves habituelles de ses scénarios. Peut-être l’un de ses meilleurs films récents, porté (comme toujours) par un casting en or avec Anaïs Demoustier, Edouard Baer, Jonathan CohenPio Marmaï et Gilles Lellouche.

Toile blanche de maître

C’est presque devenu un running-gag : malgré la courte durée de ses films, Quentin Dupieux semble de moins en moins capable de les terminer. Ses concepts (souvent excitants sur le papier) portent en eux une soif d’exploration de leurs limites, et pourtant, les microcosmes de cinéma qu’il dépeint n’existent que rarement en dehors de l’écran et après le générique, la faute à des conclusions qui laissent en bouche un sentiment d’inachevé et l'impression d’un couperet arbitraire.

Ce qui démarque Daaaaaali !, c’est sa façon d’assumer avec humour cette frustration – voire déception – par une structure cyclique, où la fin et le début s’entremêlent, se recoupent, se perdent et se retrouvent dans un fracas d’images. On pourrait presque s’amuser à démarrer le film en plein milieu, tant ses mises en abyme permanentes en font un palindrome qui, fatalement, ne peut exister qu’en vase clos.

 

Daaaaaali! : photo"Un film comme ça"

 

Plus que jamais, Dupieux cadenasse son esthétique dans un instant T éphémère, quitte à laisser peu de traces après le visionnage. Seulement, il fallait bien cette humilité pour approcher la figure de Salvador Dali. Si le temps et sa linéarité échappent au réalisateur, il en profite pour marteler que cet hommage au peintre surréaliste n’est en aucun cas un biopic. Il s’agit même du point de départ du long-métrage : Judith (géniale Anaïs Demoustier, dont le jeu naïf donne vie aux événements les plus improbables) espère obtenir une interview du maître, dont les caprices et l’humeur changeante reportent constamment le rendez-vous.

Impossible de s’accrocher à une image fixe de l’artiste. À la manière du I’m Not There de Todd Haynes et ses multiples interprétations de Bob Dylan, Salvador Dali ne peut être abordé que par fragments et par différents acteurs (Edouard Baer, Jonathan Cohen, Pio Marmaï, Gilles Lellouche et Didier Flamand). Ne restent qu’une poignée de dénominateurs communs, à savoir un phrasé unique, un accent à couper au couteau, et bien sûr, une célèbre moustache.

 

Daaaaaali! : photo, Jonathan CohenSalvador le mytho

 

Persistance des mémoires

Ce qui intéresse Dupieux, c’est le paradoxe Dali, ou comment un artiste insaisissable a passé sa vie à façonner sa propre caricature. Il en joue et s’amuse à naviguer entre les facettes d’une image d’Épinal polémique (bien qu’il se prive de citer ses penchants franquistes). Daaaaaali ! ne cherche jamais à en tirer un portrait, avec toute la fixité que cela suppose. Au contraire, dès la reproduction du tableau Fontaine nécrophilique qui lui sert d'introduction, on est dans une œuvre du mouvement, qui ne peut pas s’empêcher de sauter du coq à l’âne.

Le moindre plongeon dans une peinture est immédiatement stoppé par un coup de téléphone ou un coup de feu, et cette fusion instable donne tout son charme comique au film. On pensera en particulier à un couloir de l’infini hilarant (type Sacré Graal), note d’intention d’un exercice de style où le montage est roi.

 

Daaaaaali! : Anaïs Demoustier, Edouard BaerAnaïs Demoustier, toujours aussi géniale

 

Bien sûr, on pourrait reprocher à Dupieux de tourner en rond, mais l’expérimentation dans l’absurde trouve au travers de son personnage une forme de candeur salvatrice. Comme un enfant qui entrechoquerait ses jouets, il appelle à la surprise à chaque coupe, à chaque rencontre impromptue entre les espaces, les objets et les corps par des rêves dans les rêves et autres allers-retours temporels.

Dali était un ami de Buñuel, et Quentin Dupieux convoque l’héritage de son cinéma surréaliste avec un plaisir évident pour le cadavre exquis. Si ce n’est en rien révolutionnaire, le fait de voir le réalisateur se laisser aller à une telle dimension ludique nous emporte dans son énergie communicative. Et c’était peut-être, au fond, le meilleur concept pour transposer sur grand écran la folie créative de Salvador Dali.

 

Daaaaaali! : affiche

 

Résumé

En faisant de chaque plan la pièce d’un puzzle absurde, Quentin Dupieux nous donne envie de recomposer l’image finale qu’il se fait de Dali. Son film le plus ludique depuis un moment.

Autre avis Alexandre Janowiak
Avec humour, poésie et passion, Quentin Dupieux réinvente la narration dans Daaaaaali !, remodèle l'espace et le temps et joue avec ses propres codes pour créer un cinéma vraiment unique : le sien. Un de ses meilleurs films.
Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(3.5)

Votre note ?

commentaires
C.Kalanda
09/02/2024 à 03:36

@EL
Vous êtes sûrs d’avoir mis le bon nombre de « a » dans tout l’article ? ;)

Ce film, comme "réalité", explore ce qu un film peut faire.
08/02/2024 à 19:35

c'est la phrase de l'année !
Mon interprétation de ce qu'elle veut dire : .

On l'utilise quand : on vit dans un monde ou les mots sont usurpés, parfois inconsciemment, car les occidentaux se prennent pour des autres.
Je vais regarder la nouvelle proposition de Mr Dupieux gratuitement mais il est clair que ce monsieur s'en sort pas mal pour quelqu'un qui ne finit rien

Seb1109
08/02/2024 à 09:39

J'ai vu la bande annonce, j'ai détesté, je ne regarderai pas. Ce côté absurde à ce point ne m'intéresse pas (pourtant je ne me fis jamais à une bande annonce, en bien comme en mal). Mais ravi que ce film ait suscité de l'enthousiasme de votre côté :)

siko
07/02/2024 à 23:48

je suis assez en accord avec cette critique. Ce film, comme "réalité", explore ce qu un film peut faire.
en revanche Dali est ici plutot un accessoire, le personnage principal étant plutot la journaliste et le rapport a la légitimité, le sentiment d imposture, Dali en etant une sorte d opposé.
J ai énormément apprécié ce film, alors que, comme dit dans la critique, les films de Dupieux laissent souvent un gout d inachevé.
(et pourtant je deteste Dali, ses peintures, sa démarche et le personnage)

Docteur Benway
07/02/2024 à 22:27

Je n'ai jamais compris l'intérêt du cinéma de Dupieux.

Quentin au pieu
07/02/2024 à 16:09

Quentin D. ou comment faire financer ses hobbys le CNC. Perso. j'aime bien la porterie,.je vais taper à la porte de Rachida Dati

Marc en Rage
07/02/2024 à 14:25

Salvador Dali

Je ne dis pas que je suis le meilleur, je dis que je suis le moins mauvais !

Dormir est une façon de mourir ou tout au moins de mourir à la réalité, mieux encore, c'est la mort de la réalité.

La peinture est la face visible de l'iceberg de ma pensée.

L'unique différence entre un fou et moi, c'est que moi je ne suis pas fou.

votre commentaire