A Man : critique sans identité

Mathieu Jaborska | 3 février 2024 - MAJ : 05/02/2024 11:40
Mathieu Jaborska | 3 février 2024 - MAJ : 05/02/2024 11:40

La cérémonie des Japan Academy Prize récompense chaque année les films japonais, exactement comme les Oscars aux États-Unis ou les César en France. En 2023, A Man avait fait une véritable razzia, remportant les prix du meilleur film, du meilleur réalisateur pour Kei Ishikawa, du meilleur scénario pour Kôsuke Mukai, du meilleur acteur pour Satoshi Tsumabuki, des meilleurs actrices et acteurs secondaires, du meilleur montage et du meilleur son. Un peu moins d'un an après ce carton plein, il sort en France.

Un illustre inconnu

Trentenaire endeuillée, Rie rencontre un timide artiste en herbe. Ils finissent par tomber amoureux et même fonder une petite famille. Mais quand il disparait, Rie va apprendre qu'il n'est peut-être pas vraiment... lui. Le point de départ est celui d'un pur thriller, d'autant que le reste du long-métrage consiste effectivement à traquer une identité dissimulée.

Toutefois, les amateurs de twists retors et de montées de suspense risquent d'être déçus : le réalisateur Kei Ishikawa (dont les longs-métrages sont encore très confidentiels en France) et le scénariste Kôsuke Mukai (qui s'est inspiré du roman de Keiichiro Hirano) ont décidé de tourner complètement le dos au genre.

 

A man : photo, Sakura AndôRie, qui porte très mal son nom

 

Long de plus de 2h, le film privilégie la caractérisation de ses protagonistes à la frénésie du récit à tiroir et dévoile progressivement une intrigue plus sociale que spectaculaire. Raison pour laquelle il se refuse à enclencher l'enquête dès la mort de Daisuke et à basculer complètement sur le point de vue de l'avocat, celui qui va pourtant mener les investigations. Le scénario ne perd jamais de vue Rie (incarnée par une excellente Sakura Andô) et laisse la place à ses personnages les moins utiles à la progression narrative, quitte à ralentir le rythme.

Pourtant, il assume certaines conventions du film policier, comme l'interrogatoire du criminel endurci. Mais il les distille au compte-goutte, moins pour faire avancer l'enquête que pour fragiliser ses acteurs. Ensemble, ils forment bien sûr un panel représentatif de certaines marges de la société japonaise et il sera question de trouver leurs points communs, qu'il s'agisse de ceux qui restent ou des disparus. Ces derniers ont même droit à leurs flashbacks, encombrant encore un peu plus une histoire construite comme "un vaste labyrinthe".

 

A man : photo, Satoshi TsumabukiUn grand classique

 

Japan exposed

Pour ce faire, le cinéaste et son scénariste prennent le risque d'emprunter de nombreux détours, révélant très progressivement leurs sujets. Si la tentation de se débarrasser de son identité est omniprésente – dès le premier plan très explicite mettant en scène La Reproduction interdite de Magritte –, c'est bien la notion d'héritage maudit qui les intéresse.

Qu'il s'agisse d'une filiation malencontreuse, d'une origine qui se transforme en cible pour la xénophobie ambiante, ou même d'un deuil, tous les personnages sont victimes de leurs prédécesseurs, pour la plupart absents ou à peine esquissés par une narration pourtant plutôt exhaustive.

 

A man : photoSatoshi Tsumabuki, qui était aussi apparu dans La Famille Asada

 

À force de naviguer dans ces eaux sociales troubles, A Man tire le portrait d'une culture habituée à juger autrui sur ce qu'il n'est pas. Malédiction qui se transmet et se perpétue en temps réel dans la deuxième moitié du film. Une idée subtilement déclinée à renfort d'arcs narratifs entremêlés, révélant progressivement un dysfonctionnement général. Un procédé mine de rien assez ambitieux, mais globalement maîtrisé de bout en bout.

Seul souci : ce maillage épais empêche la mise en scène de vraiment jouer sa partition. Il y a bien quelques instants de grâce, comme le motif de la montée sur la colline, mais elle reste généralement en retrait. Faute de l'épaisseur émotionnelle qu'elle aurait pu apporter à ses multiples personnages, et en particulier à celui de l'avocat, A Man sous-traite peut-être ses passionnantes thématiques (dont certaines sont rarement abordées au cinéma). Un défaut qu'avait par exemple esquivé adroitement L'Innocence, autre film social japonais ayant fait forte impression dans les cérémonies de récompense. Reste un exercice d'écriture audacieux et la consécration d'un réalisateur qui en a encore sous le capot.

 

A man : Affiche

Résumé

Faux thriller et vraie méditation sur l'identité et l'héritage social, A Man repose beaucoup trop sur son scénario pour laisser une impression durable. Heureusement, il se montre assez subtil pour captiver.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(3.8)

Votre note ?

commentaires
Chakan
04/03/2024 à 08:46

Alexiane, Moi aussi je suis sortie perplexe au vu du dénouement, il semble après réflexion que la dernière scène se situe quelques années plus tard, après que l'avocat a quitté sa femme (dont il a découvert une infidélité dans un message entrevu par hasard sur le portable de sa femme qu'utilisait leur enfant dans un jeu au restaurant...) et qu'il a refait sa vie. C'est une possibilité mais le film laisse beaucoup de questions en suspens, c'est aussi son intérêt... Pour moi, ce film est très réussi, les acteurs sont excellents, la critique sous-jacente de
dysfonctionnements dans la société
japonaise est particulièrement intéressante...

Alexiane
19/02/2024 à 03:26

Nous n’avons pas compris le dénouement (la fin) du film, si une ame charitable pourrait expliquer je suis tourmentér depuis ce matin, s’il vous plait

ChaosEngine
06/02/2024 à 11:56

Belle surprise pour ce film qu'on est allés voir au hasard (mis à part le fait qu'on est très friands du cinéma asiatique en général).
Et je ne peux que le recommander à ceux qui aiment les films intelligents et fins. C'est en quelque sorte un film d'enquête, mais sans pour autant que la révélation du mystère n'en soit la conclusion, et c'est en ça que j'ai apprécié la démarche : l'intérêt du scénario ne se situe pas dans un éventuel twist, mais dans la réflexion qu'il amène progressivement le spectateur à entamer.

Les acteurs sont très bons et bien dirigés (tiens 3e fois d'affilée qu'on voit Sakura Ando en 3 films japonais, après Monster/l'Innocence et Godzilla -1, elle a le vent en poupe et c'est pas volé !), et même si on s'approche pas d'un chef-d'œuvre, c'est un film solide et bien mené, qui me donne envie de m'intéresser à ce réalisateur.

Ari G.
04/02/2024 à 13:07

@ Sanchez
Et sur le film lui-même ?

Sanchez
03/02/2024 à 21:51

On en peut plus des films de super héros

votre commentaire