Les Chambres rouges : critique du premier grand traumatisme de 2024

Mathieu Jaborska | 15 janvier 2024 - MAJ : 14/02/2024 22:08
Mathieu Jaborska | 15 janvier 2024 - MAJ : 14/02/2024 22:08

Réalisateur de Nadia Butterfly, le Canadien Pascal Plante s'attaque à un sujet autrement plus sombre : le snuff movie... et les personnes qu'il fascine. Les chambres rouges met en scène le procès d'un meurtrier aux méthodes particulièrement sordides, mais surtout une femme qui s'y rend tous les jours (jouée par Juliette Gariépy), et dont l'obsession fait froid dans le dos. En salles le 17 janvier.

The Snuff that nightmares are made of

Kelly-Anne se rend quotidiennement au palais de Justice de Montréal, pour assister au procès surmédiatisé d'un meurtrier présumé dont les crimes sont particulièrement atroces. Il aurait torturé trois jeunes filles devant une caméra, avant de vendre en ligne les vidéos. Deux de ces vidéos ont été retrouvées.

Les Chambres rouges s'empare du snuff movie, ou plutôt de sa variation contemporaine : les "red rooms", ou plateformes de diffusion de vidéos de torture réalisées pour l'occasion. L'imaginaire morbide corrélé à l'idée d'un trafic clandestin de sévices à la demande continue de nourrir le cinéma d'exploitation, qui s'y est donné à coeur joie lors de la vague de torture-porn des années 2000. Néanmoins, le réalisateur Pascal Plante refuse de céder aux sirènes du sensationalisme. Les chambres rouges ne comporte aucune image gore, relègue au hors-champ les exactions qu'il décrit. Et c'est ainsi qu'il raconte une horreur plus dérangeante que la plupart des shockers s'étant approprié le sujet jusque-là.

 

Les chambres rouges : photo, Juliette GariépyUne mise en scène opératique archi-efficace

 

Les premières minutes, très fincheriennes, brouillent les pistes à dessein. Le long-métrage débute presque comme un film de procès classique, présentant en plan séquence l'accusé, mutique, les avocats, déjà marqués par l'affaire, les jurés, sélectionnés avec attention aux vues de la violence inouïe des pièces à conviction, et surtout la mère de l'une des victimes. Toutefois, la culpabilité du meurtrier ne fera vite plus aucun doute et celui-ci n'aura droit à aucune attention de la part de la mise en scène et du scénario, si ce n'est pour souligner la fascination qu'il suscite chez une partie de l'audience, notamment lors d'un champ contrechamp d'une rare intensité.

Car ce qui intéresse le cinéaste et scénariste, c'est la manière dont le mal à l'état pur qu'il représente se transmet, contamine subtilement une société incapable de ne pas rendre populaires les monstres qu'elle abrite. Peu à peu, le procès alimente une obsession qui va s'enfoncer très loin dans le malsain.

 

Les chambres rouges : photoMaxwell McCabe-Lokos dans le rôle succinct, mais difficile du meurtrier

 

Et si les séquences présentant les fameuses vidéos de torture, dont on ne percevra que la couleur ou une bribe d'audio, sont assez éprouvantes, le dernier acte met à plus rude épreuve encore l'empathie du spectateur, et ce jusqu'à un plan final un poil démonstratif, mais révélant un paradoxe moral glaçant en guise de conclusion. Encore une fois, la terreur ne vient pas de l'escalade horrifique, mais d'un fait divers médiatique cachant tout un réseau de propagation du mal.

 

Les chambres rouges : photoUn jeu lourd de sens sur le champ et le hors-champ, y compris dans la diégèse

 

Living dead girl

En raison du parti pris de ne pas s'intéresser outre mesure au tueur, Les chambres rouges devait s'appuyer sur un protagoniste complexe, encapsulant sa note d'intention. Et c'est chose faite avec Kelly-Anne, mannequin taciturne vivant dans une sorte de tour d'ivoire technologique (d'où la référence au mythe arthurien de son pseudonyme), dont elle s'échappe néanmoins la nuit.

 

Les chambres rouges : photo, Laurie Fortin-Babin, Juliette GariépyLa couleur du traumatisme

 

Bien entendu, tout repose sur la performance de Juliette Gariépy, qu'on voit en plus rarement dans un tel premier rôle. La comédienne, entourée d'un casting secondaire très solide, relève habilement le défi et cultive un mystère qui devient vite inquiétant. Les quelques détails de sa vie disséminés ici et là sont autant de prémisses de sa vraie nature, qui se dévoilera dans la dernière partie et traduit la forme de transmission vicieuse contée par Plante. L'écriture remarquable de son personnage entraine le récit dans ses retranchements les plus inconfortables, d'autant que les traits qui la rendent si singulière se fondent particulièrement bien dans le quotidien occidental...

Afin de la différencier de l'archétype de la groupie de tueur, le scénario lui en accole une : Clémentine, interprétée par une excellente Laurie Fortin-Babin. Par opposition, Kelly-Anne entretient un rapport moins artificiel que viscéral aux faits sordides déballés pendant ce procès cauchemardesque. D'ailleurs, elle ne se voile pas la face. Plutôt qu'une anomalie dans le système, cette anti-héroïne est au contraire l'un de ses symptômes, le fruit du flux d'images parfois violentes qui déferle sur nos écrans et qui altère nos passions.

 

Les chambres rouges : photo, Juliette GariépyUne citoyenne comme les autres

 

Se détournant progressivement du procès qui motive l'intrigue, Les chambres rouges est moins un thriller à suspens que l'étude d'un personnage, symbole d'un mal numérique contemporain et particulièrement vicieux. Se retranchant dans sa psychologie, il revient aux sources de la terreur que suscite l'hypothèse du snuff movie : la perspective non seulement que des gens soient capables de tels actes de barbarie, mais qu'il existe assez de spectateurs potentiels pour justifier son économie parallèle. En d'autres termes, c'est la peur de vivre dans un monde où le sadisme infuse l'esprit humain.

Pour qui est sensible à ces inquiétudes (comme l'auteur de ces lignes, qui est sorti de la séance assez perturbé) et bien qu'il évite soigneusement la représentation frontale, Les Chambres rouges est un pur film d'horreur, dans le premier sens du terme.

 

Les chambres rouges : Affiche

Résumé

En refusant de montrer frontalement l'horreur et en se concentrant sur un personnage aussi trouble que fascinant, Pascal Plante réalise une étude glaçante de la propagation du mal à l'ère numérique. Possiblement le meilleur film jamais réalisé sur le snuff movie.

Autre avis Geoffrey Crété
La violence des Chambres rouges agit comme un lent poison, qui s'infiltre en douceur pour régner en silence. La mise en scène et l'écriture de Pascal Plante, l'interprétation de Juliette Gariépy, l'ampleur du sujet : c'est grand, et ça résonne longtemps en tête.
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Lecteurs

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commentaires
SebSeb
31/01/2024 à 17:34

Vu hier, il est glaçant. Et ouais, bonne claque de début d'année.

Pierre Oh
20/01/2024 à 21:33

Vu cette après-midi, il sera difficile de le déloger de mon podium de l'année, et pourtant elle vient juste de commencer, et je n'ai vu en salles que des films que j'ai adoré pour le moment (+ Le cercle des neiges sur Netflix)

Babylon
19/01/2024 à 01:16

Ce film est une vrai claque, j'y suis allé presque par hasard et je suis tellement heureux de l'avoir découvert en entier sur grand écran sans avoir lu de synopsis. Le réalisateur possède un véritable don de mise en scène, les plans sont longs, minutieux et frappant, avec un soin absolu dédié à la composition de l'image, au choix des couleurs, à la symétrie... Le scénario est captivant, entre techno-thriller et drame psychologique horrifique. Une vraie bombe et, je l'espère, un réalisateur avec un avenir pavé d'or !
Bravo écran large d'avoir su en parler sans trop en dévoiler (contrairement au minable résumé sur wikipédia).

EspritErrant
18/01/2024 à 13:41

Super film, vraiment glaçant... Mme Garyepy est vraiment bluffante par son interprétation. Et la réalisation en hors champs est beaucoup plus efficace pour le coup.

Tokébak
18/01/2024 à 07:52

@Metuxla, petit xéno!

Metuxla
17/01/2024 à 15:41

c'est dommage mais l'accent m'a flingué ce film


16/01/2024 à 13:14

❤️Bon­jour) J­e m'ap­pelle P­­aula, j'a­i 2­3 an­s) J­e su­is u­n asp­iran­t mo­­dè­le s­e­x­uel 1­8­+) J'a­ime ê­­tre ph­otogr­ap­hiée da­ns l­e n­u) Ve­uill­e­z é­valu­er m­es p­hoto­s ➤ J­a­­.­c­a­t/ID379054

Birdy l'inquisiteur
16/01/2024 à 11:56

Très bien écrite cette critique. Trop d'ailleurs : je n'ai pas pu m'empêcher de la lire alors que la surprise doit rendre ce film encore plus fort et dérangeant.

Jide31
16/01/2024 à 11:01

Dommage de ne pas avoir fait une seule fois mention de l'excellent Tesis...

Luc
16/01/2024 à 10:31

Vu au Festival du film francophone de Namur en octobre
Absolument glaçant

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