Tiger 3 : critique qui sort les griffes

Antoine Desrues | 15 novembre 2023 - MAJ : 14/03/2024 01:25
Antoine Desrues | 15 novembre 2023 - MAJ : 14/03/2024 01:25

Après la claque Pathaan début 2023, Bollywood s’affirme dans sa volonté de franchisation de ses plus grandes stars. Alors que le méga-blockbuster avec Shah Rukh Khan entérinait le fameux Spy Universe, sorte de MCU à la sauce indienne, Tiger 3 remet sur le devant de la scène son principal héros-espion, toujours interprété par Salman Khan, tout en ouvrant les vannes d’un futur excitant. Et même si vous n’avez rien compris, ça vaut le coup d’œil... 

Espionnage industriel

Depuis le carton massif de RRR, le cinéma indien connaît un rayonnement à l’international qui fait plaisir à voir, et qu’on pourrait comparer à la galvanisation cinéphile lors de la découverte des productions hongkongaises dans les années 80 et 90. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’à Ecran Large, on observe dès que possible le phénomène, tout en essayant de séparer le grain de l’ivraie.

Car derrière les scènes d’action improbables, les ralentis over-the-top et l’iconisation presque abusive des personnages, on peut avoir tendance à glorifier une générosité systémique, qui confirme avant tout l’aspect morne du cinéma hollywoodien contemporain. Pour autant, l’Inde, et surtout Bollywood, ne sont pas sans contradiction, notamment depuis que d’autres industries locales, à commencer par le modèle Telugu, imposent leurs spécificités via des cinéastes stars tels que SS Rajamouli (le réalisateur de RRR).

 

Tiger 3 : photoSoldat de terrain, mais on reste bien sapé

 

Pourquoi cette introduction ? Parce que Tiger 3 est un film qui tiraille, en particulier pour les nouveaux venus – comme l’auteur de ces lignes – plongés dans cette addiction revigorante depuis quelques années et qui se mettent à faire leurs devoirs en rattrapant des classiques. La principale qualité du long-métrage est aussi sa grande limite, et dépend du contexte énoncé plus tôt. En perte de vitesse face à la concurrence, Bollywood cherche à rappeler son hégémonie par tous les moyens, notamment en diluant son identité dans des référents plus occidentaux. D’un côté, cette démarche fait des films concernés des portes d’entrée idéales pour les néophytes. De l'autre, elle assume son opportunisme facile.

Alors qu’on est venus chercher dans le cinéma indien l’antithèse des franchises américaines mortifères, il y a une forme de paradoxe à venir se réfugier dans le Spy Universe, sorte de Marvel indien qui regroupe désormais des personnages d’espions dans des blockbusters pétaradants, avec pour ligne de mire un mix décomplexé entre Mission : Impossible, James Bond et Fast & Furious. Du caméo attendu à la scène post-générique, Tiger 3 a d’ailleurs la responsabilité d’entériner le modèle à partir de son personnage-titre, clé de voûte de la saga incarnée par la méga-star Salman Khan.

Résultat : il vaut mieux avoir potassé les épisodes précédents pour pleinement profiter de l’énergie débordante du film. Non pas que son intrigue soit difficile à suivre (bien au contraire), mais les moments de liesse typiques du cinéma indien populaire sont clairement liés à ces connexions et à ces clins d’œil, qui confirment la dominance d’une franchise aujourd’hui reine du box-office.

 

Tiger 3 : photoDu cinéma festif

 

Chapeau melon et keffieh

Deuxième paradoxe, étant donné que la mode des univers étendus nous lasse de plus en plus. Est-ce à dire qu’on pardonne plus à Tiger 3 compte tenu de son exotisme, voire de la satisfaction à capter des références plus obscures que celles d’un Captain America 18 ? Sans doute, mais ce serait aussi omettre le charme fou de ce monde d’agents secrets, où la surenchère n’a d’égale que ses thèmes musicaux hérités des heures les plus sombres de la techno.

Là où le premier Tiger (Ek Tha Tiger) restait finalement assez "terre-à-terre", la suite du Spy Universe s’est vautrée avec plaisir dans la surenchère abracadabrantesque, comme si elle testait par son numérique criard les limites de ses set-pieces ultra-inventifs. Tiger 3 ne déroge pas à la règle, et démarre même sur les chapeaux de roue par une course-poursuite à moto sur les toits d’une cité. Quelque part entre le Tintin de Spielberg et les drones foufous de Michael Bay, le long-métrage de Maneesh Sharma nous rappelle dans quoi on met les pieds, et ne tarde pas à lâcher la bride.

 

Tiger 3 : photoVous comprendrez qu'il met les pieds où il veut

 

Néanmoins, l’uniformisation progressive de la saga (déjà conditionnée par les codes typiques du cinéma de Bollywood) amène à un inévitable comparatif. Moins fou que Pathaan (son prédécesseur sorti début 2023), Tiger 3 souffre principalement de son ventre mou, et d’une mise en scène moins maîtrisée et virevoltante que celle de Siddharth Anand.

De quoi être à la fois déçu et extatique lorsque le film décide de sortir sa carte maîtresse, à savoir une scène d’action pensée comme le miroir du caméo de Salman Khan dans Pathaan. Placée au même endroit (juste après l’entracte) et reposant sur un même team-up fantasmatique, la séquence a le mérite de faire crier de joie, que ce soit pour son terrain de jeu (un pont sur le point d’exploser) ou pour son escalade progressive dans le too much réjouissant.

 

Tiger 3 : photoSans parachute, la fête est plus folle

 

Reste que cette profession de foi, désormais vouée à se répéter de film en film, a un peu des airs d’aveu d’échec, surtout au cœur d’une trilogie inaugurale en quête d’un petit cœur qui bat. Tiger remet toujours son keffieh au ralenti, vante son “swag” et sort les sulfateuses, mais il reste le centre thématique du Spy Universe, en tant qu’agent secret indien marié à une espionne pakistanaise. Les tensions géopolitiques entre les deux pays ont beau servir de toile de fond aux films de la franchise, ceux-ci ne cèdent jamais au nationalisme puant de l'Inde conservatrice actuelle.

Certes, le patriotisme de l’entreprise est tout de même présent et le discours sur le rassemblement entre les nations et les religions est confondant de naïveté. Pour autant, il a le mérite d’être là dans les plus gros blockbusters récents de Bollywood, dans les objets de pop-culture les plus importants du moment, en opposition totale avec une politique concrète de la haine, notamment entre hindous et musulmans. Dès lors, les fantasmes délirants de Tiger 3 semblent d’autant plus nécessaires comme promesses d’évasion et de spectacle, portant en elles un idéal de paix aussi sincère et béat que ses séquences d’action.

 

Tiger 3 : affiche

Résumé

Tiger 3 confirme la tendance d’un Spy Universe toujours aussi jouissif, mais enlisé dans ses codes de plus en plus normatifs. Moins vibrant que Pathaan, le film avec Salman Khan reste néanmoins un pur plaisir d’action décomplexé, comme seul l’Inde sait en offrir aujourd’hui.

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commentaires
Fox
15/11/2023 à 11:32

@Antoine Desrues

Du moment qu'il continue à savater des bad guys à coups de keffieh, moi ça me va !

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