RRR : critique d'un spectacle inoubliable

Mathieu Jaborska | 26 mars 2022 - MAJ : 28/03/2022 10:42
Mathieu Jaborska | 26 mars 2022 - MAJ : 28/03/2022 10:42

Il avait filmé la vengeance d'une mouche amoureuse dans le très drôle Eega, la chute d'un roi et des batailles atypiques dans l'ahurissant diptyque La légende de BaahubaliS.S. Rajamouli revient avec sa plus monumentale production à ce jour, qui ambitionne ni plus ni moins que de "rendre sa gloire au cinéma indien" (dixit la première bande-annonce). Mené par les torses musculeux des vedettes Jr NTR et Ram Charan, l'ultra attendu mégablockbuster telugu RRR était taillé pour rouler sur la concurrence, et il ne s'en est pas privé.

Broforce

Véritable chantre du divertissement de masse telugu, tant et si bien qu'il appose littéralement son tampon sur ses films, S.S. Rajamouli avait accompli l'exploit de s'attirer les faveurs d'une cinéphilie occidentale habituellement très méprisante envers le cinéma indien grand public. Le cynisme des majors hollywoodiennes et les programmations de festivals n'y sont d'ailleurs pas pour rien (merci le BIFFF). C'est donc non sans fierté que le cinéaste s'attaque à l'histoire coloniale de son pays avec un budget colossal et met son traditionnel manichéisme au service d'un patriotisme frondeur. Dès les premières minutes, l'un de nos héros se protège du feu grâce à un drapeau indien. Voilà pour la note d'intention.

Bheem et Ram sont deux hommes que tout oppose. L'un est un résistant prêt à tout pour sauver une gamine de son village des griffes de l'occupant anglais. L'autre est un policier implacable défendant les intérêts des Britanniques. Grâce à un sauvetage acrobatique et à une communication non verbale pour le moins... technique débute entre eux une bromance telle que le cinéma en a rarement vu.

 

RRR : photoLes héros d'un peuple

 

Le titre, volontairement universel, donne le ton : RRR est l'acronyme de "Rajamouli, Ram Charan et Rama Rao", mais également de "Rise, Roar and Revolt" (se soulever, rugir et se révolter). Ces plus de trois heures célèbrent en effet le soulèvement d'un peuple contre son oppresseur. La bataille est militaire (dans les flashbacks), intime, mais surtout culturelle : la seule vraie séquence de comédie musicale (en écartant le générique) est elle-même une séquence d'affrontement dansée, un pugilat jouissif tout en percussions réaffirmant la survie et le triomphe de la culture locale au sein d'une enclave qui fait tout pour s'en débarrasser.

À partir de ce postulat guerrier, le goût du cinéaste pour le symbolisme bourrin peut s'exprimer librement. Ambassadeurs du feu et de l'eau, les deux compères représentent surtout les deux facettes de l'Inde d'alors, qui vont devoir s'unir pour triompher de leurs ennemis, sauver "leurs filles et leur terre" et tacher - au sens propre ! - la couronne anglaise du sang de ses officiers. La bande-son se charge d'expliciter encore un peu plus les différents symboles qui s'entrechoquent au cours du film, glorifiant au passage des incarnations de l'héroïsme à l'état pur.

 

Photo Ram Charan, Jr NTRLa bromance ultime, on vous dit

 

Le metteur en scène n'avait déjà pas son pareil pour composer des plans transformant instantanément ses héros tous de muscles et de veines en icônes quasi divines. Il profite de l'identité lourde de sens de ses protagonistes pour raffiner encore son art et le pousser dans des extrémités délirantes. La démentielle scène qui précède l'entracte comporte plusieurs visions picturales, exaltant l'Inde rurale et son rapport à la nature le temps de quelques secondes à couper le souffle. Et ce n'est que la partie émergée d'un iceberg colossal.

 

RRR : photoJeux de main...

 

First action heroes

En pleine possession de ses moyens, Rajamouli emmène ses héros invincibles sur ses terres, celles du pur spectacle décomplexé. Lui et le scénariste K. V. Vijayendra Prasad sous-traitent volontiers quelques passages obligatoires (la romance,parfois envahissante dans les productions du genre, ici éjectée en plein milieu du métrage) pour tout miser sur une efficacité scénaristique que beaucoup vont leur envier.

Encore une fois, la trinité du titre assume un rythme cinématographique classique (trois actes bien découpés) et encadre une introduction particulièrement audacieuse, qui se contente de présenter très simplement et dans l'ordre le pitch, le contexte historique et les personnages, avec trois scènes distinctes, précédées de trois cartons. Une recherche de pureté narrative remarquable, qui trahit l'objectif terminal du long-métrage : entretenir coûte que coûte un souffle épique dévastateur.

 

RRR : photo, Jr NTRFinally, a worthy opponent !

 

Il nous paraissait difficile d'outre passer le second Baahubali en ce domaine, mais force est de constater que RRR place la barre au moins aussi haut, avec un degré de violence bien plus élevé et assez dingue pour un film si populaire, intrigue historique oblige. Tour à tour représentants, vengeurs puis martyrs de leur peuple, Bheem et Ram doivent donc tous deux cristalliser sa souffrance, avant de renvoyer ses balles à l'occupant, au point que le film comporte plus de scènes de torture que de scènes de chant.

Mais quand ils rendent les coups, ils ne le font pas à moitié. Passé la moitié du métrage et sa séquence pivot délicieusement chaotique, servi par une bande originale certes moins riche en thèmes mémorables que celle de Baahubali, mais assez grandiloquente pour donner envie de mater du tigre à coups de poing, le film gagne progressivement en puissance de feu. La caméra agile du cinéaste, qui maîtrise désormais mieux les outils numériques que la majeure partie de ses collègues américains, alternant ralentis homériques et travellings avant supersoniques, capte quelques moments de folie pure, qu'on se retient (difficilement) de spoiler.

 

RRR : photoEn apesanteur

 

Parcourues de chorégraphies millimétrées, magnifiées par la photographie ocre de U. K. Senthil Kumar, traversées d'effets pyrotechniques qui feraient passer le dernier Michael Bay pour une comédie romantique, les scènes d'action de RRR sont de plus en plus furieuses et spectaculaires. Jusqu'à un triple climax qui surpasse à peu près tout ce que le cinéma populaire à gros budget nous propose depuis des années, où nos deux pourfendeurs du colonialisme se métamorphosent en Rambo antigravitationnels pour écarquiller de force nos yeux déjà éreintés et nous rappeler fugacement que le divertissement de qualité est un art à part entière.

 

RRR : Affiche

Résumé

L'ode à la rébellion de S.S. Rajamouli repousse encore un peu plus les frontières de l'épique pour s'imposer comme l'un des divertissements les plus ambitieux depuis... Baahubali 2. Abandonnez vos a priori et venez profiter de ce spectacle total. Il est rare et précieux.

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Lecteurs

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commentaires
greg67
24/03/2023 à 22:35

Merci EL de m'avoir présenté le film. J'ai fini par le voir et c'est grandiose ! Même effet sur moi que Fury road. Yeux écarquillés et envie de voir d'autres films comme ça.

PonniyanSelvan
25/08/2022 à 21:50

La fin est un peu balancé , Alia ne sert pas à grand chose , VFX des fois réussi, des fois ratés mais pour tout le reste : pouce levé . Dommage je l'ai raté au ciné , je pensais que c'était encore un enième film anti-britannique ..
Ps : j'ai un peu tiqué à la fin où dans la chanson de fin sont absent Gandhi , Nehru et on a à la place des Bhose ( qui s'est allié avec Hitler ) ou Sivaji ( qui n'a jamais combattu les britanniques)

Freddy Mercury
14/07/2022 à 18:01

Vu hier dans une salle où j'étais le seul non indien.
Une tuerie intersidérale, c'est filmé au pinceau, écrit à la truelle, chanté au clairon.
Les Avengers, Matrix en stuc et autres DC Movies peuvent mettre leur slip sous le collant.

Ttac
12/07/2022 à 00:56

Un bon film indien certe mais toujours trop caricatural pour nous occidentaux ... A regarder le cerveau éteint de préférence tant le tout prête à sourire et frise parfois le ridicule mais cest le propre du cinéma indien . On y a tout les ingrédients les musique et chorégraphie de danse , les acteurs trop coloré sont de simple figurant et les héros a la peau clair des surhommes quasi demi-dieu à la Hercule et thesée . Parcontre clairement niveau action c'est du haut niveau c'est bien filmé tout est très lisible, Hollywood devrait prendre exemple notamment les Marvels ... Le film dure 3h c'est un poil trop long mais il ce déguste sans trop de problème. Bref un spectacle ultra généreux et qui m'a quand même réconcilié avec le cinéma indien un bon 16/20 si on ce laisse embarqué par ce voyage complètement dingue . Chapeau

Tuco
11/07/2022 à 15:34

Le meilleur blockbuster depuis Fury Road. C'est épique, touchant, inventif et ultra divertissant. J'en redemande !!!!

Amiante
19/04/2022 à 23:08

Ça me donne énormément envie mais je n'arrive pas à le trouver dans des cinémas proches de chez moi... N'est il projeté qu'à Paris ? :/
Ou suis je nul pour trouver des scéances / ne connait pas le bon site ?

SebSeb
29/03/2022 à 15:31

Vu comme Benj dans une salle où j'étais le seul non indien, et bon sang mais quel pied j'ai pris ! C'est généreux, extravagant, outrancier, je pense clairement que si un peuple a compris ce que ça voulait dire de faire du cinéma populaire en utilisant toutes ses possibilités, ce sont bien les Indiens. Ca tasse les colonnes de soldats britanniques méchants, sadiques et mauvais par paquets de cinq, et ça arrête des motos d'un coup de savate : quel pied bordel !!! C'est très certainement une des plus belles séances de cinéma de toute ma vie (et j'ai vu 4000 films en salles ces 20 dernières années, c'est dire !).

Neji.
29/03/2022 à 01:13

L'affiche est dégueulasse mais vous m'avez convaincu je vais essayer de choper ce film.
Je sais pas si je dois le regarder au premier degré .
Je pense qu'au départ il faut être client de ce genre de truc !

Geoffrey Crété - Rédaction
28/03/2022 à 11:33

@Kratos

Quoi ? Quel partenariat ? On aurait aimé, mais aucun partenariat ici. On a juste adoré le film, dont on avait déjà parlé sur le site dès les premières images.

Pour rappel : nos avis ne sont pas à vendre, on est partenaires quand on aime les choses (vs on aime les choses dont on est partenaires). Tout est expliqué ici, et affiché à chaque fois.
https://www.ecranlarge.com/partenariats

Kratos
28/03/2022 à 11:30

Vous auriez au moins pu avoir l'honnêteté de préciser que cette critique s'écrit dans le cadre dans d'un partenariat commercial...
Là, ça décrédibilise juste tout le travail fait sur des critiques plus impartiale. Dommage !

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