Gueules noires : critique dans l’abîme du temps

Antoine Desrues | 13 novembre 2023
Antoine Desrues | 13 novembre 2023

Aux côtés de Guillaume Pierret ou de Samuel Bodin, Mathieu Turi constitue la nouvelle génération fascinante d’un cinéma de genre français qui assume autant sa modernité que ses origines hexagonales. Après Méandre, le cinéaste continue d’explorer le survival claustro et labyrinthique avec Gueules noires. Portée par Samuel Le BihanJean-Hugues Anglade et Amir El Kacem, cette plongée lovecraftienne dans les mines françaises surprend par son parti-pris rentre-dedans.

Voyage au centre de l’enfer

Dans un dialogue a priori anodin de Gueules noires, le personnage ouvertement stéréotypé du scientifique (interprété par Jean-Hugues Anglade) prononce le nom d’Abdul al-Hazred, l’auteur fictif du célèbre Necronomicon d’H.P. Lovecraft. L’inspiration de Mathieu Turi pouvait difficilement être plus explicite et on s’en réjouit. Si l’auteur de Providence fascine autant, le cinéma approche souvent son œuvre de loin, tant il est casse-gueule de capter la sève de cette horreur indicible et cosmique.

Face aux descriptions à la fois très précises et abstraites du romancier, où le tourbillon des mots devient insuffisant devant l’irreprésentable, qu’est-ce que l’image peut montrer ? C’est là que le concept de Gueules noires s’avère idéal pour se confronter à cette épineuse question. En 1956, dans les mines du nord de la France, une équipe menée par Roland (Samuel Le Bihan) est obligée d’emmener un chercheur à 1000 mètres sous terre pour des prélèvements, avant de tomber sur une étrange crypte.

 

Gueules noires : photoPromenade de santé

 

Dans la lignée assumée des Montagnes hallucinées et Dans l’abîme du temps, le long-métrage prend la forme d’une expédition cauchemardesque sous le prisme d’une pure série B. S’amusant de façon créative avec ses limites budgétaires, l’obscurité de son décor quasi-unique et son hors-champ, Turi impressionne dans un premier temps par la réussite technique d’un film qui pourrait vite tourner en rond. Entre l’ampleur de ses plans à la surface et le contraste de sa caméra portée dans les souterrains, le réalisateur façonne une mise en scène étouffante, qui se referme sur ses personnages en même temps que sur son spectateur.

Dans ce labyrinthe, l’objectif navigue entre les corps dans ces intestins de la Terre, pour mieux refléter le paradoxe de la situation. Nous voilà au cœur même de notre planète natale, dans un berceau enveloppant qui nous est pourtant hostile. Nous ne sommes que des microbes, perdus dans les veines d’un organisme qui nous dépasse et ne demande qu’une chose : se débarrasser de nous.

 

Gueules noires : photoLa terre, c'était le charbon

 

Prince des ténèbres

De ce rapport d’échelle vertigineux, le réalisateur trouve une bonne base pour injecter un retour à la peur primaire du noir et à la claustrophobie. Si la mise en scène s’efforce de renouveler son rapport aux couloirs obscurs qu’il investit, sa gestion de la photographie et de l’éclairage subjugue par sa précision, alors qu’elle dépend principalement des lampes frontales de ses protagonistes (adaptées aux besoins de chaque scène en luminance). Les acteurs deviennent à leur tour techniciens et emploient cet outil essentiel à leur survie pour conférer des émotions.

De là, Gueules noires entretient sa dimension ludique, qui jongle de scène en scène pour construire des situations franchement funs (dont une avec un appareil photo, pas très originale mais jouissive). Mathieu Turi se montre à l’aise avec ses set-pieces, mais moins dès qu’il s’agit de filmer des dialogues, à la fois trop écrits et pas toujours très incarnés. L'immersion du long-métrage souffre de ces errances, alors même que Méandre profitait grandement de la solitude et du mutisme de son héroïne.

 

Gueules noires : photoSoirée lecture en période d'inflation

 

Néanmoins, en jouant avec des archétypes volontairement esquissés, le film parvient à offrir une dynamique de groupe certes perfectible, mais touchante, prise dans la tourmente d’une monstration progressive. Là, Gueules noires fascine par sa manière de lâcher les chevaux, un peu comme Stuart Gordon le faisait par le passé en adaptant Lovecraft à grands coups d’animatroniques, d’effets spéciaux pratiques et de saillies gores (le design de la “menace” est particulièrement réussi).

Pour autant, le film évite soigneusement le syndrome des films de genre français trop préoccupés à singer des référents américains évidents, de Predator à Carpenter. Le film est à son meilleur lorsqu’il trouve sa singularité, notamment lors de cette introduction étonnante au Maroc, où le personnage d’Amir (Amir El Kacem) rêve, comme tant d’autres avant lui, d’une fuite en Europe qui lui promettrait une meilleure vie. Un mensonge qui porte habilement le film vers son cauchemar progressif, et le teinte des stigmates du colonialisme et du racisme.

Derrière la naïveté de sa réplique phare, en lien avec son titre (“ici, tout le monde a le même visage, couvert de charbon”), Mathieu Turi s’efforce de créer des tensions dans son groupe de héros, pour mieux les rassembler face à l’ampleur d’un danger qui annihile tout le reste. Une touche d’espoir bienvenue dans un film sombre... dans tous les sens du terme.

 

Gueules noires : affiche

Résumé

Gueules noires pourrait crouler sous le poids de ses ambitions. Pourtant, Mathieu Turi parvient à tirer de son concept un survival fascinant, ainsi qu’une dimension lovecraftienne inspirée.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(2.2)

Votre note ?

commentaires
Neji
03/03/2024 à 21:23

Cette daube, la bestiole, le design est ridicule pas crédible un instant ces actions meurtrières sont pathétiques et risibles, digne d'un téléfilm France 3 région de luxe des acteurs plutôt au chômage ou des seconds rôles plutôt mauvais nous fascine de médiocrité.
Mise à part une ambiance installé dès le départ qui fonctionne 25mn ensuite c'est digne d'un nanar avec une fin aussi bidon que le reste du métrage une explosion ,générique circuler ya rien a voir, terminé.
Circulert il y a rien à voir épargnez-vous cette perte de temps.

pc
19/02/2024 à 09:59

Les plus : Très belle photographie, belle reconstitution d époque, créature plutôt réussie, assez divertissant. Les moins : des dialogues et une interprétation souvent ridicule à l instar de Jean Hugues Anglade en totale roue libre dans le jeu et la voix et qui n a jamais été aussi mauvais (et Dieu sait que j aime cet acteur) . Idem pour Thomas Solivares qui en fait des caisses dans le genre "je suis détestable et il faut que ça se voit". Bref à voir comme une série b correcte mais loin d être inoubliable.

Ringo
21/11/2023 à 10:36

@ vins, j'ai pensé exactement comme toi.

vins62370
20/11/2023 à 10:27

Bonjour, je viens de voir le film et j'ai une petite question qui m'a interpellé::

SPOILERS

Les mineurs forcent la tombe et on apprend quelques temps plus tard qu'il s'agit d'une prison pour l'empêcher de sortir et qu'il es très ancien. Pourtant les premières minutes avec le pénitant nous laisse entrevoir la main du monstre. Or même si le mineur de saint Louis a la clé sur lui il me semble improbable qu'ils est réussi à le réenfermer dans le tombeau

Ringo
19/11/2023 à 23:28

Bon bon bon... Attention possibles spoilers. Fan de Lovecraft, j'aime plutôt Le Bihan, je suis allé voir le film. Et ça démarre plutôt bien. Les tunnels des mines sont assez claustrophobes et bien sombres, normal. Mais lorsque l'on arrive dans le mystérieux souterrain, c'est bizarrement moins anxiogène. Les murs sont lisses, la roche est claire, ça ressemble à une construction humaine... à 1000 mètres de profondeur. Pourquoi pas... Il y a un plan sur un carnet, montrant comme ce que l'on voit très vite : y'a pas trop moyen de se perdre, on n'est clairement pas dans un labyrinthe à la The Descent, peuplé d'endroits très resserrés, d'autres menant dans des abysses. Alors oui il y a les hommages à Lovecraft, mais le rôle, le jeu et les dialogues d'Anglade sont franchement ridicules... Le Bihan et le jeune acteur maghrébin sont très corrects, mais sans plus. Les traces millénaires sont hyper lisibles, et le monstre est clairement raté. Le budget, ok, mais on voit qu'ils ont essayé de bricoler un truc à la Alien, sans véritable articulation (si vous regardez bien, seuls deux bras sont fonctionnels sur les six !). On ne le voit jamais avancer, normal, je ne pense pas que le mécanisme et les SFX le permettent. Je suis resté jusqu'à la fin, guettant l'hommage à Lovecraft, effectivement présent dans les remerciements. C'est louable, Stuart Gordon a fait ce qu'il pouvait sur certains films (le fauché Castle Freak), mais il faut parfois un peu plus qu'une bonne intention. Dommage.

SebV
18/11/2023 à 22:06

J’ai vu le film ce samedi dans une salle de multiplex de région parisienne déserte et je rejoins certains avis: la première partie relative à l’arrivée du héros marocain dans le nord de la France et sa découverte du monde minier est bien amenée et agréable, par contre, dès que le film bascule dans le fantastique, c’est le désastre: aucun sentiment d’oppression lié à l’aventure sous terre (nous sommes à des années-lumière de « the Descent »), aucune inquiétude pour des personnages pourtant poursuivis par une créature surpuissante et malveillante dans un environnement hostile et un monstre risible et surexposé. Cela fait mal de critiquer un des rares films de genre français, mais c’est mauvais.

Dario 2 Palma
16/11/2023 à 20:25

Je viens de le voir et je suis d'accord avec Freeman, la première partie qui introduit l'univers des personnages c 'est ce qu'il y a de mieux oui, mais quand on bascule dans le Fantastique avec la découverte de la créature (au bout d'une heure quand même..) le film devient hélas risible avec un scénario mal écrit (ces dialogues..), laborieusement explicatif et redondant, pas vraiment relevé par des personnages, situations, casting et décors en carton. Il reste 2/3 effets gore et une photo décents mais GUEULES NOIRES est vraiment plombé par son écriture et sa mise en scène maladroites qui le font virer trop souvent hélas vers la comédie involontaire.

Salamoche
15/11/2023 à 23:34

Parfois, je me demande si Cidjay ne fait pas exprès pour que la rédac lui réponde, en disant des absurdités dont il doit avoir conscience. Parce que sinon...

Geoffrey Crété - Rédaction
15/11/2023 à 23:32

@Cidjay

Venant d'un lecteur si présent sur le site au quotidien, qui suit d'aussi près nos discussions et communications, cette réaction est franchement étonnante. Allez, je réexplique :

1) Voici le fonctionnement des partenariats, déjà partagé plus bas
https://www.ecranlarge.com/partenariats

Si besoin d'avoir un résumé du résumé : pas besoin de se retenir de mordre la main qui nous nourrit puisque tout commence par "on voit un film", puis "on aime bien le film", et ensuite "peut-on être partenaire". Si nos critiques positives étaient à vendre, on roulerait sur l'or et je ne serais pas là à vous répondre un mercredi à 23h30, j'aurais trois robots-esclaves pour le faire.

2) Rien n'est objectif, absolument tous nos avis sont subjectifs, et la subjectivité c'est bien, c'est sain. On en parle environ 15 fois par semaine, donc difficile de comprendre comment on peut encore devoir le réexpliquer. Une critique, c'est un avis, et un avis, c'est subjectif. Si quelqu'un cherche la Vérité sur un film, une série, l'art ou la vie, ce ne sera pas sur Ecran Large. C'est pour ça qu'on répète que tout le monde devrait se faire son propre avis, et que personne n'a tort ou raison

@Fox

Effectivement, on se prépare, et rien ne devrait nous surprendre vu ce qui s'est passé en 2023 jusque là :)
Et merci d'avoir pris le temps de répondre sur les partenariats, ça fait plaisir, merci beaucoup !

Fox
15/11/2023 à 17:15

@Cidjay

Geoffrey a rappelé, via le lien sur la page idoine, comment fonctionne Ecran Large pour ses partenariats. A savoir qu'ils aiment D'ABORD un film et que, DANS UN SECOND TEMPS, ils décident de nouer un partenariat avec le distributeur. Après, libre à vous de croire que ça fonctionne dans ce sens, mais en tout cas c'est ce qu'ils annoncent.

Maintenant, utiliser l'expression "mordre la main qui vous nourrit" quand on parle d'un deal avec... Alba Films ?!
Non, c'est vrai, vous avez raison, l'argent doit sûrement couler à flots...

Plus
votre commentaire