The Old Oak : critique du bar miteux de Ken Loach

Antoine Desrues | 24 octobre 2023
Antoine Desrues | 24 octobre 2023

À 87 ans, Ken Loach reste ce roseau incassable du cinéma anglais, pour le meilleur mais surtout pour le pire. Il faut bien admettre qu’avec le temps, la verve sociale et politique du réalisateur est devenue une marque de fabrique, cachant ses raccourcis et son lissage de situations complexes derrière du drame indigné ronflant. Pensé comme la conclusion d’une trilogie sur les classes populaires britanniques entamée par Moi, Daniel Blake (Palme d'or en 2016) et Sorry We Missed YouThe Old Oak ne déroge pas vraiment à la règle.

Vieux chêne chiant

Ken Loach a toujours fait du nord-est de l’Angleterre un théâtre pamphlétaire, un territoire abandonné par le gouvernement depuis la fin de ses activités industrielles (les mines en premier lieu). Néanmoins, ce vase clos du désespoir a particulièrement nourri sa filmographie ces dernières années. Selon l’intéressé, ses récits, basés sur l’observation d'une certaine réalité sociale, ne pouvaient mener qu’à des tragédies inéluctables, encapsulées dans Moi, Daniel Blake et Sorry We Missed You.

A priori, The Old Oak s’inscrit dans la même mouvance, en contrastant cette classe ouvrière délaissée avec l’arrivée d’immigrés syriens, venus se réfugier dans ces petites villes sans avenir. Plus que jamais, le sentiment de dépossession de cette population britannique s’exprime par le rejet pur et simple de l’autre, et par l’enfermement identitaire qui se transforme bien vite en xénophobie.

 

The Old Oak : photoUn beau reportage TF1

 

Néanmoins, Ken Loach et son scénariste Paul Laverty ne tiennent pas à se contenter de cette fatalité. Par leurs recherches sur leurs deux précédents films, ils ont aussi constaté la résilience et le courage de ces laissés pour compte, et leur sens de la solidarité. The Old Oak se veut donc plus optimiste, bien qu’il n’évite pas les grosses ficelles du mélodrame pour nous tirer les larmes.

À vrai dire, la démarche de son réalisateur est plus que jamais agaçante, au vu de ce fossé entre la théorie de son écriture et la pratique de sa mise en scène. Sur le papier, il y avait quelque chose d’à la fois beau et ludique à faire d’un pub (le Old Oak du titre) le microcosme de cette société usée, le dernier bastion de vie et de rassemblement de cette communauté. Avec la lumière diffuse qui passe par ses fenêtres et les couleurs délavées de ses murs, le lieu transpire de mélancolie, d’un temps révolu qu’il faut accepter de laisser derrière soi.

Pourtant, Ken Loach en tire le ring un peu facile de tensions binaires, entre TJ, le gérant au cœur tendre (Dave Turner) et ses habitués, peu enclins à accueillir ces gens traumatisés par la guerre. L’amitié naissante entre ce patron solitaire et Yara (Ebla Mari), une jeune migrante passionnée par la photographie, devient alors le fil conducteur d’une reconnexion, d’un lien social qui va rassembler coûte que coûte ces deux pôles qui n’ont pas à s’opposer.

 

The Old Oak : photoAmitié tendre ou clichée ?

 

I'm just Ken

Comme d’habitude avec le cinéaste, on pourra se réjouir de sa sincérité, ou rouler des yeux face à l’évidence de son approche. S’il dépeint la guerre en Syrie comme ce hors-champ indéchiffrable, il garde aussi à distance la politique britannique, à peine évoquée dans le discours de ses personnages. Pourtant, c’est bien là que se concentre la problématique du long-métrage : comment avoir des idéaux quand le parti travailliste s’est montré tout aussi incompétent que les conservateurs ?

En bref, il y avait de quoi capter l’aspect irrationnel de cette haine de l’autre, et s’attarder en priorité sur un sentiment d’injustice qui amène des communautés à se liguer les unes contre les autres. Mais plutôt que de pointer du doigt de potentiels responsables (plus haut dans l’échelle sociale), The Old Oak reste focalisé sur cette bassesse humaine, plus simple à dénoncer dans sa dimension dramatique et vaine. Dès que les personnages essaient de se façonner un avenir, il y aura toujours des mécontents pour tout détruire.

 

The Old Oak : photoLe mignon petit chien ne peut pas tout rattraper

 

Résultat, en plus de construire son récit sur des retournements de situation évidents, son réalisateur annihile son ambition initiale : naviguer entre des zones de gris pour mieux comprendre sa multitude de points de vue. Ses vieux réacs aigris ne sont jamais rien d’autre que des antagonistes risibles, alors que le cinéaste pourrait déranger en disséquant les conditions de leur pensée.

En lieu et place, The Old Oak reste très confortable dans sa dimension militante, et confirme le véritable problème du cinéma de Ken Loach. Plutôt que de poser des questions sur la réalité complexe qu’il met en scène, il préfère se contenter de réponses toutes faites et prémâchées. Un triste paradoxe, au vu des préjugés que cherche à dénoncer le film.

 

The Old Oak : Affiche française

Résumé

Le nouveau cru de Ken Loach se veut toujours aussi ronflant et misérabiliste, alors qu’il vise exactement l’inverse. Ou comment plomber la théorie par la pratique.

Autre avis Alexandre Janowiak
Sans surprise, The Old Oak est un énième (télé)film social sans relief où Ken Loach (avec la complicité de Paul Laverty) mélange tout avec un opportunisme agaçant dans un grand récital démago et simpliste prêt à tout pour faire verser des larmes.
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commentaires
Sanchez
25/10/2023 à 11:31

Rien que la bande annonce puait la guimauve.

ken le vrai
25/10/2023 à 08:34

Excellent ken loach, ce film tape juste loin de l'hégémonie intellectuelle des élites et de leurs progénitures. Évidemment loach n'est pas dans les réseaux de l'establishment français du cinéma et sa ce lit.

Nicolas6902
24/10/2023 à 21:10

Est-il possible de commenter??

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