Saw 10 : critique du fossoyeur de Jigsaw

Déborah Lechner | 25 octobre 2023 - MAJ : 02/11/2023 09:40
Déborah Lechner | 25 octobre 2023 - MAJ : 02/11/2023 09:40

John Kramer, le tueur au puzzle de Tobin Bell est mort depuis 2006, ce qui n'empêche pas Lionsgate de maintenir sa saga sous respirateur depuis, comme dernièrement avec Saw 10 (alias Saw X). Après le spin-off Spirale – l'Héritage de Saw qui voulait s'écarter de la (longue et bordélique) trame narrative de la franchise pour ne reprendre qu'une partie de son iconographie, ce dixième volet réalisé par Kevin Greutert se déroule du vivant de John Kramer, quelque part entre Saw 1 et 2, l'appât du gain et la pure bêtise. Attention : quelques spoilers !

PLUS SAW QUE JIGSAW

Après que Darren Lynn Bousman a remis un pied (bien attaché à sa jambe) dans la saga de torture porn avec Spirale, c'est le réalisateur Kevin Greutert (Saw 6 et 7) qui est revenu tordre quelques boyaux, cette fois en compagnie du scénariste Josh Stolberg passé lui aussi maître du supplice avec Spirale. Et quand on parle de supplice, on parle bien du film en lui-même, c'est-à-dire un thriller policier ennuyeux et creux qui répétait inlassablement les mêmes erreurs que le reste de la franchise, tout en occultant ce qui en faisait un plaisir coupable.

 

 

Mais rien que l'affiche et la bande-annonce de Saw X promettaient de se rapprocher de l'essence de la saga, pas pour s'immoler, mais retrouver l'identité si affirmée des premiers films et donc se réconcilier avec les fans du genre, et surtout de la saga. Et quelle meilleure madeleine de Proust qu'un entrepôt bien poisseux et crade qui suinte l'hépatite B, avec des chaînes rouillées et des gens terrifiés au bout qui implorent pour leur vie ? Exit donc les salles de torture stérilisées, les policiers incompétents et pièges tellement complexes qu'ils n'en étaient même plus drôles ou éprouvants. Saw X s'est voulu plus simple et épuré, presque intime dans son approche (toute proportion gardée).

 

 

Le scénario, pour une fois, ne fait pas mille allers-retours inutiles et est construit comme une sorte de best of charnel de la saga. La seconde moitié du film rejoue ainsi malicieusement les moments les plus iconiques et pénibles des films, comme l'amputation (la classique, l'indémodable), la craniotomie ou le broyage de malléole, non sans des effets pratiques qui tachent comme il faut et provoquent les grimaces attendues.

La promesse d'un torture porn bien vicieux et graveleux (à l'ancienne quoi) est donc tenue, ce qui permet de pardonner la reprise de certains gimmicks insupportables et désuets. On peut citer pêle-mêle la caméra qui tourne frénétiquement pour refléter la panique des victimes, tout comme le montage agressif et les sacro-saints flashbacks, qui nient toujours autant, si ce n'est encore plus, la capacité d'attention et de déduction du public. 

Mais être moins pire que Spirale ou Jigsaw ne fait pas de Saw 10 un bon film ou même un film correct. 

 

Saw X : photoLui, c'est pas le scalpel le plus aiguisé du chariot d'instruments chirurgicaux

 

jigsaw le héros

La saga Saw a toujours mis la suspension d'incrédulité du public en jeu, que ce soit avec l'endurance extrême des victimes qui se charcutent sans tourner de l'oeil ou le génie supposé de John Kramer, ce grand manitou plus intelligent que tout le monde (surtout la police) qui a toujours 8 coups d'avance et autant d'apprentis secrets. Ce dixième volet la met un peu plus encore à l'épreuve en forçant le public à gober que John aurait toujours 50 ans et Amanda une trentaine d'années alors que les acteurs ont respectivement 81 et 54 ans. Mais soit, disons que la drogue et le cancer n'aident pas à paraître jeune.

 

Saw X : photoAmanda "Young", vraiment ?

 

Faire de John Kramer un anti-héros est toutefois la pilule la plus difficile à avaler. Qu'on soit bien clair : personne ne vient chercher dans Saw une quelconque morale ou décence, vu que le principe même du torture porn est de regarder des gens hurler à la mort avec les tripes à l'air tout en se disant que nous, on ne s'y serait pas pris comme ça pour se couper [insérer une partie du corps humain]. Sauf que Kramer, comme Hoffman ou Amanda, n'ont heureusement pas été dépeints comme des enfants de choeur ou de grands humanistes incompris. Ce sont tout simplement des psychopathes en puissance, et John un parfait antagoniste. 

Depuis le premier film, son discours est contradictoire, ses actions injustifiables et sa cause complètement bidon. Sinon, le simple fait d'être une femme battue ou un policier ne serait pas des conditions totalement valides à ses yeux pour être enlevé et torturé. C'est une ordure convaincue de faire le tri avec une auréole sur la tête, et c'est ce qui le rend aussi intéressant et glaçant. 

 

Saw X : photoELLE A DU SANG SUR LES MAINS, VOUS COMPRENEZ ?

 

Mais comme Saw 10 est le film où John Kramer a le plus de temps d'écran, la tentation de l'humaniser ou de justifier ses atrocités était visiblement trop forte. Dès les premières minutes, John est semblable à un pauvre vieillard malade et abusé par des escrocs qui sont encore plus impitoyables et sadiques que lui, sans parler du système injuste qu'il vient rééquilibrer tel un Zorro en tricycle. Cette réplique qu'il prononce "Ils tuent avec leurs faux espoirs", ahurissante tant elle est dite au premier degré, résume bien l'idéalisation problématique, et même carrément infecte, du personnage qui châtie les vilains et sauve l'orphelin.

Ce sont donc d'autres personnages qui jouent les méchants bons pour la chaise électrique, avec une écriture tellement caricaturale qu'elle frôle presque le point Godwin. À ce stade, on aurait presque préféré la suite de Spirale, qui aurait sûrement été plus barbante et d'une naïveté affligeante, mais assurément moins nauséabonde dans son propos. 

 

Saw X : affiche

Résumé

Saw 10 aurait pu être une replongée drôle et divertissante dans le bain de sang, de viscères et de mauvais goût qu'a toujours été la saga, mais vouloir faire de John Kramer un anti-héros est aussi dérangeant et dérangé que le code moral du personnage. 

Autre avis Geoffrey Crété
Un des moins mauvais Saw, qui a deux arguments : des pièges hilarants de cruauté, et aucune sous-intrigue de flics à la mords-moi-le-nœud.
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Lecteurs

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commentaires
Hoffman
02/03/2024 à 00:14

Votre critique est très intéressante ! Ce qu'il y a de plus malsain dans Saw, ce n'est pas le gore (qu'on retrouve dans mille autres films d'horreur) mais l'idéalisation d'un tortionnaire (présenté comme un grand humaniste) et la justification rationnelle de la torture. Et le pire, c'est que John Kramer argumente toujours très bien : si l'on oublie que le postulat de départ ("les traumas soignent") est délirant, l'on peut se laisser happer par sa logique (d'autant plus car elle flatte nos désirs de vengeance). De plus, l'argumentaire de Kramer renvoie à une idée de Nietzsche : la liberté est un prétexte pour châtier, "tu es libre, donc tu es responsable, donc tu mérites de souffrir si tu as mal agi." Kramer, comme les religieux, justifient la souffrance infligée aux "pécheurs" par le libre-arbitre. Mais est-on vraiment toujours libre de nos choix, comme il le prétend dans Saw X ? Quid du déterminisme ? Nos gènes et notre milieu social n'ont-ils pas un poids très fort ? Être drogué n'est-il pas souvent le résultat d'une histoire complexe (familiale, sociale, etc.) ? Bref, la philosophie de Saw semble faire abstraction de l'inégalité des chances et des conditionnements divers. Dans une perspective moins droitiste, l'on pourrait considérer que les vrais coupables sont moins les "drogués paumés" que les riches qui créent la misère.

MiMI89
31/10/2023 à 14:01

On devine assez facilement et rapidement le scenario, j'ai trouvé ce saw avec trop de scènes longues pour une fin prévisible. donc plutot decue de ce SAW

Geoffrey Crété - Rédaction
31/10/2023 à 12:24

@nhnhnh

"Objectivement" ? Rien. On est ici dans le domaine des avis, des opinions, du subjectif, comme toujours lorsqu'on parle de cinéma et d'art en général. Votre avis est subjectif, le nôtre aussi, et tant mieux. On ne voit pas non plus ce qu'on aurait pris "personnellement", puisqu'on a simplement donné notre avis (c'est notre travail).

En tout cas, libre à vous d'aimer ce film et de ne pas être d'accord avec nous, ou même de nous coller tout un tas d'intentions.

J. Clarck
30/10/2023 à 14:40

Histoire trop schématique... 2 rebondissements et c'est tout ! Déborah ne croit pas à la rédemption...

nhnhnh
29/10/2023 à 02:43

Il faut vraiment l'avoir pris personnellement pour en venir à faire cette "critique" ...
Finalement il y a pas d'arguments pour dire si c'est un bon ou mauvais film.
La seule chose sur laquelle vous tiqué est le fait que le personnage soit nuancé (car oui tout être humain n'est ni tout noir ou tout blanc sinon on tombe dans le cliché) Donc hormis le fait que ça ne vous plaise pas qu'on critique la société et les arnaqueurs et qu'on parle des malades du cancer qu'est ce qui objectivement de ce film un mauvais film ?

De plus ce que vous critiquez est semblable à saw 6 et d'autres films où il punit des gens qui font du "mal" et sont immoral. Vous auriez préférer qu'ils s'en prennent à des innocents ? Ce qui vous plaît c'est qu'on puisse faire un film où des clichés de personnes qu'on déteste tous se fasse tuer.

Gizmoket
28/10/2023 à 13:03

Nan mais Déborah, c'est pas un nazie John Kramer non plus.
Depuis le début il veut juste corriger les mauvais comportements des gens. C'est bien ! C'est un mec bien, ça l'a toujours été ! Faudrait plus de donneur de leçons comme lui! Justement !
En quoi c'est nauséabonde de l'humanifier ?

m@x
26/10/2023 à 08:42

@ tous
Pour ceux qui cherchent une logique dans les films "Saw," il est préférable de ne pas en attendre trop, car ces films sont surtout axés sur les scènes de torture et le gore plutôt que sur une histoire solide et logique. Il suffit d'attendre des revirements de situation inattendus et des scènes de torture visuellement choquantes, pas plus.

Geoffrey Crété - Rédaction
25/10/2023 à 16:26

@User

***spoilers***

Je ne suis pas expert mais je ne serais pas étonné qu'il existe des gaz extrêmement dangereux et volatiles. Et surtout : si on commence à parler de la cohérence de la saga Saw et ses pièges...

User
25/10/2023 à 15:33

**spoilers***

@Geoffrey Crété et @K
Moi ce que je trouve aberrant avec cette fin c'est que je ne vois pas comment le gaz peut envahir la pièce...avec une telle ouverture dans un mur.
Un gaz, ça s'échappe...

J'ai vraiment aimé le film, mais cette fin m'a un peu déçu aussi...

motordu
25/10/2023 à 13:55

@Geoffrey
D'accord, super ! Belle réactivité dans les commentaires :)

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