Linda veut du poulet ! : critique qui mange pas végé

Adrien Roche | 17 octobre 2023 - MAJ : 17/10/2023 11:46
Adrien Roche | 17 octobre 2023 - MAJ : 17/10/2023 11:46

Sébastien Laudenbach s’est fait connaître du monde de l’animation française en 2016 avec La jeune fille sans mains. Sa délicatesse et son style graphique lui ont permis de remporter le prix du jury au festival international du film d'animation d’Annecy. On avait donc (très) hâte de voir ses prochains films. Le voici de retour en 2023 au côté de Chiara Malta, avec qui il a réalisé le court-métrage A comme Azur. Les deux cinéastes retournent à l'animation avec Linda veut du poulet !. Présenté à l’ACID lors du Festival de Cannes puis à Annecy, il y a remporté le Cristal du long-métrage, et c'est largement mérité.

mémoire de mon père

Linda et sa mère Paulette vivent dans un HLM d'une cité aux environs de la capitale. Alors que Linda emprunte la bague de sa mère, le précieux anneau finit par être perdu. Paulette soupçonne sa fille de l'avoir échangé contre un joli béret jaune, et la punit en l'envoyant dormir chez sa tante. Mais lorsqu'elle réalise que Linda n'y est pour rien, elle propose à la jeune fille de lui donner tout ce qu'elle souhaite. Sa réponse : un poulet aux poivrons, recette phare de son père défunt. Problème : en France, c'est jour de grève générale, et rien n'est ouvert. La pauvre veuve va devoir se démener pour subvenir aux envies de sa fille, quitte à enfreindre la loi.

Ce qui s'annonçait comme un film essentiellement drôle prend un autre tournant dès les premières minutes, lorsque la jeune Linda tente de se remémorer ses plus beaux instants avec son père sans y parvenir. Ses souvenirs s'embrouillent dans un tourbillon de couleurs et captent immédiatement l'attention. Chaque personnage dispose d'une unique couleur représentative et constitue une pièce d'un puzzle sociétal. Linda, joyeuse et solaire est bien évidemment jaune. Sa mère est orange, les policiers bleus... Mais lorsque les souvenirs s'en mêlent, les couleurs s'inversent : les personnages deviennent noirs et les contours prennent leurs couleurs, pour un résultat rempli de sincérité et de poésie.

 

Linda veut du poulet ! : photoSouvenirs enchanteurs

 

Et au cœur de cette myriade de couleurs, un tourbillon d'émotions. Parce que dans Linda veut du poulet !, les adultes n'ont jamais vraiment grandi. Dans la réalité non plus et le film fait tout son possible pour nous le rappeler. Chacun vit à travers ses souvenirs et ses rêves inaccomplis. Ces personnages monochromes à peine esquissés nous invitent à les suivre pour rire, pleurer et surmonter leurs peurs dans une épopée incongrue à l'objectif absurde : trouver un poulet pour le cuisiner. Rapidement, de nombreux personnages s'en mêlent, et l'aventure qui commençait en duo finit par rassembler toute une cité.

Et tout ceci est réussi grâce à un mixage sonore impeccable. La raison de cette authenticité : l'animation a été faite après le tournage, et non l'inverse. Car oui, le film a eu un tournage de 5 à 6 semaines avec des acteurs (et non des doubleurs) se mettant dans les conditions des futurs dessins. Sébastien Laudenbach et Chiara Malta ont réussi leur pari : le rendu fait plus vrai que vrai et déborde de sensibilité.

 

Linda veut du poulet ! : photoC'est quoi ce poulet ?

 

portrait d'une france (presque) en feu

En plus de nous faire traverser toutes sortes d'émotions en moins de 1h15, les cinéastes installent un climat de haine et de rébellion au cœur de la cité qui demande "du pognon, du pognon" dans une manifestation haute en revendications. De leur côté, les enfants impatients de manger le fameux poulet clament "on a faim, on a faim", et nous montrent que les problématiques ne changent pas vraiment au cours des différentes périodes de la vie. Ce peuple enragé fait écho à la situation française actuelle et inscrit son récit dans un contexte quasiment réel.

Quasiment, oui, parce que Linda veut du poulet ! est bien plus optimiste que la plupart des Français. Le pays n'est pas aussi divisé, et l'entraide atteint des sommets. Du coursier allergique à la volaille au policier maladroit qui rêvait d'être magicien en passant par la prof de yoga loin d'être détendue, tous les profils de personnages forment une alliance inébranlable dans cette quête.

 

Linda veut du poulet ! : photoThe Tree of life

 

Le long-métrage est plus proche de l'utopie que du pamphlet et dégage, grâce à son rythme effréné, une vitalité débordante. Peut-être vient-elle de ces dessins qu'on a envie d'accrocher au mur de sa chambre, ou bien des dialogues et bruitages qui permettent de retranscrire à merveille une journée de rassemblements. Par moments, le chaos de La Bataille de Solférino de Justine Triet semble bien proche. Mais au lieu de sombrer dedans, Linda veut du Poulet ! s'en écarte toujours juste à temps pour nous offrir de splendides moments de communion et de sérénité.

Car lorsqu'une vague de CRS arrive dans la cité et annonce un moment chaotique, un bataillon d'enfants les renvoie d'où ils viennent. Sébastien Laudenbach et Chiara Malta font de leur long-métrage une ode à l'entraide et à l'insouciance. Dans une démarche un peu naïve, les deux cinéastes nous rappellent que l'amour et la mémoire de nos proches nous permettent de surmonter les obstacles les plus tenaces. Parfois trop explicite (il pleut au début et il fait beau à la fin dans un happy-end tiré par les cheveux), le long-métrage nous montre sa volonté de s'adresser (aussi) à un jeune public. Face à la morosité de la vie, Linda veut du Poulet ! nous déballe un arc-en-ciel de couleurs et de positivité.

 

Linda veut du poulet ! : affiche officielle

Résumé

Portrait optimiste d’une France brisée qui s’aime et qui s’entraide, Linda veut du poulet ! réchauffe les cœurs. Hilarant et attendrissant, le film combat la grisaille du quotidien grâce à une animation riche en couleurs et un mixage sonore d'une rare efficacité.

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Lecteurs

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commentaires
Fou Dubulbe
20/10/2023 à 23:41

@Adrien Roche
J'ai dû mal à comprendre ce que vous reprochez à la fin et ce que vous entendez par "tirée par les cheveux" (je comprends que vous ne pouviez pas spoiler dans une critique bien sûr).

[SPOILER] Personnellement, j'ai trouvé que cette communion de l'entièreté des personnages autour d'un poulet qui remplit par magie des dizaines d'assiettes était une très belle fin clôturant parfaitement le film. Une sorte de grand buffet de fin d'album Astérix après avoir vu le village gaulois se chamailler tout le long d'un album.

Adrien Roche - Rédaction
19/10/2023 à 11:37

@Fou Dubulbe

Ravi de vous avoir poussé à aller voir le film ! Il mérite en effet d'être vu. Je l'ai trouvé super, mais comme je le mentionne à la fin du papier, j'ai été un peu plus hermétique à sa fin, moins aboutie que le reste. J'ai tout de même beaucoup aimé ! Son traitement du deuil est très touchant et mérite, pour son inventivité et sa justesse, d'être vu.

Il faut désormais parler du film partout autour de vous comme le suggère @Grey Gargoyle !

Grey Gargoyle
18/10/2023 à 22:50

Hello,

j'ai été le voir à une avant-première et j'ai passé un bon moment. S'il-vous-plaît, si vous avez vu et apprécié le film, parlez en autour de vous, jouez les relais d'opinion le plus possible, faites passer le mot via les réseaux sociaux.
Bien qu'il ait eu le principal prix à Annecy et qu'il ait fait le buzz autour de lui chez les professionnels, actuellement, il ne bénéficie pas de beaucoup de communication autour de sa sortie.
L'avant-première à laquelle j'ai assisté était en début de semaine et n'avait pas attiré la foule dans ce cinéma art et essai. Or, je pense qu'il mérite d'être vu en salle.
Aussi, je le recommande et j'espère qu'il va marcher, sincèrement.

Bien cordialement

Fou Dubulbe
18/10/2023 à 17:09

Je suis bien content que ma boulette m'ait amené à m'intéresser à ce chef-d'œuvre. Je l'ai tellement apprécié que je vous trouve même trop peu empathique dans votre critique !

Alors que j'avais l'impression que ce film ne se distinguait pas vraiment des autres productions du cinéma d'animation indépendant français et que je ne comprenais donc pas pourquoi il avait remporté le Cristal du long-métrage (d'autant plus que Le Petit Nicolas qui l'avait gagné l'an dernier m'avait plutôt déçu), je n'ai maintenant plus rien à redire à part que j'espère que ce Jour de fête ou Amarcord moderne remportera le succès en salle qu'il mérite !

Fou Dubulbe
17/10/2023 à 19:56

Merci à tous pour vos explications, je n'avais effectivement pas compris le processus de travail (et le style graphique très "lâché" a participé à m'induire en erreur). J'irai voir le film pour me faire pardonner ^^

Adrien Roche - Rédaction
17/10/2023 à 17:08

@Fou Dubulbe

Bonjour,

La technique utilisée n'est pas la rotoscopie. Il y a eu un tournage avant l'animation certes, mais les dessins ont été créés de A à Z et n'ont pas été rajoutés sur les séquences filmées. L'animation est d'ailleurs très réussie, comme mentionnée dans le papier. Je vous conseille d'aller le voir !

Blibli
17/10/2023 à 15:51

Sébastien Laudenbach était mon professeur d'animation et je peux garantir que c'est pas de la roto, il en a absolument pas besoin avec son talent.

Shuntoyz
17/10/2023 à 15:23

@Fou Dubulbe:
Il ne s’agit pas de rotoscopie mais bien d’animation traditionnelle.
Le tournage avec des acteurs sert surtout de référence pour les animateurs qui ré-interprètent l’acting et disposent ainsi de moult détails et subtilités pour faire leur travail. Les cadrages du shooting ne correspondent pas forcément au board il faut aussi faire tout le travail de Layout de façon conventionnel. Quand aux réalisateurs, ça leur permet d’avoir une approche davantage vivante que de diriger des comédiens dans un petit studio d’enregistrement.
Les réalisatrices des Hirondelles de Kaboul avait procédé de la même façon: Tournage de référence, puis storyboard, layout, animation traditionnel (poses clés, clean/assistanat, colorisation…) et tout ce qui va avec la 2D tradi.

Fou Dubulbe
17/10/2023 à 13:18

Ça a l'air mignon tout plein, mais je suis trop allergique à la rotoscopie. Une technique "cul entre deux chaises" qui empêche de profiter, au choix, du jeu des acteurs ou de l'expressivité des dessins.

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