Le Consentement : critique d'un pédophile pris à son propre piège

Alexandre Janowiak | 11 octobre 2023
Alexandre Janowiak | 11 octobre 2023

En 2020, dans la lignée du mouvement MeToo, Vanessa Springora publiait Le Consentement. Son autobiographie, racontant sa liaison traumatisante avec l'écrivain Gabriel Matzneff dès ses 14 ans (alors qu'il en avait 50) et l'emprise durable de ce prédateur (pédophile de surcroit, n'ayons pas peur des mots) durant son adolescence, est devenu un véritable phénomène de société. Trois ans plus tard, la cinéaste Vanessa Filho a adapté le livre avec Le Consentementfilm fort et violent qui devrait replacer encore un peu plus le principe de consentement au coeur des discussions, porté par Kim HigelinJean-Paul Rouve et Laetitia Casta.

ange et démon

L'autobiographie de Vanessa Springora était une véritable claque. Avec une écriture sans détour, le récit implacable de son adolescence prenait aux tripes, arrachait des larmes de dégoût et agrippait le coeur. Alors forcément, devant son adaptation cinéma, difficile de ne pas être légèrement insatisfait. Attention, l'entreprise était loin d'être simple. Au contraire, elle était même terriblement périlleuse tant les mots de Vanessa Springora et son histoire d'emprise auraient rapidement pu être romantisée entre de mauvaises mains, et ainsi rater totalement son objectif.

Vanessa Filho évite, heureusement, cet écueil, le personnage de Gabriel Matzneff étant immédiatement révélé au grand jour : derrière ce séducteur charismatique se cache surtout un prédateur avéré. Le doute n'existe pas dans Le Consentement (d'autant que lui-même ne s'en cache pas vraiment), c'est un pervers narcissique et un manipulateur se servant des mots, de son talent oratoire, pour attraper ses jeunes proies et futures victimes, dont Vanessa Springora.

Cela dit, la transposition au cinéma était d'autant plus difficile pour la réalisatrice qu'il est complexe de s'approprier un tel récit. En en faisant trop, comment ne pas avoir peur de voler une histoire si personnelle ? En n’en faisant pas assez, comment ne pas risquer d'en assécher le propos ? Et justement, c'est sûrement sur ce point que Le Consentement dévoile son fragile équilibre.

 

Le Consentement : Photo Kim HigelinKim Higelin, impressionnante dans la peau de Vanessa Springora

 

qui ne dit mot, ne consent pas

Car si Vanessa Filho gravit des montagnes en comparaison de son premier film Gueule d'ange – drame maternel franchement ampoulé –, elle souffle ici le chaud et le froid en permanence. Rien d'illogique pour une réalisatrice dont c'est seulement le deuxième film, mais cela diminue occasionnellement la force du récit. Capable de transcender des scènes profondément douloureuses (la relation mère-fille, la hardiesse d'une directrice dont la sentence tombe comme un couperet) et de confronter les spectateurs à l'insoutenable avec des scènes de sexe qui s'éternisent volontairement pour ne rien leur épargner (ou un full frontal brutal), Vanessa Filho épate par son aplomb à plusieurs reprises.

Et pourtant, à d'autres niveaux, son manque d'assurance est criant. Même si le jeu sur la voix-off persistante est ingénieux (Vanessa ne pense qu'à travers la voix de Matzneff jusqu'à un déclic final salvateur), le refus de plonger véritablement dans l'esprit de Vanessa (excellente Kim Higelin) dès le départ en donnant presque trop de place à Gabriel Matzneff (terrifiant Jean-Paul Rouve en grand méchant loup) est un petit aveu d'échec. Le choix est compréhensible, mais indubitablement, il empêche le film de se fondre pleinement dans le point de vue de Vanessa (une volonté pourtant manifeste) et d'avoir une vraie cohérence scénique.

 

Le Consentement : Photo Jean-Paul Rouve, Kim HigelinComme une méchante petite voix par dessus l'épaule

 

Le Consentement a beau user de plans à la troisième personne (derrière le corps de Vanessa) voire de plans subjectifs (un missionnaire profondément gênant), la réalisatrice ne parvient pas vraiment à faire ressentir l'attirance physique de son héroïne envers Gabriel Matzneff. Le spectateur en a forcément conscience, la jeune adolescente l'affirmant régulièrement, mais l'écrivain étant dépeint comme un monstre calculateur rapidement, on reste forcément à distance et on ne peut pas éprouver son admiration.

C'est d'autant plus frustrant que Vanessa Springora se questionnait aussi sur un point très précis dans son livre : "Comment admettre qu'on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? Quand, en l'occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s'est empressé d'en profiter ?" (citation tirée du livre). Cette réflexion intime sur l'idée même de consentement et du déni de réalité, Le Consentement ne l'occulte pas totalement entre les disputes avec sa mère, les signaux d'alerte évincés... Pour autant, il ne la creuse pas vraiment non plus, son récit s'attardant avant tout sur le mécanisme d'emprise exercé par Matzneff plus encore que l'introspection, le courage et la résilience de son héroïne.

 

Le Consentement : Photo Kim HigelinMiroir, mon beau miroir

 

pris à son propre piège

Le Consentement n'est donc pas un film parfait. Mais même si c'est forcément regrettable, ce n'est pas grave. Le film de Vanessa Filho est plus passionnant en tant qu'objet de société qu'en simple objet de cinéma. Et finalement, c'est peut-être ce qui était le plus important au vu de son sujet. Vanessa Springora le disait elle-même en interview, se remémorant ses souvenirs d'antan et une interrogation saisissante : comment comprendre que ce qu'il se passe n'est pas normal quand Gabriel Matzneff se cache si peu ?

Même si le film est plein de défauts (au niveau de sa narration, de sa mise en scène...) et ne vise pas toujours les bonnes cases (selon l'auteur de ces lignes en tout cas), ce qu'il raconte d'une époque (en particulier les années 80 ici) lui confère une aura indéniable. En décidant de mettre en scène les corps de Vanessa et Matzneff, de ne rien cacher de leurs ébats, Le Consentement (film) permet de mettre en images ce que Le Consentement (livre) ne pouvait faire, lui qui laissait forcément l'imagination prendre le dessus sur ladite réalité. Une image vaut mille mots dit-on, et avec le medium cinéma, Vanessa Filho a le pouvoir de montrer l'horreur plus frontalement tout en pouvant s'adresser à un public encore plus large.

 

Le Consentement : Photo Kim HigelinEnfermer dehors, recroqueviller dedans

 

Et c'est sûrement en montrant les atrocités de Matzneff avec autant de détermination que Le Consentement trouve sa vraie valeur : dénoncer la complicité d'une société qui préférait ne rien voir et ne rien faire, voire l'acceptait. Pour quoi faire ? Pour que ce monde encore trop ignorant ne reproduise plus les mêmes erreurs.

Matzneff ne cachait pas ses relations, sortait avec ses conquêtes mineures dans des soirées mondaines, les laissait l'accompagner lors de ses passages télévisés et racontait ses liaisons (sans le consentement de ses proies) dans des livres salués par la critique. C'est ce que Matzneff voulait pour sa gloire et la complaisance de la société le lui a rendu pendant des années (il a même reçu le Prix Renaudot essai en 2013).

Près de quarante ans après les faits, Le Consentement a gravé pour la postérité la réalité derrière ledit écrivain. Plus qu'un simple livre, Vanessa Springora livrait un véritable acte de résistance, voire un geste artistique inédit, avec son autobiographie en décidant de prendre son chasseur à son propre jeu (et piège) : l'enfermer dans un livre à tout jamais pour mieux dénoncer ses crimes odieux. Désormais, son déshonneur, sa monstruosité et son vrai visage seront aussi ancrés pour toujours sur un écran.

 

Le Consentement : Affiche officielle

Résumé

Si Le Consentement est imparfait, il devrait ancrer un peu plus le principe de consentement au coeur des esprits grâce à sa frontalité, sa noirceur et sa résonnance.

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Lecteurs

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commentaires
GEON
21/01/2024 à 10:51

80 ans ce film est une horreur
immorale , sans foi ni loi
une vie facile , bestiale , sans volonté ,
l inconscience !!!!
aucune valeur
aucun sentiment
zèro sur 20

PatruelBrick
12/10/2023 à 19:17

Film vu hier soir. La première chose qui m'a frappé quand le générique défilait c'est le silence glacial qui régnait dans la salle. Pas un silence malaisant, le malaise on l'avait tous ressenti avant, au cours du visionnage mais plutôt un silence pesant, lourd. Parce qu'il est difficile de savoir quoi dire ou quoi penser du film lorsqu'il s'arrête. Impossible de dire qu'on "aime" ce film non plus tellement le sujet est révulsant, par contre ce qui est évident c'est que c'est un film qui ne s'oublie pas, qui laisse des traces, des cicatrices. De nos jours c'est rare. Formellement le film n'est pas parfait mais la mise en scène sert très bien le propos et une réalisation trop brillante aurait sûrement desservi le sujet. Au niveau des acteurs rien à redire, ils sont tous bluffants. Seul petit bémol à mon goût, la musique du film qui prend parfois un peu trop de place, alors qu'au final il n'y a que quelques séquences musicales mais elles appuient un peu trop ce que l'on voit déjà à l'écran. L'interdiction aux moins de douze ans avec avertissements me paraît un peu légère, j'aurais personnellement préféré moins de seize ans mais en même temps les prédateurs n'attendent pas que leurs proies aient seize ans pour agir, ils attaquent avant. Du coup je trouve que l'interdiction telle qu'elle est fait sens.

Jambon1erPrix
12/10/2023 à 18:28

Rorov94m c'est marrant dans ta diatribe anti gauche - pédophile tu oublie de parler de l'extreme droite qui dans les années 70 -80 était pro pédophilie et pro pédérastrie. Exemple, De Benoist qui écrit sur MATZNEFF« Quant aux jeunes personnes qui fréquentent Gabriel Matzneff, je ne doute pas qu’elles apprendront à son contact plus de choses belles et élevées que dans la vulgarité et la niaiserie que sécrète à foison leur vie familiale et scolaire. ».
On peut aussi parler de Christian Bouchet ou R.Camus qui soutiennent les actes pédophiles.
On peut aussi parler des magazines d'extreme droite de l'époque qui défendaient "l'érotisme adolescent" en montrant des ados a poils, comme la revue palaestre, revue néo nazi interdite en en 1994 pour incitation à la pédophilie.

Rorov94m
12/10/2023 à 09:56

@rigolard
C'est marrant tous ces gauchattardés...

Rigolade
11/10/2023 à 15:40

C'est marrant tous ces droitardés.

Cidjay
11/10/2023 à 13:25

@Rorov94m : Google peut vous aider à trouver un psychiatre proche de chez vous. N'oubliez de demander un séance auprès de votre médecin généraliste pour obtenir un remboursement.

Alexandre Janowiak - Rédaction
11/10/2023 à 11:10

@Ded

Si complètement, je sais pas pourquoi j'avais mis "sonne". C'est corrigé !

@Tutafeh

J'en suis ravi. Se faire son propre avis est toujours ce qui compte le plus. Bonne future séance !

Tutafeh
10/10/2023 à 19:27

J'hésitais à aller voir le film, la B-A ne me le vendait pas.
Mais merci Alexandre pour ta critique, tu m'as donné envie de me forger ma propre opinion.

Ded
10/10/2023 à 17:53

Euh... on ne dit pas "souffler" le chaud et le froid ?!

Sanchez
10/10/2023 à 12:29

@morcar

Pourquoi essayer de raisonner un imbecile ?

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