Yannick : critique rattrapée par la réalité

Alexandre Janowiak | 1 août 2023 - MAJ : 02/08/2023 10:56
Alexandre Janowiak | 1 août 2023 - MAJ : 02/08/2023 10:56

Alors qu'il s'emmerdait devant la projection cannoise de son Fumer fait tousser, Quentin Dupieux a eu une énième idée de scénario en observant le petit numéro de son comédien Raphaël Quenard. Ainsi est né Yannickson douzième long-métrage, tourné en six petits jours à Paris dans le plus grand secret et également porté par Blanche GardinPio Marmaï et Sébastien Chassagne.

les acteurs

Héritier d'un cinéma burlesque français mené autrefois par Bertrand Blier et Jacques Tati (rien que ça), Quentin Dupieux a largement remanié le genre pour lui offrir une liberté bienvenue (Steak, Réalité, Au poste !...). Et pourtant, derrière ses farces originelles, le cinéaste semble plus inquiet que jamais de la tournure du monde. Hormis le décomplexé Mandibules, les derniers films de Dupieux ont pris un tournant plus grave, dissimulé derrière l'absurdité inhérente de son cinéma.

Ainsi, la folie meurtrière sans queue ni tête du anti-héros de Le Daim dénonçait finalement l'obsession pas si irrationnelle d'un marginal malmené par un monde de plus en plus individualiste pouvant mener aux pires atrocités. L'élément surnaturel saugrenu d'Incroyable mais vrai laissait place, lui, à une fable mélancolique sur le temps qui passe et la crainte de ne pas laisser de trace, quand Fumer fait tousser, derrière la loufoquerie de ses sketchs, se souciait de l'implosion d'un monde où plus rien ne tourne rond. 

 

Yannick : Photo Raphaël QuenardIntervention...

 

Et Yannick est peut-être la quintessence de ce virage morose. En suivant l'intervention impromptue d'un spectateur (Yannick donc) en pleine représentation d'un vaudeville ennuyeux dans un théâtre parisien, le douzième film de Dupieux s'éloigne des univers fantasques qui ont fait sa renommée. Au contraire, il se place dans une forme de réalisme social assez déroutante et donc plutôt marquante dans un premier temps.

Alors que les comédiens débitent des dialogues complètement nazes et sans panache, le fameux Yannick entre en scène (littéralement) pour mieux réveiller le petit monde qui l'entoure. Une manière assez entraînante de rapidement révéler les intentions du métrage, Dupieux s'amusant à parler de création artistique, de la nature même de spectacle ou de la relation entre artistes et spectateurs. Mais plus encore, le réalisateur semble surtout s'inquiéter de la solitude d'une population précaire, de plus en plus délaissée, en colère et dont l'art est peut-être l'un des seuls remèdes éphémères à leur (sur)vie.

 

Yannick : photo... réactions

 

pas banal mais vrai

Une exploration en huis clos régulièrement drôle et émouvante de l'humain, notamment grâce au talent de Raphaël Quenard (décidément la vraie révélation du cinéma français récent). Après Cash, Chien de la casse ou encore Je verrai toujours vos visages, il prouve une nouvelle fois qu'il est capable de tout jouer avec une énergie débordante. Dans la peau de ce spectateur déprimé, il jongle naturellement entre une gouaille hilarante, une frustration menaçante et une sincérité déchirante, provoquant une palette d'émotions impressionnante en peu de temps (1h05 top chrono).

Pourtant, Yannick ne parvient jamais totalement à esquiver les insuffisances (sûrement involontaires) de Quentin Dupieux. Si l'on ne peut pas douter de l'honnêteté du projet, l'ensemble manque cruellement de profondeur et semble régulièrement se contredire ou ne pas savoir sur quel pied danser. Difficile, par exemple, de savoir si le cinéaste souhaite vraiment s'émouvoir de son protagoniste, s'en moquer ou les deux, tant la liberté du personnage semble autant nourrir les cauchemars du Dupieux artiste qu'alimenter les rêves du Dupieux spectateur.

 

Yannick : Photo Pio Marmaï, Raphaël Quenard"Je vais te faire la leçon !"

 

En effet, la lecture meta (la mise en abyme) est évidente devant Yannick où la prise d'otages du public pourrait facilement représenter celle des spectateurs les moins sensibles à son cinéma devant le film. Et c'est à ce moment-là que le bât blesse. Personne ne reprochera à Quentin Dupieux de se moquer des formules du théâtre de boulevard, car son talent d'iconoclaste lui colle à la peau. Pourtant, ladite moquerie est une prise de risque franchement minime et au-delà, sa recherche constante de l'originalité l'enferme de plus en plus – lui aussi, paradoxalement – dans un cercle vicieux artistique.

Pour preuve, derrière le pitch prometteur, Yannick cache finalement une mise en scène complètement désincarnée. Et d'ailleurs, la caméra est tout juste bonne à combler les trous béants d'un scénario en perpétuelle quête de sens, avançant à vue et espérant tristement trouver l'inspiration divine, celle capable de conquérir les foules. Et c'est ce qui dessert inévitablement Yannick.

L'intention est toujours là chez Dupieux, mais le résultat final n'y est plus jamais vraiment, comme s'il s'était lui-même fait rattraper par l'inextricable réalité qui l'effraie tant. Et c'est sûrement ça qui nous rend le plus triste devant Yannick.

 

Yannick : Affiche officielle

Résumé

Le cinéma de Quentin Dupieux semble de plus en plus inquiet de l'état du monde. Devant Yannick, on est surtout de plus en plus inquiet de l'état du cinéma de Quentin Dupieux.

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commentaires
Glupfrz
17/12/2023 à 13:14

Parfois, un brin d’argumentation dans une critique, ça pourrait être chouette.
Parce qu'il est bien aisé de dire que le scénario avance à vue, est en perpétuelle quête de sens, mais si on n'explique pas pourquoi on en arrive à cette conclusion, on peut tout aussi bien dire n'importe quoi avec le même aplomb en comptant sur la crédulité des lecteurs.
Personnellement, j'ai trouvé le scénario bien construit, sans artifices, sachant parfaitement où il allait, et convenant tout à fait à la courte durée du film. Voilà, je n'ai pas plus d'explications, faites-moi confiance.

L'histoire qu'il nous raconte dure moins d'une heure (oui, parce que moi je ne compte pas le générique...) ; Dupieux n'a peut être sur ce coup-là, pas grand-chose à dire, mais il le dit brièvement. Ce qui rend le tout cohérent.

Bob
17/12/2023 à 13:01

Certains ici s'interrogent sur la rentabilité.
Yannick fait partie des films les plus rentables de l'année 2023:

https://cinedweller.com/movie/yannick-la-critique-du-film/

GRISOURIS
17/08/2023 à 12:31

j'ai regardé le film et et suis venue faire un tour ici pour lire vos commentaires, ce que vous avez ressenti pour sans doute à quelques parts me rassurer.... et en effet, certain(e)s comme moi, n'ont pas aimé... La base du propos pourrait être intéressante, mais le traitement est particulièrement indigeste, on sait le talent de Blanche Gardin à surjouer l'actrice qui joue mal et ainsi de suite... Pio Marmaï s'est bien jouer le bon acteur et soigne son "passer de doigts dans les cheveux" pour bien nous montrer comment son égo de comédien apprécie les retours gratifiants de l'acteur principal Rapahël Quenard qui est comme dit de partout, dans la presse un "super" bon et une belle découverte... Bien une fois dit, ces personnages naviguent dans une telle mélasse... pour un film qui veut nous embarquer où à la finale ? Question sans réponse = frustrant... Parmi les commentaires je relève ceux qui traitent de recettes... de rentabilité etc etc comme "Schwarznigga " qui s'en prend carrément au financement et aux statuts d'intermittents, je m'interroge sur "qu'est-ce que ça vient faire là" ??? Avoir vos avis oui, pour m'enrichir de vos regards et impressions, lire vos prises de positions sur ceci ou cela n'a ici ,pour moi, aucun intérêt. Comme dans tous les secteurs dont celui des intermittents, même si cette catégorie n'existe pas en terme de rubrique des métiers lorsqu'on doit remplir un questionnaire... bref comme partout, disais-je, il y a des intermittents aux comportements véreux et d'autres au contraire qui se donnent à fond et dépassent largement leur quota d'heures, je fais partie de la seconde catégorie et ce depuis de nombreuses années.. alors si "Schwarznigga " veut échanger avec moi pour connaître un peu mieux ce secteur d'activité je lui répondrai volontiers par contre "nourrir" le débat m'intéresse tenir des propos lapidaires, vident de sens et d'arguments, je passe mon tour...

Grey Gargoyle
08/08/2023 à 00:17

@C.Kalanda
Je ne cache effectivement pas mon agacement.
Le problème, c'est que c'est quasiment impossible d'expliquer de manière détaillée le financement du cinéma français et le régime dérogatoire d'intermittence dans une brève de comptoir entre plusieurs personnes ayant des opinions politiques différentes.
Que voulez que je fasse? Il faudrait parler de France Télévision, du crédit d'impôt cinéma, des taux de cotisation patronale appliqués aux CDDU, etc. J'y passerais des journees entieres et cela ne changerait rien à rien parce que les gens campent sur leurs positions.
Le truc, c'est que, si les gens s'intéressent vraiment à ça, en fait, il y a de la documentation très bien faite.
Dans mon cas, la méthode que j'ai appliquée pour comprendre est assez simple: "follow the money".
C'est logique d'ailleurs parce que si vous deviez monter une production, il faudrait déjà savoir à qui s'adresser.
En fait, l'idee generale, c'est que le financement actuel du cinéma français s'explique très bien à compter de la fin des trente glorieuses par la volonté des pouvoirs publics d'éviter que le secteur de la production disparaisse totalement sur le territoire français.
Après on peut discuter autant qu'on veut sur le bien-fondé de la méthode employée.
Bonne soirée

Salsifiz
06/08/2023 à 19:34

Le nombre de trolls qui font carrément dans la propagande idéologique très à droite dans cet espace com est assez effarant...
Par ailleurs les films de Quentin Dupieux plaisent à bcp plus de monde qu'aux soit disant "parisiens bobos" jsp quoi auto-centrés. Et "l'exception culturelle" française, c'est bien une chance. N'en déplaise aux rageux frustrés de tous bords. Ça se croit anti-système mais ça crache sur les rares choses qqpeu non capitaliste. Navrants les gens dès fois vraiment.

C.Kalanda
06/08/2023 à 12:01

@grey gargol

Pour autant votre lucidité technique ne semble pas vous défaire de l’attitude de sachant certain déjà bien désagréable dans nombreux des commentaires en dessous…

Grey Gargoyle
05/08/2023 à 14:38

Bonjour,
c'est intéressant. Je ne suis pas un inconditionnel de Quentin Dupieux mais je reconnais bien volontiers que c'est une des rares personnes en France qui trouve des scénarios vraiment originaux. Un peu de créativité, cela fait du bien.
J'ai vu qu'il y avait dans les autres commentaires un débat "droite-gauche" à la française sur le financement du cinéma français et le régime dérogatoire d'intermittence. Malgré tout, comme souvent, il n'y a aucun message des débatteurs (je dis bien, aucun), qu'ils soient pour ou contre, qui corresponde véritablement à la réalité. J'invite donc les différentes personnes à se renseigner soit directement par les sites officiels soit en achetant des livres pour comprendre exactement comment ça marche. En parallèle, je les invite également à se renseigner sur les systèmes existants au Canada, en Belgique et en Corée du Sud.
Je vous souhaite la bonne journée.
Bien cordialement

Pepito
04/08/2023 à 10:43

Merci vous formulez dans votre critique à peu près tout ce que j ai ressenti pendant et après mais sans être capable de le mettre en mots!

Sanchez
03/08/2023 à 17:22

Mdr tous les beaufs en commentaire qui s’attaquent aux financements des films et des intermittents mais qui n’y connaissent strictement rien, y’a pas un centime de vos confortables C.D.I. et qui va le cinéma français et les intermittents (qui sont les SEULs à cotiser pour l’assurance chômage donc ils payent leur propre régime). Fermez vos bouches , si vous aimez vos merdes formatés netflix et barbie tant mieux pour vous .

Schwarznigga
03/08/2023 à 12:03

@Hugo Flamingo

Que de vulgarités pour une seule personne et ce sans même prendre le soin de répondre au fond. Je ne vous jetterai pas la pierre car nous avons tous été jeunes (je ne critiquerai pas l'éducation même si l'envie m'en démange car je ne connais pas vos parents) et "révolutionnaires" mais un jour vous paierez des impôts et vous comprendrez pourquoi, sans être forcément un notable, beaucoup en ont marre de ces régimes spéciaux et subventions en tout genre, d'autant plus lorsque l'on voit la piètre qualité derrière.

Demandez à un médecin ou un avocat (bouh les vilains nantis) combien ils reçoivent de deniers publics. Je finirai par dire, pour recentrer le débat, que Netflix/Disney/Prime... ne sont pas concernés par cette critique car c'est l'argent des investisseurs et non du contribuable, là est la différence avec "l'exception culturelle".

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