Farang : critique d’un excellent The Raid à la française

Antoine Desrues | 23 juin 2023 - MAJ : 23/06/2023 11:00
Antoine Desrues | 23 juin 2023 - MAJ : 23/06/2023 11:00

Après avoir collaboré avec Gareth Evans (The Raid) sur sa série Gangs of London, le réalisateur français Xavier Gens en a profité pour sortir de ses tiroirs un projet de film d’action autour d’un expatrié en Thaïlande incarné par Nassim Lyes. Pour être franc, on attendait de Farang une simple resucée de son inspiration virtuose. À la place, on a assisté à un électrochoc aussi viscéral que jouissif, qui confirme plus que jamais le renouveau satisfaisant du cinéma d’action hexagonal.

“Pas mal, non ? C’est français”

Sam (Nassim Lyes) sort tout juste de prison, et tient à une réinsertion exemplaire. Pourtant, le décor grisâtre et la caméra à l’épaule qui lui colle aux baskets sous-entendent l’impossibilité d’un avenir. Alors que les murs de Fresnes bouchent l’horizon, l’ex-trafiquant est rattrapé par son passé, jusqu’à une baston aux conséquences létales dans un échafaudage. Doigt dans l’engrenage de la criminalité, déterminisme social... on peut approcher de plusieurs manières le désespoir de ce prologue efficace. Sans réponse prémâchée ou discours pamphlétaire, Xavier Gens observe sobrement un système impuissant, où la fuite fait figure de fatalité.

Ce point de départ, empreint d’un naturalisme sec, porte en lui la qualité majeure de Farang : sa nature protéiforme et mutante, qui doit autant à la cinéphilie éclectique de son réalisateur qu’au regard qu’il porte sur son héros meurtri. Loin de la vague actuelle de bourrinades régressives qui se voudraient héritières des eighties, le film s’éloigne des armoires à glace impénétrables ou rigolardes, et préfère un personnage en constante évolution. Intégré mais effacé dans cette société thaïlandaise où il a trouvé refuge, Sam se cherche une seconde chance, et semble la trouver auprès d’une nouvelle famille.

 

Farang : photo, Nassim LyesIt was at this moment Sam knew... he f****d up

 

Mais lorsqu'il fait la rencontre de Narong, le parrain local (Olivier Gourmet, génial en méchant terrifiant de normalité), il est contraint de retomber dans la délinquance, et de mettre en danger sa femme et sa fille adoptive. Simples en apparence, l’intrigue et sa nature de revenge movie se distinguent néanmoins par leur ambition émotionnelle. Xavier Gens a bien conscience que la prouesse à suivre de ses scènes d’action ne sera rien sans un ancrage dans la psyché de Sam. De saynète en saynète, l’étranger est toujours remis à sa place, alors que la gestuelle affirmée de son corps semble en inadéquation avec cet espace qui le rejette.

Là réside la colonne vertébrale du projet : cette scission entre les corps et l’espace dans lequel ils évoluent. Xavier Gens se veut stratégique, alors que ses personnages cherchent eux-mêmes à prendre le contrôle de divers territoires, à s’imposer là où ils ne sont pas censés avoir de place (dont un bout de plage pour la construction d’un restaurant, l’élément perturbateur du récit). De cette tension, la mise en scène au cordeau du cinéaste se déploie avec brio autour de Nassim Lyes. Si l’acteur s’est jusque-là fait remarquer pour ses rôles exubérants dans des comédies (En passant pécho), sa retenue est ici hypnotisante, comme si chaque plan était en quête de la moindre micro-expression, et des émotions enfouies de cette cocotte-minute sur le point d’exploser.

 

Farang : photoStreets of Rage

 

Farangole de desserts

Ainsi, Gens ménage avec beaucoup de maîtrise une gradation vers l’ultra-violence. Il suffit d’ailleurs d’un coup de couteau dans une gorge et du mouvement de caméra qui l’accompagne pour faire littéralement basculer le film dans une autre dimension. Soudainement, Farang nous fait serrer les dents, autant pour la douleur ressentie face aux victimes du courroux de Sam que pour la jouissance de cette vengeance. Lyes exploite au maximum son passif dans les arts martiaux et se jette à corps perdu dans les chorégraphies démentielles de Jude Poyer (cascadeur légendaire et coordinateur sur Gangs of London). Fluide et lisible, mais aussi portée par les à-coups d’un objectif qui s’accorde à cette danse, la scénographie des combats trouve un équilibre rare entre la satisfaction de son suivi et le ressenti viscéral de chaque impact.

Il est clair que Xavier Gens a beaucoup appris au contact de Gareth Evans – en plus d’avoir réalisé des épisodes de Gangs of London, il a aussi assuré la seconde équipe de son futur film Havoc –, et il ne cherche jamais à dissimuler l’influence de The Raid dans l’approche de Farang. Mais là où on aurait pu s’attendre à de la pâle copie cheap, son film est constamment en pleine possession de ses moyens et s’affirme même comme le plus bel héritier de la méthode Evans.

 

Farang : photo, Nassim LyesUn film qui fout les boules

 

L’inventivité du découpage s’accorde avec l’aspect éreintant des joutes jusqu’à un plan-séquence qui, au-delà de la frime, trouve pour une fois une raison d’être. Coincé dans un ascenseur avec plusieurs adversaires, Sam se démène comme un tigre en cage et permet au réalisateur d’encapsuler un chaos organisé d’une intense barbarie.

Gens semble prendre sa revanche sur sa frustrante adaptation d’Hitman (recalibrée par la Fox), puisque Farang réussit à transposer la sensation grisante de flow d’un jeu vidéo, à la manière d’une transe inarrêtable qui nous embarque dans son défouloir dans un seul et unique mouvement. Bien sûr, tout cela tient au sens du détail maladif de son équipe créative, à commencer dans la spatialisation d’une mise en scène qui pense à l’évolution des couleurs et de chaque pan de décor. Par cette recherche permanente d’immersion pure dans ses images, le long-métrage nous fait accepter sans peine sa descente aux enfers, qui vrille clairement de son réalisme social inaugural.

Farang agit lentement, comme un doux poison, et construit ses meilleures scènes sur ce principe (dont une visite de club pédophile absolument insoutenable). Par la même occasion, il fait infuser, l’air de rien, l’idée qu’un cinéma d’action vénère et ambitieux a bien sa place dans nos contrées, le tout avec une facilité presque déconcertante. Et c’est peut-être ce coup-là, qu’on ne s’attendait pas à prendre en pleine face, qui souffle le plus.

 

Farang : Affiche officielle

Résumé

Intense, gore et virtuose, Farang s’accapare les acquis du cinéma de Gareth Evans et les emmène dans une autre direction, plus intime et sociale. Une descente aux enfers magistralement orchestrée et d'ores et déjà l’un des meilleurs films d’action de l’année.

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commentaires
Morcar
07/07/2023 à 11:42

J'ai été le voir mercredi soir, et moi-aussi je m'attendais quand même à mieux, surtout quand on parle d'un "The Raid" français. Les scènes de combat sont bonnes, mais en dehors de celles-ci (qui ne sont pas très nombreuses), le film est assez léger. Un bon petit film malgré tout, et j'applaudit la tentative pour du cinéma français, mais le film sera vite oublié.


06/07/2023 à 23:14

Vu ce soir, je m'attendais à un peu mieux, non pas sur les séances de fight, ou c'est classique mais efficace, mais sur l'enrobage, et là, mon dieu, ce que cela manque de consistance. Entre une scène d'infiltration absolument dégueulasse, tant au niveau du rythme que du montage, et quelques scènes bâclées pour meubler, c'est assez plat. Un peu déçu. Sifu, avec son parti pris western spaguetti, m'a fait meilleure impression, peut être parce qu'il ne se veut pas plus que ce qu'il est. La, même la photographie est fade, alors que la Thaïlande aurait plus à offrir que cette grisaille qui coupe les couleurs sans cesse.

Ozymandias
03/07/2023 à 09:07

Vu hier, j'ai passé un super moment. Sacrées scènes d'action !

Dario 2 Palma
30/06/2023 à 12:15

Une honnête série B d'action pour l'été même si ça reste très classique, sans originalité dans le scénario, les personnages.

BSyty
29/06/2023 à 18:21

Pas bien de supprimé les commentaire critique du film. Ce qui est bien est que ça confirme son contenu.

Coucouhibou
26/06/2023 à 00:05

Vu la bande-annonce juste avant ma séance de Sisu (yeah !). Je ne connaissais pas du tout (le cinéma français a vraiment l'air incapable de communiquer avec son public...) et je vais foncer le découvrir !

Picasso sensei
25/06/2023 à 12:00

Le scénario est un peu "standard" mais l'action reste au RDV

Tony77
25/06/2023 à 10:25

WAAAAOUH ça donne envie … et quand je pense que si la fox lui aurait foutu la paix on aurait pu avoir un excellent film hitman !!!!!!!

Sanchez
24/06/2023 à 11:25

Ça sort quand les frérots ?

Altaïr Demantia
24/06/2023 à 01:14

Bon déjà il faut remarquer que ce n'est pas un contenu calibré pour une plateforme de SVOD. Un distributeur a trouvé le truc suffisamment intéressant pour prendre le risque de la projection en salle pour un film de genre produit en France.

Ce n'est pas rien.

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