Magic Mike 3 : critique qui voulait juste une dernière danse

Lino Cassinat | 14 juin 2023
Lino Cassinat | 14 juin 2023

Fulgurant succès surprise à mi-chemin entre phénomène pop et fable prolétaire douce-amère avec la touche d’impertinence à la Soderbergh, Magic Mike est un sacré numéro inspiré de la vie de son interprète Channing Tatum. S’en est suivi un Magic Mike XXL réalisé par Gregory Jacobs en forme de success-story plus classique mais injustement boudée par la critique et creusant plus profondément les questions de sexualité féminine et de la position sociale des femmes. Le public et les dollars furent cependant encore une fois largement au rendez-vous, et voilà que Steven Soderbergh revient à la caméra sur Magic Mike : Dernière Danse pour le plaisir de nos yeux... ou pas (malgré le duo Salma Hayek-Channing Tatum).

BACK 2 BASICS

Alors que sa situation se stabilisait tant bien que mal dans le précédent opus, c'est un Mike désoeuvré que l'on retrouve au début de ce Magic Mike : Dernière Danse. Désoeuvré, il l'est au propre comme au figuré : la pandémie a foutu par terre sa fragile petite entreprise de fabrication de meubles qui constituait l'oeuvre de sa vie dans les deux premiers opus, et le voilà dépité à reprendre des jobs alimentaires sans sa troupe. Retour à la case départ, mais avec dix ans de plus et la danse en moins.

 

Magic Mike's Last Dance : Photo Channing TatumNe vous fiez pas à son look, il est barman pour milliardaire

 

Plus aucun projet d'avenir en tête, l'angoisse du temps qui passe, de rater sa vie : en vérité, Mike est tombé encore une case derrière la case départ. Fort logiquement, ce Magic Mike : Dernière Danse est le récit d'un retour, et comme un Rocky en string léopard, Mike s'en sort, moins en se battant contre la vie qu'en dansant un pas de deux avec elle. Mais, comme avec Rocky dans les années 80, si l'on est heureux de retrouver le personnage, la formule commence à être éculée, et le danseur n'ayant pas la durabilité du boxeur, Mike encaisse le coup plus durement.

On ira même jusqu'à dire que ce troisième film foire complètement le rendez-vous de Magic Mike avec une possible entrée dans les mythes populaires de l'histoire du cinéma, car il s'agit à la fois de l'opus le plus centré sur son héros et du film le moins éclatant de la trilogie. Coupé de ses amis, déraciné à Londres où il se retrouve bombardé metteur en scène-chorégraphe d'un spectacle de danse par une milliardaire bovaryste dont il s'est amouraché, Mike n'a jamais autant été au coeur du récit.

 

Magic Mike's Last Dance : photo, Salma Hayek, Channing Tatum"It's a kind of magic"

 

CHANGEMENT DE GENRE

Problème : c'est aussi un personnage dont on a déjà fait le tour et dont les enjeux sont péniblement relancés par Steven Soderbergh et son scénariste Reid Carolin. Certes, il est largement accompagné par le nouveau personnage de Salma Hayek, et certes, Soderbergh oblige, elle sert de point d'appui principal pour une tentative de subversion à la fois du genre et du mythe de la saga Magic Mike par son réalisateur iconoclaste. Mais on a connu Soderbergh beaucoup plus inspiré dans ses diverses entreprises de démolition des codes narratifs.

C'est donc avec un certain désarroi que l'on constate que le cinéaste n'a rien de mieux à nous proposer que de subrepticement transformer son conte social pour classe laborieuse en comédie romantique sur fond de transfuge de classe. Soit à la fois l'archétype de comédie romantique le plus suranné de tous, et le conte social bourgeois par excellence.

 

Magic Mike : Dernière Danse : photo, Channing Tatum, Salma HayekJe vois, je vois... un manque d'inspiration

 

De Pretty Woman à Coup de foudre à Notting Hill, l'histoire regorge de récit de belles ou beaux et de clochards ou clochardes, et Magic Mike : Dernière Danse n'a même pas pour lui l'argument du renversement de la norme hiérarchique ou de l'inversion des genres. Cette saga d'habitude à la modernité tranchante repart trente ans en arrière.

Que reste-t-il ? Quelques théorèmes assez bien sentis sur la condition féminine et le devenir conjugalo-sexuel des femmes d'âge "mûr", des scènes de danse qui donnent chaud, un Channing Tatum toujours en giga forme (et devenu trop rare), une mise en scène méta et quelques clichés sur l'amour. S'il s'agissait d'une énième création Netflix sans âme ou d'un téléfilm de Noël, on pourrait se dire agréablement surpris, voire louer une certaine inventivité. Sauf qu'on parle de Magic Mike, et que cette oeuvre aurait pu, aurait dû être beaucoup moins inoffensive.

 

Magic Mike's Last Dance : Photo Channing TatumT'as vu, on a refait Flashdance à l'envers dans un film dans un le film, on est trop forts non ?

 

un vertige puis le silence ?

C'est d'autant plus rageant qu'on sent au cours du visionnage du film que toute l'énergie artistique est passée dans une mise en scène méta discursive que ses nombreux enchâssements rendent indigeste, un brin lourdingue. On dira ce qu'on voudra de Magic Mike XXL : certes, il s'agissait d'un opus moins fort que son illustre prédécesseur, empêché par un rythme calamiteux. Mais toujours est-il qu'il a su présenter une histoire engageante, parce que ses personnages étaient engageants et parce qu'ils incarnaient les nombreux thèmes du film (et plus globalement de la saga en général).

Ce ne sont pas ces thèmes féministes qui manquent à Magic Mike : Dernière Danse, mais plutôt une puissance de feu pour les propulser. Plutôt que de danser et de vivre, Magic Mike : Dernière Danse disserte comme à la fac, balance quelques slogans, brise le quatrième mur, et peu à peu, son intellectualisme vide sa pulsion de vie. À l'arrivée, on se sent un peu comme si on avait enfilé nos plus beaux habits de lumière pour débarquer dans une fête où personne n'est bourré, tout le monde parle philo et la sono n'a toujours pas été allumée alors qu'il est déjà plus de minuit.

 

Magic Mike : Dernière Danse : photo, Channing Tatum, Salma HayekFaut mettre de la musique maintenant

 

Ce n'est pas que la discussion ne soit pas intéressante, ni même qu'elle ne soit pas pertinente (Magic Mike et Magic Mike XXL font partie de ces oeuvres dont la portée et la profondeur sont bêtement sous-estimées). Simplement, on n'est pas venus pour cela, et Magic Mike : Dernière Danse ne parvient jamais totalement à briser une espèce de froideur clinique. D'ailleurs, c'est bien simple, il s'agit du film le plus cher de la saga (et de très loin), mais c'est aussi paradoxalement celui où les numéros de danse ont le moins d'âme, car le spectateur est tenu beaucoup trop à distance des personnages. Et lorsqu'arrive le flamboyant dernier acte, il est déjà trop tard : l'indifférence a gagné.

En réduisant le catapultage de Mike dans le monde des ultra-riches à une blague et en résolvant miraculeusement ses conflits avec beaucoup d'argent et beaucoup d'amour comme dans une fiction parfaite, les créateurs de Magic Mike ont coupé leur personnage de ce qui faisait sa sève : le monde réel. Comme Mickey au début de Rocky III, ils ont choisi des adversaires trop simples pour ne pas abîmer leur champion, et le voici qui trône, avachi. Magic Mike est (re)devenu le roi de son monde, mais cette fois sa couronne est de papier. Vivement un épisode dans vingt ans où Mike affronte les outrages du temps : voilà un obstacle contre lequel on ne peut rien, si ce n'est enfin se transformer en mythe.

 

Magic Mike : Dernière Danse : Affiche officielle

Résumé

Film correct mais Magic Mike décevant, Magic Mike : Dernière Danse plante le rendez-vous de son personnage principal avec une certaine Histoire hollywoodienne en partant dans une direction cérébrale beaucoup trop éloignée de ses origines. Qu'on se rassure, il y a encore beaucoup de matière et l'occasion pourrait se représenter.

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commentaires
Écran large
15/06/2023 à 14:20

Bravo écran large le meilleur site en terme de critiques cinéma/series selon moi. j'espère que vous resterez pour toujours une structure indépendante vous le méritez bon courage à toute l'équipe.

Geoffrey Crété - Rédaction
14/06/2023 à 18:55

@Tonton

Libre à vous de considérer qu'un Steven Soderbergh n'est pas du cinéma, ou ne mérite pas une critique.

Ecran Large n'a jamais traité toute l'actu. Jamais. Et c'est encore moins possible depuis qu'elle a est devenue surchargée avec la SVoD. On n'a jamais publié autant d'articles, entre les news, les critiques, les dossiers et les vidéos sur le cinéma, les séries, les comics, les jeux vidéo... sans oublier qu'on a récemment lancé un podcast et un ciné-club.

On est un site indépendant, aux ressources limitées, et on ne va certainement pas s'excuser de ne pas travailler encore plus chaque jour pour répondre aux demandes de tout le monde, sachant que personne n'attend/n'espère les mêmes choses. Notre métier n'est pas une course au remplissage, pour cocher des cases, et écrire de mini-articles pour couvrir un maximum de sujets. C'est une question de temps et de choix (notamment d'écrire des articles plus longs que la moyenne).

Et si Première comble vos attentes, on est sincèrement ravis pour vous.

Tonton
14/06/2023 à 18:08

Là vous m'avez définitivement perdu.. pas par la bonne note ici- moyenne mais justement haute vu vos précédents - mais par la critique en elle même..de nombreux films sont sortis ces derniers jours et aucune critique ici quand première le fait gratuitement sur son site, entre autre medellin de Gastambide.. sans compter les films inédits de shadowz, pour citer que cette plateforme.. vous n'aimez pas le cinéma. Du moins c'est l'image que vous en avez

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