Saules aveugles, femme endormie : critique perchée

Déborah Lechner | 22 mars 2023 - MAJ : 22/03/2023 12:27
Déborah Lechner | 22 mars 2023 - MAJ : 22/03/2023 12:27

Comme son titre cryptique le sous-entend, Saules aveugles, femme endormie est un film d'animation atypique qui déroule un récit déroutant, mais surtout captivant. Et le fait que ce long-métrage réalisé par Pierre Földes adapte plusieurs nouvelles de l'écrivain japonais Haruki Murakami n'y est clairement pas pour rien.

UNE HISTOIRE à CONTRESENS

Difficile, voire impossible, de résumer Saules aveugles, femme endormie sans dériver sur un kamoulox. La preuve : c'est l'histoire, ou plutôt les histoires, d'un attaché commercial qui a été largué par sa femme, qui transporte une boîte, cherche son chat et travaille dans la même compagnie qu'un comptable à la ramasse qui doit sauver Tokyo d'un lombric géant avec une grenouille qui parle. Tout ça se déroulant quelques jours après le tsunami de mars 2011. 

Si Haruki Murakami a déjà été adapté plusieurs fois, avec des films réputés comme Burning ou plus récemment Drive my car, la particularité et le pari de Saules aveugles, femme endormie était d'adapter dans une même oeuvre plusieurs nouvelles du célèbre écrivain (d'où le pitch un chouïa bordélique). Le réalisateur et scénariste n'a pas choisi de retranscrire à l'écran les 23 histoires courtes du recueil éponyme, mais s'est concentré sur six d'entre elles.

 

Saules aveugles, femme endormie : photoPasser de l'ours au saumon

 

Et plutôt que d'opter pour un film à sketchs qui reprendrait fidèlement chaque trame, le cinéaste a décomposé chaque récit pour ne reprendre que certaines idées ou certains éléments (des spaghettis sauce tomate par-ci, un voeu d'anniversaire par-là) pour les entremêler et créer un récit tout à fait unique.

Ce tour de force scénaristique a ainsi donné vie à une histoire souvent insaisissable qui part dans tous les sens pour ne finalement aller nulle part. C'est un récit faussement linéaire où tout se superpose, où les personnages, souvent anecdotiques, se croisent sans vraiment se rencontrer. C'est décousu, contemplatif, bavard et donc déroutant, mais aussi hypnotique grâce à l'onirisme qui s'en dégage. Comme souvent chez Murakami, des touches fantastiques, d'imaginaire se mêlent au quotidien et à la réalité. Les sentiments sont exacerbés au point de verser dans l'expressionnisme. Cette atmosphère éthérée est accentuée par les scènes de rêves qui déforment les images et inverse les couleurs, mais aussi par l'esthétisme singulier qui ne cherche pas la rigueur ou la formalité du naturalisme. 

 

Saules aveugles, femme endormie : photoLe chat bleu est loin d'être le plus étrange

 

UNE HISTOIRE à SENS

Pour apprécier l'expérience, il faut accepter d'avancer dans un labyrinthe sans repère. Il faut consentir à se laisser porter sans chercher à tout prix la destination ou le fin mot de l'histoire et se prendre au jeu des digressions. Ce qu'il y a dans la boîte n'a finalement pas un grand intérêt, pas plus que la nature du voeu de la protagoniste. Et c'est quand on n'attend plus des réponses que le réel enjeu du film se dessine, que petit à petit le spectateur trouve du sens, à l'instar des personnages. Si Saules aveugles, femme endormie n'est pas une oeuvre qu'on comprend entièrement, on peut en capter l'essence. 

Que ce soit à travers un déménagement, une rupture, un séjour à l'hôpital ou un nouvel emploi, tous les personnages se retrouvent en pleine crise identitaire. Ils remettent leur vie et leurs choix en question, prennent un nouveau départ et laissent transparaître leur rêve, leurs regrets et fantasmes pour s'accomplir après des années d'inertie et de vide (la fameuse "bulle d'air"). Le séisme et le tsunami servent dès lors de catalyseur, d'expériences communes qui relient tout le monde. 

 

Saules aveugles, femme endormie : photoMétro, boulot, sauver Tokyo

Cette introspection qu'ils expérimentent (inconsciemment ou non) et cette remise en phase avec leur individualité s'expriment également visuellement à travers les personnages en fond, ceux qui remplissent le cadre. Ils sont la plupart du temps transparents, voire fantomatiques, parfois même sans visages, en totale déconnexion de ce qui évolue au premier plan.

La fin est également peu commune, car elle ne s'apparente pas à une conclusion. Aucun personnage ne règle véritablement ses problèmes ou ne termine son histoire, mais tous ont pris conscience qu'ils en avaient et ont fait la paix avec cette idée. Saules aveugles, femme endormie se charge ainsi dans son dernier tiers de mélancolie, mais aussi paradoxalement d'espoir malgré le désespoir évident des protagonistes. Il serait donc dommage de passer à côté de cette expérience riche et contre-instinctive. 

 

Saules aveugles, femme endormie : affiche

Résumé

Saules aveugles, femme endormie est une expérience parfois déconcertante, qui à l'instar des personnages demande de lâcher prise pour trouver le sens qui manque a priori.

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