Animals : critique du KO interdit aux moins de 16 ans
L'interdiction aux moins de 16 ans avec avertissement n'est pas simplement logique : il est indispensable pour indiquer qu'Animals (qui sort dans très peu de salles oui) n'est pas un simple film. C'est le récit de l'assassinat à caractère homophobe d'Ihsane Jarfi, le 22 avril 2012 à Liège, par quatre hommes. C'est le récit d'un cauchemar absolu, que tente de retranscrire Nabil Ben Yadir (Les Barons, La Marche), avec son co-scénariste Antoine Cuypers. Et évidemment, c'est d'une violence inouïe.
Retenir le nom : Ihsane Jarfi
Pas besoin d'être un homme gay. N'importe quel être humain normalement constitué aura envie de vomir face à Animals, qui raconte l'horreur et force à la regarder dans les yeux, jusqu'au malaise. Dans la réalité, c'était le 22 avril 2012, à Liège, en Belgique : le meurtre à caractère homophobe d'Ihsane Jarfi, 32 ans, qui a été torturé, frappé à mort et abandonné nu dans un champ par quatre hommes. C'est là qu'il est mort, quelques heures après, seul. Son corps a été retrouvé deux semaines plus tard.
A l'écran, c'est un film qui raconte l'avant et l'après, mais aussi le meurtre lui-même. L'interdiction aux moins de 16 ans avec avertissement vient de ces 9 minutes de cinéma, qui figurent les 6 heures du réel. 9 minutes d'une violence et d'une intensité inouïes, qui sont là pour créer un électrochoc. C'est tout le propos du réalisateur et co-scénariste Nabil Ben Yadir, qui a eu l'autorisation de père d'Ihsane Jarfi pour faire ce film, une fois qu'il lui avait expliqué son intention : il voulait montrer la violence.
C'est toute la question posée par Animals : pourquoi, comment et jusqu'où montrer la violence ? Et plus largement : jusqu'où raconter cette histoire, et comment mettre en scène les inhumains humains qui ont perpétré ce crime ?
voyage au bout de l'enfer
Une fois que le cauchemar commence pour Ihsane Jarfi, le spectateur n'est pas simplement témoin : il est embarqué avec lui. Les lumières de la ville s'éloignent tandis que la nuit s'étend jusqu'à bouffer les détails. L'espace exigu de la voiture devient une prison étouffante, et la caméra est chahutée dans des plans-séquences pour rendre compte du chaos. En quelques minutes, c'est un gouffre à la Gaspar Noe-Irréversible qui s'ouvre.
Puis, il y a une bascule. À un moment, le réalisateur Nabil Ben Yadir passe le relais aux meurtriers, qui filment leur crime avec leurs téléphones. Un mur (celui de la fiction, des effets de cinéma) semble s'écrouler, et c'est un nouveau degré d'horreur qui prend vie à l'écran. Avec le sentiment paradoxal qu'il n'y a plus de filtre (alors qu'il y en a désormais deux : l'écran de cinéma, et les téléphones), qu'il n'y a plus de cinéma (les cadres chaotiques, la lumière crue), et qu'il n'y a plus personne pour piloter hormis les meurtriers (le supplice s'étire tellement qu'il semble s'écouler en temps réel), ce sont tous les repères qui s'envolent dans un vertige cauchemardesque.
C'est le douloureux et éprouvant tour de force de Nabil Ben Yadir et son directeur de la photographie Frank van den Eeden (qui a notamment travaillé avec Lukas Dhont sur Close et Girl) : créer une simple illusion de non-cinéma qui force à voir, mesurer et ressentir le calvaire subi par Ihsane Jarfi. Le réalisateur voulait créer un sentiment d'abandon, pour que le public se sente seul face à la violence, et c'est exactement ce qui se produit. Si les mots ne suffisent pas, si l'imagination n'y arrive pas, alors peut-être que l'image aidera à comprendre, un peu.
"ON N'EST PAS DES ANIMALS"
Le titre du film (à prononcer en mauvais français, et pas en anglais) vient directement du procès, où l'un des assassins a dit : "On n'est pas des animals". Trois d'entre eux ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, et le quatrième, à 30 ans d'emprisonnement. Aucun n'a exprimé de remords durant le procès.
C'est là qu'arrive une autre grande question : comment une telle chose est-elle possible, et comment la société a t-elle pu donner naissance à des humains si inhumains ? Le procès n'a apporté aucune réponse, et le film ne cherche pas à faire mieux. En revanche, Nabil Ben Yadir et son co-scénariste Antoine Cuypers ont choisi de créer un étonnant effet miroir entre Ihsane Jarfi et l'un de ses bourreaux.
Le film s'ouvre dans un grand mouvement de petite urgence, porté par l'excellent Soufiane Chilah. Alors que la préparation de l'anniversaire de la mère d'Ihsane avance, la mise en scène raconte la tension silencieuse de son quotidien, fait de non-dits et de violence plus (la toute première séquence) ou moins (les paroles de la mère) explicite. Et le film se termine avec le reflet déformé : l'un des meurtriers d'Ihsane se prépare lui aussi pour une célébration familiale. Le miroir est tellement ahurissant qu'on a été vérifier, le réalisateur ayant évidemment répondu à la question : rien n'a été inventé.
Nabil Ben Yadir et son co-scénariste Antoine Cuypers auraient pu aller sur le terrain de la découverte du corps, de l'arrestation des assassins, des réactions de la famille, ou du procès, pour balayer les faits et s'appuyer sur la safisfaction d'une affaire réglée devant les tribunaux. Mais rien n'a été réglé. Ni le comment, ni le pourquoi, et encore moins la réalité d'une homophobie et d'une violence qui existaient avant et existeront encore après.
C'est un film de questions, de remises en question, et de non-réponses. Nabil Ben Yadir voulait forcer à regarder la violence : celles des coups, celle des cris, celle des crimes, mais aussi celle des non-dits, celle des silences, et celle qui préside à un tel meurtre. Animals a de quoi déstabiliser avec cette dernière partie qui force à regarder l'humain dans l'inhumain, et imaginer ou déduire des explications, des raisons et des origines. On en ressort avec le cœur broyé, l'estomac noué, la tête retournée, et l'envie d'ouvrir encore plus grand les yeux – en commençant par aller lire le témoignage du père, Hassan Jarfi. Ce n'est ni simple, ni agréable, mais c'était le but.
Lecteurs
(3.8)18/02/2023 à 11:34
En lisant l'article, j'ai pensé à Matthew Shepard, jeune gay de 21 ans, assassiné dans des conditions similaires en 98, par le même profil de brutes stupides dépourvues de remords.
16/02/2023 à 16:40
@skostiss
Je trouve ça bien étrange de ne pas avoir vu le film et le juger en imaginant ce qu'il fait / ne fait pas. Et je ne sais pas à qui vous parlez sur Lars Von Trier, mais si c'est nous : c'est encore plus ridicule et à côté de la plaque que le reste.
16/02/2023 à 15:32
Je n'ai pas vu ce film et pourtant je suis certain qu'il n'a aucun intérêt. Il y a 2 intérêts à la représentation de la violence:
- explorer comment une victime est transformée par la violence qu'elle a subi
- créer une empathie (et non pas sympathie) avec les auteurs de violence pour interroger le rapport du spectateur à cette violence.
Comme avec irréversible de noe, on a affaire à des esprits limités qui se régalent en se cachant derrière une réflexion dont l'issue est connue d'avance.
L'art n'est pas là pour conforter nos certitudes mais pour les faire vaciller, or même sans voir le film on connaît déjà sa conclusion: les assassins sont des monstres et chercher à les "comprendre" n'est qu'une question rhétorique.
Ce film est déjà condamné par sa démarche, il est fait pour les critiques à l'esprit étroit qui veulent être confortés dans leurs certitudes avec un soupçon de souffre pour se croire intelligents . Pas étonnant que vous détestiez Lars Von Trier.
16/02/2023 à 14:47
@Madolic
Je veux dire qu'une critique n'a pas à balayer tous les "pour" et tous les "contre" comme une équation qui amène à la note.
Ici, vu la nature du projet, il s'agit de s'interroger sur le film, expliquer la démarche du réalisateur. Moi, j'en suis ressorti avec pas mal de questions et doutes sur certains choix, comme je le dis notamment sur la dernière partie du film. Je n'ai pas les réponses, je soulève donc plusieurs points, et je partage les doutes et interrogations sur certains partis pris. Donc la critique reflète pour moi la note, sachant que la note n'est qu'un indicateur pour faciliter la lecture : elle ne peut remplacer un texte entier, qui détaille, explique et met des mots sur un point de vue (autrement plus détaillé et nuancé qu'une simple note). Mais j'ai bien pris soin d'exposer le pourquoi de la note dans le résumé je pense.
16/02/2023 à 13:56
@Geoffrey Crété - Rédaction
Non certes, mais une critique est censé refléter la note.
J'ai jamais parlé de faire une check-list des pours et des contres ^^
16/02/2023 à 13:45
Ce film est d' une puissance folle, un coup de poing nécessaire, difficile à regarder.
En Belgique, ils ont fait beaucoup de projections organisées avec des écoles et des débats avec les étudiants.
J'ai créé la bande annonce du film l'année passée avec le réalisateur, Nabil Ben Yadir, en essayant de "prévenir" le public de cette violence.
J'espère qu'elle sera dispo sur Ecranlarge, ce serait un ÉNORME honneur.
16/02/2023 à 12:40
@Madolic
Comme je le dis en intro, dans la dernière partie et dans le résumé avec la note : le film pose des questions, provoque des interrogations sur son approche, et fait des choix sur lesquels on peut se questionner (notamment la dernière partie). Une critique n'est pas une check list de qualités/défauts, et ce film encore moins.
16/02/2023 à 12:18
@Sanchez
quand on a rien d'intelligent à dire, on la ferme
16/02/2023 à 12:18
Pourquoi que 3 étoiles pour une critique qui ne fait mention d'aucun défaut ?
16/02/2023 à 10:50
Hâte de voir la suite , Chevals