À l'Ouest rien de nouveau : critique dans l'enfer des tranchées sur Netflix

Arnold Petit | 29 octobre 2022 - MAJ : 31/10/2022 18:52
Arnold Petit | 29 octobre 2022 - MAJ : 31/10/2022 18:52

Après Lewis Milestone en 1930 et Delbert Mann en 1979, le réalisateur Edward Berger (Jack, Deutschland 83) s'empare à son tour du chef-d'oeuvre d'Erich Maria Remarque qui racontait la Première Guerre Mondiale à travers le regard d'un soldat allemand. Choisi pour représenter l'Allemagne aux Oscars 2023 après son passage dans les salles allemandes et américaines, À l'Ouest rien de nouveau offre une plongée éprouvante dans l'horreur des tranchées, qui ne sort malheureusement que sur Netflix en France.

LES SENTIERS DE LA MORT

Au début de son roman publié en 1929, Erich Maria Remarque écrivait : "Ce livre n’est ni une accusation ni une profession de foi, et encore moins une aventure, car la mort n'est pas une aventure pour ceux qui lui font face. Il s'agit seulement d'essayer de dire ce qu’a été une génération qui, même quand elle a échappé à ses obus, a été brisée par la guerre."

Cette phrase, reprise en citation dans la bande-annonce (et sous la forme d'un texte d'introduction par Lewis Milestone et Delbert Mann à l'époque), résume parfaitement l'intention qui inspire À l'Ouest rien de nouveau et Edward Berger. La mort n'a rien d'héroïque, et la guerre n'est pas un spectacle, seulement un enfer dont le réalisateur montre toute la monstruosité à travers une mise en scène qui rappelle évidemment 1917  pour sa virtuosité technique, son aspect immersif et l'ampleur de ses scènes de bataille.

 

À l'ouest rien de nouveau : photoÀ l'assaut !

 

Le film s'ouvre sur des images malickiennes d'un paysage de campagne à l'aube : la brume qui glisse paisiblement entre les troncs d'arbres, des renardeaux qui tètent leur mère et des arbres qui s'élèvent vers un ciel nuageux.

Alors que la caméra traverse un nuage de fumée pour révéler un tableau cauchemardesque composé de boue, de morceaux de métal et de corps qui jonchent le sol gelé, une rafale de mitrailleuse brise le silence élégiaque des premières heures du jour et préfigure du carnage que le film dépeint avec un réalisme viscéral.

 

À l'ouest rien de nouveau : photoLa mort est leur métier

 

Dès le prologue, Edward Berger fait preuve d'une précision méticuleuse et d'une maîtrise remarquable en se faufilant dans les tréfonds des tranchées pour suivre un jeune soldat allemand nommé Heinrich lors d'un énième assaut, filmé en plan-séquence.

L'instant d'après, le titre du film apparaît et le garçon gît à l'arrière d'un camion parmi une pile de cadavres dépouillés de leurs tenues et enterrés dans une fosse commune. La caméra de Berger, en suivant le parcours d'un uniforme passant de main en main pour être lavé, raccommodé et remis en service, illustre la machine de guerre implacable, nourrie par de nouvelles recrues moins précieuses que les vêtements dans lesquels elles vont mourir.

L'uniforme finit dans les bras de Paul Baümer (Felix Kammerer). Comme ses amis naïfs et idéalistes enhardis par des discours enflammés sur Dieu, le Kaiser et la patrie, le jeune homme s'est engagé en pensant qu'il n'y avait pas de plus grand honneur. Envoyé sur le front de l'Ouest, il découvre avec effroi ce qu'Erich Maria Remarque décrivait comme "l'empire de l'horreur", où des hommes hurlent, s'entre-tuent et meurent pour garder des lignes qui bougent d'à peine quelques centaines de mètres.

 

À l'ouest rien de nouveau : photo, Felix KammererSuivant !

 

LA GRANDE DÉSILLUSION

Outre la prouesse technique et la réalisation oppressante qui restitue avec une force impressionnante les atrocités de la Grande Guerre, À l'Ouest rien de nouveau se distingue aussi dans sa capacité à peindre des individualités. En s'attardant sur Paul et son groupe d'amis du moment où ils s'enrôlent jusqu'à la barbarie du champ de bataille, le film permet d'assister à la violente désillusion de ces jeunes soldats envoyés se faire massacrer sur la promesse d'une grandeur patriotique, d'un destin héroïque et d'une victoire qui ne devait pas prendre plus de six semaines.

Alors que Paul est envoyé récupérer les plaques des morts après un baptême du feu aussi terrifiant qu'étourdissant, la musique de Volker Bertelmann retentit avec le même motif incessant, comme une sirène de combat : des rafales de caisses claires pour marquer la displine militaire, et trois notes électriques assourdissantes, qui pourraient être interprétées comme le rugissement de la bestialité de l'être humain, ou un grondement venu des entrailles de la Terre.

 

À l'ouest rien de nouveau : photoDes fantômes qui hantent les soldats et le champ de bataille

 

La guerre, issue des errements de l'Homme et de sa pensée destructrice, s'oppose intrinsèquement à la nature et à la vie. Pourtant, il y a quelque chose de sublime dans la façon dont Edward Berger parvient à conjuguer la beauté à l'horreur à l'écran. Tout au long du film, le cinéaste et son directeur de la photographie James Friend (avec qui il a déjà travaillé sur Patrick Melrose et Your Honor) suspendent régulièrement la tension nerveuse des tranchées et des combats par des visions naturalistes et des moments de répit, où l'ombre de la mort plane toujours malgré tout..

Par de petits détails et quelques nuances, le récit réussit à caractériser chacun des personnages et à susciter de l'empathie envers ce groupe de soldats qui s'est habitué malgré lui au chaos. L'attente des soldats, au bout d'un moment, devient insupportable, mais l'amitié et la camaraderie qui lient Paul et ses compagnons d'armes sont poignantes. La faim est omniprésente, comme les autres besoins, que chacun tente de combler à sa façon : une oie volée à un fermier français, le mouchoir d'une demoiselle rencontrée pour une nuit ou l'affiche d'une femme de rêve qu'ils ne connaîtront jamais.

 

À l'ouest rien de nouveau : photo, Edin Hasanovic, Aaron Hilmer, Albrecht Schuch, Felix KammererUn instant de calme précieux avant le retour de la tempête

 

Dans le rôle de Paul, Felix Kammerer est aussi bouleversant qu'épatant. Avec une émotion à fleur de peau et une tension parfois proche de la crise de nerfs, l'acteur démontre déjà un grand talent pour sa première prestation et retranscrit parfaitement le désarroi du héros, son désespoir, sa mélancolie et, à la fin, son indifférence de la guerre. À l'image du personnage incarné par Alekseï Kravtchenko dans Requiem pour un massacre, la guerre marque physiquement Paul et son visage se décompose au fil de son épopée pour ne laisser qu'un masque figé de sang et de boue, où ne passe plus que son regard azur perçant.

En proposant la première adaptation en langue allemande à l'écran, Edward Berger ajoute de l'authenticité au film, mais accomplit aussi une certaine réappropriation culturelle d'une guerre et d'une oeuvre profondément inscrites dans la psyché nationale et la mémoire collective allemande. Par conséquent, ce nouveau long-métrage donne encore plus de force au propos du roman en représentant cette jeunesse sacrifiée dont Erich Maria Remarque voulait raconter l'histoire dans son livre.

 

À l'ouest rien de nouveau : photo, Felix KammererRegarder la mort en face

 

GUERRE ET PAIX

Globalement, À l'Ouest rien de nouveau conserve l'essence du texte d'Erich Maria Remarque et sait lui donner une puissance visuelle, émotionnelle et symbolique, mais le film est moins fidèle que les précédentes adaptations.

Afin de s'approprier pleinement le récit, Edward Berger (qui a co-écrit le scénario avec Lesley Paterson et Ian Stokell) a décidé de faire abstraction de plusieurs scènes du roman : l'entraînement de Paul à la caserne sous les ordres du vicieux caporal Himmelstoss ; sa permission de quelques jours dans les lignes arrières ; son retour déchirant à la maison avec sa mère malade et sa soeur ou encore son séjour à l'hôpital avant de retourner sur le front.

 

A l'Ouest, rien de nouveau : Photo Felix Kammerer, Albrecht SchuchKat, fidèle allié aussi simplet que débrouillard

 

À la place, le réalisateur effectue une ellipse entre le moment où Paul découvre le front en 1917 et les derniers jours de la guerre en novembre 1918 et s'intéresse à deux figures qui ne sont pas dans l'oeuvre originale : le général Friedrich (Devid Striesow), un militaire fanatique qui veut se battre jusqu'au bout, et Matthias Erzberger (Daniel Brühl), diplomate allemand présidant la délégation chargée de négocier l'armistice face au maréchal Foch (Thibault De Montalembert) dans la forêt de Compiègne.

La nourriture abondante, les décors luxueux et le mépris des dignitaires français et allemands crée un contraste encore plus fort avec les conditions de vie des soldats dans les tranchées. Avec cette nouvelle intrigue, le film apporte un contrechamp historique, politique et souligne la futilité de la guerre, les dangers du nationalisme, mais aussi le sentiment de honte qui naît à ce moment-là. Cette rancoeur née de la "légende du coup de poignard dans le dos" (Dolchstoßlegende en allemand) qui conduira à la montée du nazisme et à la Seconde Guerre Mondiale.

 

À l'ouest rien de nouveau : photo, Daniel BrühlLe coût de la paix

 

Cependant, même si elle permet d'offrir une représentation plus complète de la guerre, cet ajout rallonge encore un plus le récit et brise l'immersion auprès de Paul et de ses camarades. Un des rares défauts de cette nouvelle adaptation d'À l'Ouest rien de nouveau, qui restitue parfaitement le témoignage d'Erich Maria Remarque et de ces jeunes soldats jettés en enfer.

À l'Ouest rien de nouveau est disponible depuis le 28 octobre sur Netflix.

 

À l'Ouest rien de nouveau : photo

Résumé

À l'Ouest rien de nouveau restitue avec une force impressionnante la monstruosité, l'horreur et l'absurdité de la guerre. En voulant trop en faire, Edward Berger finit par surcharger son récit, mais cette nouvelle adaptation en allemand du roman d'Erich Maria Remarque est aussi aboutie techniquement qu'elle est puissante.

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Lecteurs

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commentaires
mikaelts
17/03/2023 à 06:31

Tout est parfait dans ce film . les images grandisoses, la musique ,l'interpretation ,l'histoire...tout est parfaitement assemble pour montrer que la guerre est une abomination. Le plus grand film de guerre de tous les temps.

J_D
15/03/2023 à 16:51

Un film très dur et très impressionnant avec un changement de point de vue assez intéressant quant à nos habitudes, à savoir vivre la guerre côté allemand, avec les français ayant un mauvais rôle.

Certains y voient du racisme anti-français là où je vois surtout un parti pris sur la vision qu'on a de l'ennemi, surtout à la fin de la guerre où les français surpassent les allemands dans tous les domaines, notamment celui des chars. Pour une fois, les français sont les méchants et ils font peur, et c'est rare de voir ça dans des films sur cette période.

@Jeffi Juice : c'est bien beau de se la jouer expert historique et militaire, mais quand on confond des Mark 1 britanniques et des Saint-Chamond bien français, on évite de se la ramener...

Hana
08/02/2023 à 11:15

J’ai été impressionné par le réalisme des combats et très attaché au héros du récit il est vrai que le commandement français me paraît caricatural et apparaît comme un antagoniste ? Cependant si l’on oublie ce détail j’ai bcp aime ce film et je pense qu’il faut le voir en VO pour une immersion totale …

Balroth
15/12/2022 à 11:40

Le film est bien , Mais trop de Bashing antifrançais. Les français n'étaient pas les méchants dans l'histoire.
Les lance flammes, ont été très peu utilise, les tranchées françaises étaient aussi insalubres que les allemandes

Jeffi Juice
15/11/2022 à 10:08

Garde à vous !

D'accord avec certains commentaires :

-Le film ne reprend que le titre du livre et le nom des personnages;
-Plus gênant : les Français sont systématiquement (systémiquement devrais-je dire) dépeints comme de mauvais combattants (scènes de corps à corps notamment);

Je rajouterai le manque de réalisme historique et militaire :
-Les Français chargent avec des tanks britanniques (le Mark 1) et avec des équipes de lance-flammes en soutien des chars, renforçant le côté sadique des Français qui crament un soldat allemand qui se rendait;
-Aucune offensive n'a été menée dans les derniers jours de la guerre;
-Le fils de Matthias Erzberger n'est pas mort au combat, mais de la grippe en 1918, en étant "Offiziersanwärter", c'est à dire élève officier (il n'a jamais vu le front).

On devine la patte américaine : déformations historiques et racisme anti-français. Bref, ils ne peuvent s'empêcher de faire leur propagande, ça doit faire partie du cahier des charges lorsqu'ils financent un film.

A part ça d'accord avec les kikoo lol : la guerre c'est pas bien, le feu ça brûle.

Ah oui, concernant le coup de poignard dans le dos : renseignez-vous sur Benjamin Freedman, un témoin de cette époque qui vous renseignera sur le rôle des banques américaines, c'est en partie là que réside le coup de poignard dans le dos, l'autre partie étant entre autres karl Liebknecht et Rosa Luxemburg. Mais là, mes kikoolols, il va falloir s'accrocher, c'est un peu redpill.

En revanche, je félicite tout de même l'auteur de l'article pour la qualité de son écriture ainsi que ses nombreuses références aux oeuvres concernant la première guerre mondiale.

Enfin, reconnaissons les qualités du film : belles images, très immersif, bien joué, bien tourné, bon comédiens.

Repos ! Vous pouvez disposer.

128ko
10/11/2022 à 16:36

Que ce film soit un chouette film sur la Première Guerre, soit. C'est vrai qu'en soit, il n'est pas mauvais. Oui, c'est bien tourné, poignant, etc. Mais il reste un énorme glaviot au milieu du bouquin qu'il prétend adapter. Il n'en prends que le nom, celui des protagonistes et basta.

J'aurais sans doute plus apprécier le film avec un autre titre.

Lisez le livre, et essayer de visionner la seconde adaptation, plus respectueuse du message qu'essaie de délivrer l'auteur du livre éponyme.

Chantal
06/11/2022 à 19:49

J'ai trouvé ce film moyen, sans plus, les allemands gagnent tous leurs combats et font preuvent d'une superiorite guerriere totale, ils tuent tout le monde, les francais tirent comme des pieds et sont nuls au corps à corps, alors à la fin on se demande pourquoi les allemands ont perdu la guerre...

Pasglop
03/11/2022 à 11:59

Une sacrée daube.
Il y a deux points sur lesquels ce film est une injure. Le livre dont il ose reprendre le titre et qu'il trahit en permanence. Et l'histoire qu'il viole allègrement en osant tout et n'importe quoi.

Lt Winter
02/11/2022 à 09:56

Film magnifique par sa photo et sa lumière, son souci du détail sur un sujet qui n'est pourtant que sang, terre et boue. Je suis venu à reculons sur cette adaptation d'un roman incontournable mais qui traite d'un sujet souvent insoutenable par sa cruauté et son absurdité.
Je trouve par contre que les scénes ajoutées qui concernent la signature de l'armistice sont réussies : le tempo et le parallèle entre le luxe des généraux et diplomates face aux tourments et au dénuement des soldats fonctionne. Le temps qui joue pour les uns et contre les autres est glaçant. Enfin toute l'aburdité de la guerre est résumée dans la chronologie fatale du dernier assaut.

Poupie
01/11/2022 à 18:48

J ai vu le film, je n aurais jamais voulu vivre ça, toute les guerres sont des bêtises.

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