La Nuit du 12 : critique du polar qui brûle tout sur son passage
Grande claque de Cannes 2022, La nuit du 12 réalisé par Dominik Moll (et co-scénarisé avec Gilles Marchand) est un grand polar, une des belles surprises de l'été 20222 et un vertigineux labyrinthe... Après l'impeccable Seules les bêtes, un des duos créatifs les plus acérés de l'Hexagone (Dominik Moll et Gilles Marchand) nous propose une traque étincelante et ténébreuse, dans la foulée d'un féminicide aux airs d'énigme insoluble, avec le super duo d'acteurs : Bastien Bouillon-Bouli Lanners.
MARCHANDS DE MORT
Depuis Harry, un ami qui vous veut du bien, Dominik Moll s’est taillé une place à part dans le paysage cinématographique français. Celle d’un pourvoyeur de thrillers denses, aux thématiques variées, capable d’excaver de notre humanité des passions troubles. Mais après un premier éclatant succès, présenté en compétition au Festival de Cannes 2000, le metteur en scène a exploré une veine plus surréaliste, voire hallucinée, pas moins intéressante, mais progressivement dévitalisée, théorique, qui culmina avec son adaptation du texte fondateur de la littérature gothique, Le Moine.
C’est à la faveur de Seules les Bêtes, que nous retrouvions le cinéaste en pleine forme, aux commandes d’une mosaïque d’investigations et de manipulations au cœur d’un décor austère et mystérieux. Son goût du labyrinthe et de l’errance mentale y retrouvait son éclat, lequel explose à l’écran dès les premières minutes de La nuit du 12.
Diner américain ? Banlieue ouvrière ? Théâtre absurde ?
Nous découvrons un homme à vélo, s’entraînant en silence le long d’une boucle immuable, avant qu’un carton ne nous mette en garde : l’enquête qui s’annonce demeurera irrésolue. Puis vient cette déambulation innocente, celle d’une jeune femme rentrant chez elle après un long apéro, le pas léger, le sourire aux lèvres.
Une poignée de plans faussement anodins plus tard, nous scruterons ses yeux écarquillés alors qu’un homme l’asperge d’essence, l’embrase. Et son corps de s’éloigner de la caméra, au ralenti, pour se soustraire à notre regard en s’effondrant par saccades. Une boucle infernale, une fatalité sans issue et un surgissement de violence implacable. La nuit du 12 peut s’abattre sur nous.
Deux hommes que le mal va broyer
LA NUIT LA PLUS MOLL
Dominik Moll n’aura cessé de collaborer avec son co-scénariste Gilles Marchand. C’est d’abord la singularité de l’écriture qui frappe dans leur nouveau film. On accuse souvent le cinéma hexagonal de verser dans la théâtralité, d’être verbeux, autant de griefs qui traduisent plus un manque d’incarnation de l’écriture, une incapacité à traduire le récit en actes de cinéma, qu’une incompatibilité entre les planches et la caméra.
Et c’est bien à une mutation des deux arts que se livrent scénariste et metteur en scène. D’abord via des dialogues extrêmement écrits, qui n’hésitent pas à verser dans le littéraire voire le poétique, tout en veillant à ce que leurs interprètes y injectent une densité, une chair, qui les prémunissent de toute artificialité. Ainsi, quand Bastien Bouillon et Bouli Lanners s’écharpent comme deux flics ivres de bons mots, c’est d’abord la tessiture de deux âmes cabossées qui nous étreint.
Western bicyclette
Puis vient une réflexion souvent passionnante sur la notion même de théâtre. Et quel meilleur décor qu’une enquête, avec ses visites du lieu du crime, ses analyses de scènes potentiellement louches puis ses interrogatoires, pour revisiter toute la panoplie des corps de comédiens en scène ? Le dispositif pourrait être vain ou inutilement intellectualisant, il souligne au contraire combien l’investigation qui se joue part sur des bases viciées, combien tout ce petit monde s’échine à résoudre une énigme vérolée, combien le féminicide qui les occupe est voué à demeurer un angle mort pour leur conscience professionnelle.
Au pied des corps, fleurissent d'étranges fleurs
POLAR EXPRESS
La nuit du 12 est-il pour autant un pensum plus ou moins vaporeux ? Non, parce que derrière la caméra, Moll travaille son atmosphère avec un soin maniaque.
Situé dans une bourgade écartelée entre une station de ski pourvoyeuse d’emplois, et broyeuse de saisonniers d’un côté, et la petite bourgeoisie exfiltrée de la fourmilière grenobloise de l’autre, le récit tire perpétuellement parti de la géographie. Moll a toujours pris soin d'ancrer ses histoires dans un décor, du Cantal de Harry à la causse de Seules les Bêtes. Il trouve là un emplacement rêvé, entre les espaces du western et la bizarrerie du Pique-nique à Hanging Rock.
Une nuit sans fin
Qu’il sublime les élans rocheux d'un relief hostile, souligne ses lignes de fractures ou laisse l’étrangeté d’une communauté montagnarde presque insulaire gagner notre esprit, le réalisateur transforme les lieux en une boîte de pétri mentale et stylistique. Ce qui n’est pas sans évoquer Twin Peaks et le génie avec lequel David Lynch prenait une communauté terriblement banale, pour observer son progressif déraillement, jusque dans les affres de la démence. Mais cette fantaisie qui bout n'écrase jamais le versant plus concret du film, lequel s'avère si éminemment accompli qu'il n'aurait pas à rougir de la comparaison avec un certain Memories of Murder...
Débordant d’une lumière minérale qui découpe les faciès au scalpel, capturés par le découpage faussement tranquille de la caméra de Moll, l’ensemble réussit un tour de force de cinéma peu commun : nous donner un sentiment de réalité étouffant, tout en travaillant la matière de son intrigue avec style. Véritable, mais jamais naturaliste, La nuit du 12 embrasse l’absurdité cruelle, l’ironie décapante d’une quête qui épluche la banalité du mal à coups de trouvailles monstrueuses.
Un Bouli de démolition
RIRE DE MOURIR
Un rappeur en goguette explique qu’on peut souhaiter carboniser son ex sans lui vouloir de mal. Un butor assoiffé de dérouillées sexistes jubile de voir les poulets perdre des plumes à son contact. Une amie observe, terrifiée, la communauté juger l’air de rien la sexualité de feu sa meilleure amie. Marchand et Moll orchestrent une comédie humaine qui ne nous épargne rien de nos aberrations contemporaines.
On rit. Souvent. Du bon mot d'un suspect, de la bêtise d'un prévenu, ou de l'impasse injuste dans laquelle s'enferre l'institution policière. Admirablement amené, tout en rupture de ton, le rire est ici d'autant plus douloureux qu'à la manière d'une pointe de cristal, il a pour qualité première son tranchant, et les immondices par trop humaines qu'il dévoile.
Un moniteur qui fait écran à la vérité
Ce terrain de jeu, pour fréquemment terrifiant qu’il soit, permet à l’intégralité du casting d’exister avec une électricité peu commune. On songe bien sûr au couple Bouillon-Lanners, dont l’énergie comique se mue en une spirale tragique. Mais aussi au magnétique Pierre Lotin, auquel un sourire suffit pour faire basculer le métrage dans l’horreur. Quant à Anouk Grinberg et Lula Cotton-Frappier, elles portent à travers cette ronde sinistre une dignité contrariée, qui préserve le tout de verser dans la complaisance, ou la fascination pour le mal qui englue les personnages.
Et La nuit du 12 de fondre sur nous à la manière d’un piège parfait. Grande leçon de grammaire filmique, dans laquelle chaque réplique se fait ponctuation, tous les plans forment un ensemble de phrases au sens limpide, mais parfois insoutenable. Enquête profonde dont personne n’espérera sortir indemne. Joyau de style et leçon d’interprétation. Un grand polar, qui s’imprime sur notre rétine pour ne plus la quitter, et contaminer notre mémoire.
Lecteurs
(3.6)20/03/2023 à 18:08
Mention spéciale à bastien bouillon par contre je ne m'explique pas les éloges reçuent. Les échanges, la spontanéité n'existent pas du coup on est loin du grand thriller. N'en déplaise aux critiques mais les clichés sont présents.
27/02/2023 à 22:54
Jamel au CÉSAR exceptionnelle il parle du Cinéma des plateformes et des films d'auteur . Jamel donne idée de scénario à Juliette BINOCHE un film avec des Ninja
Sa Réponse " Nous avons la chance de pouvoir avoir une diversité formidable de films en France grâce aux diverses aides financières que le monde nous envie. Toute diversité doit s’exprimer. Non ! Désolé Jamel avec tout le respect et l’amour que j’ai pour toi, et tu le sais, je ne suis pas d’accord pour te laisser dénigrer ce cinéma là, ni ceux qui prennent le risque de le faire, c’est trop facile "
Et elle conclue " “T’as de la chance que je ne sois pas la sœur de Will Smith”.
26/02/2023 à 12:52
J'ai vu le film la veille des césar... et de suite, au vu du discours féministe (peu subtil), je me suis dit : voilà, ils vont voter pour ce film pour se donner bonne conscience...
Le film est très bien interprété, le scénario attachant, mais de là à en faire une référence de mise en scène.... Et pourtant, je suis adepte de Dominik Moll... Là, il prend ouvertement de la distance et la mise en scène finit par être plan plan... Dommage !
26/02/2023 à 08:55
Il me semblait aussi qu'être trop dithyrambique tue le dithyrambique...
25/02/2023 à 14:23
Nul insipide rien. Autant regarder le commissaire à la Plagne. Moll t'es mou.
25/02/2023 à 14:16
Un film inégal, des lourdeurs, des dialogues et monologues par moment très empesés, les transitions par cette scène de l'enquêteur qui fait du vélo recurrente et ennuyeuse. Un film inspiré par le paysage télévisuel actuel, crimes, faites entrer l'accusé etc et la vague metoo. Féminisme et féminicides, sujet racoleur, intérêt du grand public attendu. Un film un peu de bric et de broc et pourtant beaucoup de moments d'intense suggestion par les images.
25/02/2023 à 14:10
@Julian
C'est surtout que tu semble n'avoir pas compris l'on angle d'attaque du film sur ce sujet au combien important et d'actualité. Angle qui est loin d'être classique et surtout pas du tout balisé comme ce à quoi on a l'habitude. Et c'est ça qui en fait tout l'intérêt.
25/02/2023 à 08:27
Avec tous ses césar ! J'ai peur que Julian ait totalement raison.
25/02/2023 à 06:46
Un mauvais téléfilm français joué par des acteurs à la ramasse. Sans âme et surtout sans histoire, ce téléfilm a été sacré "le meilleur" par le gratin du cinéma français. Ça en dit vraiment long sur l'absence de talent de toute cette caste qui s'autoadmire. La nuit du 12 est un téléfilm chiant mal joué mal filmé mal écrit et sans aucun intérêt.
18/02/2023 à 23:42
Excellent film, fascinant. Le jeu est très naturel, la mise en scène d une grande fluidité, les situations sont très carrées. Dominik Moll est un super conteur.