Viens je t'emmène : critique de truffade et d'eau fraîche

Simon Riaux | 2 mars 2022
Simon Riaux | 2 mars 2022

Viens je t'emmène débute dans un monde terne, aux passions grises et tristes, la présence en bas d'un immeuble d'un jeune homme arabe excite, dans tous les sens du terme, les ardeurs et convoitise d'une tripotée de Clermontois. Voilà pour le point de départ de la dernière promenade iconoclaste de l'inclassable Alain Guiraudie.

LES EXCITÉS DU POUNTY

On a volontiers fait d’Alain Guiraudie un cinéaste éminemment politique, portraitiste volontiers intellectuel, chantre d’une sexualité solaire et émancipatrice. C’est oublier que le geste premier qui met en branle son cinéma, à savoir la comédie. Celle des mots, celle des idées, mais surtout des corps, dont les élans mettent toujours en mouvement ses intrigues, quitte à entrer en collision. Et c’est précisément sur deux impacts que s’ouvre son nouveau film, Viens, je t’emmène

Celui qui réunit Médéric et Isadora, trentenaire faussement affable et prostituée romantique, et celui qui voit s’entrechoquer les habitants de Clermont et les auteurs d’un attentat qui plonge la ville dans la paranoïa. Deux chocs qui vont redéfinir un espace, a priori banal, l’appartement d’un homme hésitant perpétuellement entre se laisser porter par le flux chaotique des évènements qui surviennent dans son existence, et en prendre le contrôle. Première - et principale – source de drôlerie, le corps et l’esprit flottant de Médéric, que campe idéalement Jean-Charles Clichet

 

Viens je t'emmène : photo, Jean-Charles Clichet, Noémie LvovskyUne des scènes d'action les plus brutales de l'histoire (non)

 

Non sans évoquer les premiers rôles au cinéma de Vincent Macaigne, il trimballe entre la place de Jaude et Notre Dame de l’Assomption sa dégaine de rêveur contrarié, dont chaque désir se heurte à l’étrange fluidité du monde qui l’entoure. Ce sont ses réactions, la gourmandise avec laquelle la caméra le laisse déplier une palette d’expressions allant de l’épagneul contrit au beagle moqueur, qui permettent souvent aux décalages des dialogues de briller, et de nous offrir de beaux moments de légèreté.  

Son destin s’articule autour de brusques avancées et d’innombrables petites reculades. Bien loin de composer un héros qui trimbalerait sa bien-pensance à la face de ses contemporains, l’observer aidant par bon sens un jeune homme cristallisant les idées préconçues est d’autant plus savoureux que le pauvre Médéric passe parallèlement son temps à se retirer. Il passe son temps à se planquer, par lâcheté ou conformisme, quand il s’inquiète ici du sort d’une stagiaire, avant de se transformer en carpette devant un Javert de supermarché qui aura tôt fait de lui faire retirer sa langue de la bouche d’autrui.

Dans Viens, je t’emmène, le salaud dissimule toujours un soutien imprévu, quand les bonnes âmes ne sont jamais les dernières à faillir. La ronde que tous composent autour de Noémie Lvovsky manque parfois un peu de liant, mais la comédienne trône suffisamment en majesté pour attraper le spectateur au charme.

 

Viens je t'emmène : photo, Noémie LvovskyLe rouge et le couard

 

TRUFFADEMANIAQUE

La même légèreté habite cette intrigue qui feint la décontraction, aux airs décousus, tout comme la société qu’elle décrit, où la bienveillance peut poindre chez chacun, avant de se marier à l’inquiétude ou au soupçon. Un à un, nous rencontrons cette galerie de voisins, locataires, amis, amants, maquereaux, craignant pour les uns de ne pas parvenir à rentrer les poils des autres, quand tout ce petit monde ne se questionne pas sur les motivations de Selim, jeune squatteur dont la mine débonnaire pourrait dissimuler un terroriste en puissance. 

Seule réponse à toutes ces angoisses, comme souvent chez Guiraudie : le corps, ou plutôt son plaisir, son exultation, qui chassent tant les angoisses que les présupposés, révèlent les volontés de chacun, comme autant de failles prêtent à se transformer en sourire. La fantaisie prend ainsi progressivement toute la place, au fur et à mesure que chacun s’assume ou se planque. Et l’évidence tendre avec laquelle le cinéaste brocarde les travers de notre époque a des airs d’onguent, tant son regard se veut critique, mais tendre, jamais prompt à la moraline ni à l’aveuglement angélique. 

 

Viens je t'emmène : photo, Noémie LvovskyUn pounty, et au lit !

 

Si la loufoquerie de ses fornicateurs impénitents fait curieusement corps avec la citadelle clermontoise, on ne peut pas, hélas, toujours en dire autant du découpage et du montage de l’ensemble. Les petites rues du centre-ville, la pierre de Volvic, ont beau se montrer singulièrement cinégéniques, on a parfois le sentiment que Guiraudie est comme éteint par son cadre urbain.

Ce dernier l’oblige à surdécouper l’espace, nuit souvent, lors des confrontations entre voisins notamment, à la fluidité qui régnait sur ses précédents travaux. Loin de la nature où il aimait à faire évoluer ses héros bancals et bandants, le metteur en scène donne parfois l’impression de perdre en partie l’accès à leur intériorité, en nous amusant certes, mais seulement avec le vernis des situations qu’il explore.

 

Viens je t'emmène : affiche

Résumé

Malgré une forme moins inspirée qu'à l'accoutumée, cette promenade auvergnate réchauffe le coeur et tend les zygomatiques, en plus de gonfler quelques tissus tendres.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.5)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire