BigBug : critique sex machina sur Netflix

Simon Riaux | 11 février 2022 - MAJ : 11/02/2022 15:01
Simon Riaux | 11 février 2022 - MAJ : 11/02/2022 15:01

Neuf ans après sa dernière incursion au cinéma, le retour tant attendu de Jean-Pierre Jeunet, réalisateur des célèbres Un long dimanche de fiançailles ou Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain, se fait donc via Netflix. Et comme son titre l'indique, la carrière du cinéaste a désormais tout d'un BigBug.

UN LONG MIC-MAC DES ENFANTS PERDUS

Qui aime bien châtie bien, paraît-il. Si l’adage doit se vérifier, alors Jean-Pierre Jeunet aura été follement aimé. Souvent considéré avec dédain par une intelligentsia qui renvoya ses créations à de vulgaires tics visuels, le désignant avec snobisme comme un metteur en scène publicitaire ou clipesque, il a aussi eu droit à quelques procès en Pétaino-réactionïte aiguë du temps d’Amélie Poulain.

L’adhésion massive du public à ses réalisations n'alla pas jusqu'à soutenir son projet le plus ambitieux (et réussis), l’incompris L'Extravagant Voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet, tandis que personne ou presque en France ne s’intéressait du non-sort fait à un des plus passionnants créateurs de formes en exercice. 

 

BigBug : photoPine au Chiot

 

En effet, si le cinéma de Jeunet a toujours regardé le passé avec gourmandise, il ne s’y est jamais vautré. Quand le cinéaste revisitait des canons esthétiques passés, dans Delicatessen, La Cité des enfants perdus ou encore Un long dimanche de fiançailles, il ne cherchait jamais à recréer un geste ou une atmosphère d’antan, mais bien à conjuguer ces héritages avec des défrichages technologiques audacieux, des expérimentations formelles invraisemblablement ludiques. Cette position relevant du grand écart, celle d’un archéologue prospectiviste en somme, est précisément ce qui fait défaut à BigBug, son nouveau film accueilli par Netflix.

On y suit une galerie de personnages, tous décidés à se rentrer mutuellement les poils et coincés dans un appartement ultra-moderne, alors qu’une génération de robots dernier cri tente d’oblitérer l’humanité. On l’aura compris, il est question ici de critiquer vertement notre dépendance à la technologie, nos addictions diverses à des algorithmes oppressifs, ainsi que l’hygiénisme mollasson qui en découlerait. Pourquoi pas, mais la vision du film est à ce point caricaturale et rance qu’elle lui interdit toute pertinence. 

 

BigBug : photo, François LevantalTerminator : dark fail

 

DRAME DU CON FORT

Ici, tout n’est que vulgarité et ruine de l’âme, semble vouloir nous asséner Jeunet. Au contact de leurs androïdes et de leur techno-cocon si confortable, les humains ne sont plus qu’une brochette de débiles légers, littéralement des clébards que leurs maîtres cybernétiques daignent à peine laisser uriner entre deux saillies, quand ils ne sont pas réduits à l’état de pur bétail.

Ce regard manichéen, simpliste, augure d’un retournement total du positionnement de l’auteur. Le nostalgique qui regardait ses souvenirs avec l’oeil d’un inventeur est désormais un vieux con, qui regarde demain avec aigreur et incompréhension... mais ne sait pas comment filmer la chose. 

 

BigBug : photo, Elsa Zylberstein, Stéphane De Groodt"Regarde, c'est super, le scénario est écrit en émojis !"

 

C’est peut-être là que réside le plus grand choc de BigBug, tant le spectacle étalé sous nos yeux tranche avec l’excellence qui fut la marque de son auteur. Charnier de l’imaginaire et fosse esthétique, l’image raye le cristallin du spectateur innocent à force d’incrustations indignes, de greffons numériques voyants, de plans répétitifs, d’effets de montage parfois grossiers. Difficile de croire que c’est le metteur en images d’Un long dimanche de fiançailles qui s’égare au milieu de tant de facilités et raccourcis techniques. 

Après neuf ans sans réaliser de long-métrage, on pourrait comprendre que Jeunet, qui explique avoir fait des pieds et des mains pour que BigBug sorte en salles, ait eu du mal à réunir un budget à la hauteur de ses ambitions. Mais c’est la direction artistique de l’ensemble qui constitue la pilule la plus amère en matière d’ambitions visuelles. Incapable de dissimuler l’étroitesse de ses moyens au regard de ses désirs, le décor unique qui accueille le récit en souligne toutes les limites.  

 

BigBug : photo, Claude PerronClaude impériale

 

CIEL, MON ROBOT !

Pire, l’idée de revisiter le fantasme des futurologues des années 60 était sur le papier très excitant, mais la fragilité de l’ensemble et son goût immodéré pour la caricature grossière assassine ce concept stimulant dès la première scène. Au milieu de cette désolation plastifiée surnagent péniblement Claude Perron et le formidable Einstein, seuls ingrédients autour desquels la caméra de Jeunet retrouve un peu d’énergie, réussissant soudain à unir performance organique, artisanat de génie et découpage créatif. 

 

BigBug : photo"Chouette, tu peux enfin te trancher les veines !"

 

On ne pourra pas en dire autant des personnages, unanimement détestables. Du fornicateur aux petits pieds, en passant par la divorcée en quête de fessée ou les boutonneux suant des hormones à grosses gouttes, il n’est pas un plan qui ne suinte pas le mépris profond envers tous. Les androïdes n’étant guère mieux traités, on se demande rapidement ce qu’on fait là, tout comme les comédiens, manifestement désemparés par un texte qui donnerait mal à la tête à Jean Roucas.

Dès lors, cet enchaînement de saynètes le plus souvent décousu ne peut plus que suivre les rails qu’il a lui-même posés. Ceux d’une comédie de boulevard telle que la convention de Genève en a limité la fabrication, épaisse, amère, sorte de fourre-tout consensuel déjà vu mille fois, qui confond inventivité et gribouillage, satire et caricature, énergie et hystérie. Espérons qu’après ce ratage à peu près total, Jean-Pierre Jeunet pourra mettre en branle de nouveaux projets, à la hauteur de son ambition comme de son expérience.

Big Bug est disponible sur Netflix depuis le 11 février 2022

 

BigBug : affiche françaiser

Résumé

Après neuf années d'absence, Jean-Pierre Jeunet signe un retour décevant, où l'on peine à distinguer les ruines de son cinéma, pulvérisées par une direction artistique bancale, un scénario vieillot et des comédiens en péril. Ne reste qu'une comédie de boulevard réactionnaire et malade.

Autre avis Geoffrey Crété
La vraie chute de cette longue farce ringarde et laide, c'est de se souvenir qu'elle est signée Jean-Pierre Jeunet, grand cinéaste tombé dans un mauvais flashback de SF vieillotte.
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commentaires
Grey Gargoyle
25/08/2023 à 18:07

Hello,
la bande annonce est tellement laide que je n'ai jamais cherché à regarder ce film.
Comment est-ce possible de la part du co-réalisateur de la Cité des Enfants Perdus ? :'-(
Bien cordialement

Stef
24/02/2022 à 12:01

Les commentaires sont pour certains bien pires que le film, et pourtant on part de très très bas niveau qualité ! "Les moutons macroniens" ?!?! Sérieux ? Commentaire d'adolescente en mal de révolte ?? Pour voir ici un véritable pamphlet contre les dangers de la robotisation ... il faut avoir 14 ans ! Comme pour apprécier ce film d'ailleurs.
Mais comment Jeunet a-t-il pu accepter ce résultat et le sortir fièrement ?? Quelle désolation... quelle daube de film ... une vraie déception, surtout venant de lui !!

Simon Riaux
23/02/2022 à 16:42

@Raoul Duke

Bah ouais, je comprends pas ce qui s'est passé.

Raoul Duke
23/02/2022 à 16:42

"regard manichéen, simpliste", ça aurait du plaire à Simon Riaux pourtant.

Gacho
17/02/2022 à 12:02

Pour une fois que je trouve la critique de ecran large trop gentille.Un des pires film de tout les temps.Je suis trés sérieux.

girlette
15/02/2022 à 00:59

Les "pro macron" moutonneux ont détesté le film et pour les autres, il deviendra iconique. JPJ va très très loin dans la résistance active à un système de plus en plus déglingué ! ça fait tellement de bien tant de clairvoyance si finement distillée... BIG UP POUR BIGBUG !!

infornaute
14/02/2022 à 12:51

et bien moi j'ai adoré. C'est beau, c'est drôle, ça fait réfléchir (comme pour Don't look up).
C'est si facile de détruire le travail des autres surtout quand on connait la difficulté à produire des films aujourd'hui alors s'il vous plait, parlons des films que l'on aime et évitons de parler des films que l'on aime pas.

Paflechien
14/02/2022 à 07:57

... donc oui, j'ai adoré. Et j'adorerai entendre que Netflix l'ai produit en cryptomonnaie avec des algorithmes pour producteur ...

Bob nims
14/02/2022 à 01:02

Bon film avec une bonne esthétique

R.A.
14/02/2022 à 00:25

Un beau gâchis, ce film aurait pu avoir un propos pertinent et profond sur la société et au final on se retrouve juste devant un film fachocrado’ qui ferait pâlir Sardou et Bigard... Il y a deux trois p’tits bricolages sympathiques mais le négatif l’emporte très largement !

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