Adieu Paris : critique qui déguste

Simon Riaux | 17 novembre 2022 - MAJ : 18/11/2022 13:58
Simon Riaux | 17 novembre 2022 - MAJ : 18/11/2022 13:58

Entouré d'une troupe de comédiens hauts en couleur, Edouard Baer feint de nous inviter à un truculent dîner, pour se livrer à un étonnant jeu de massacre. Adieu Paris n'est pas tant une célébration nostalgique qu'un règlement de compte embué de larmes, dont la férocité dévoile un nouvel aspect de son auteur.

CARNAGE DE RAISON

Depuis La bostella, son premier film réalisé il y a 20 ans, puis sur les planches ou au gré de ses pétulantes interventions radiophoniques, Baer entretient un dandysme de café théâtre, une faconde française souriante. Un plaisir des mots et de ceux qui les portent qui ne s'est jamais interdit la mélancolie, mais dont les particularités premières ont toujours semblé une évidente truculence, un esprit de bande et de camaraderie le situant dans la queue de comète d'une certaine tradition française.

Ainsi, à le voir promouvoir Adieu Paris à coups de teasers métas autour de la promesse d'une grande bouffe rabelaisienne, on craignait de le voir s'ensuquer dans un geste inspiré des Acteurs de Blier, célébrant une énième fois les mêmes talents et les mêmes représentations.

 

Adieu Paris : photo, Pierre Arditi, Bernard Le CoqPrêts pour une bonne daube ?

 

Un temps, on croit sincèrement que c'est bien cette comédie contrainte de se déboutonner le pantalon qu'il va nous jouer. Les vieilles gloires se retrouvent, les premiers verres sont servis, les bons mots fusent. Mais au lieu d'abeilles butinant les fleurs grasses des cultureux parisiens, ce sont plutôt des frelons fatigués qui vibrionnent à l'écran. Le vers était d'ailleurs dans le fruit dès les tout premiers plans du film. Tremblant, Jackie Berroyer campe un lointain écho du philosophe Lucien Jerphagnon, diminué et malade, hésitant à retrouver ses comparses d'autrefois. Benoît Poelvoorde est un comédien un peu perdu, aussi honoré que terrifié à l'idée d'être convié à un mystérieux déjeuner que le Tout-Paris rêve de fréquenter. Déjà, une petite ritournelle désenchantée monte.

Et sitôt nos protagonistes réunis, c'est tout le programme attendu qui commence à pourrir sur pieds. La bombance tarde. On exclut les uns, moque les autres. Dans ce groupe de vieux compères, emblèmes du Paris cultureux, l'amour a tourné, les langues se sont fourchues. Que le directeur de théâtre qu'incarne Pierre Murat se hasarde à proférer une banalité, l'écrivain Sollersien que campe Pierre Arditi l'humiliera de longues minutes. "Qui a été le plus ignoble cette année ?", persiffle Daniel Prévost, comme pour bien nous donner à comprendre que si la Closerie des Lilas est vide, ce n'est pas parce qu'on l'a privatisée, mais parce qu'elle va servir de purgatoire à un régiment de vieux salopards.

 

Adieu Paris : photo, Benoît Poelvoorde, Edouard BaerPréparez-vous à l'impact

 

MALE GAZÉS

Derrière la caméra, Baer s'amuse. On pourra lui reprocher l'extrême simplicité de son dispositif, qui ne cherche ici jamais à sublimer son décor singulier, qui n'applique aucune théorie, principe ou expérimentation formelle, quand il ne se désintéresse pas purement de la forme. Disons plutôt qu'il fait le choix, immersif, pas passionnant plastiquement, de soumettre sa mise en scène aux formidables joutes, aux fluctuations de l'énergie de son improbable repas. Moins évident qu'il en a l'air, le procédé est maîtrisé à la perfection.

Jusque dans les saynètes les plus cruelles, telle l'auto-humiliation d'un Bernard LeCoq désolant en vieux beau priapique, la dynamique de l'ensemble trouve toujours le bon vibrato. Le cinéaste et dramaturge semble avoir trouvé, pour chacun de ses interprètes, la distance exacte entre la persona, l'artiste, l'individu et ce que le public connaît déjà de son talent. Poelvoorde demeure le bouffon angoissé qui décoche éclats de rire ou sueurs froides depuis C'est arrivé près de chez vous, mais rarement aura-t-il été aussi pathétique, vulnérable au sein d'une production en apparence comique.

 

Adieu Paris : photoLes sourires ne vont pas rester longtemps en place

 

Il en va de même pour Arditi, dont les énervements de Gaulois atrabilaires sont légendaires, mais qui sont ici utilisés comme étendards d'une personnalité brutale, vénéneuse, jusque dans l'embarras que fait naître en elle la proximité d'un mentor aimé, mais dont la maladie angoisse trop pour qu'on la regarde avec empathie.

Bien sûr, Adieu Paris conserve beaucoup de tendresse pour ses fauves édentés, on imagine que les disparitions ces dernières années de Jean-Pierre Marielle, de Jean Rochefort, ne sont pas pour rien dans l'atmosphère fantomatique qui plane sur l'ensemble, cette lumière étonnamment rasante alors que progresse le repas, que les corps s'alourdissent, sans qu'on sache bien s'ils digèrent ou se madérisent.

 

Adieu Paris : photo, Benoît PoelvoordeDuel à la Belge

 

LE VIN EST TIRÉ

La mélancolie et la cruauté nimbent Adieu Paris d'une dureté franchement inattendue, mais ce qui étonne le plus, conférant à cette histoire somme toute banale de vieux barbons se disputant, c'est la tristesse qui lie le tout. L'émotion gagne le récit progressivement, et c'est l'apparition d'Edouard Baer lui-même qui vient marquer un point de non-retour. En convive retardataire et de mauvaise volonté, il se place non seulement en chef d'orchestre, mais il vient souligner s'il était besoin la dimension personnelle, affective, de l'entreprise. Car, et le film ne le surligne jamais, son sujet n'a rien d'anodin, ou d'innocent.

Ces vieux camarades qui se retrouvent une fois de plus (de trop) sont un lointain écho d'un club ayant réellement existé, jusqu'à faire ponctuellement la pluie et le beau temps sur le parisianisme cultureux. Redouté, envié, adulé, fantasmé, le groupe fut déjà représenté, sur les planches et sur grand écran (déjà avec Baer) dans Cravate club. Toutefois, l'objet d'Adieu Paris n'est pas le clin d'oeil snobinard à destination des initiés. C'est une lettre de rupture amère, un regard implacable porté sur les complices d'hier et leur lente dérive. Difficile de ne pas voir dans le geste du réalisateur une trahison navrée, un coup de poignard trop longtemps retardé.

 

Adieu Paris : photo, Benoît Poelvoorde, Jean-François StéveninLe dernier tour de piste de Jean-François Stevenin

 

Devant sa caméra, de vieilles gloires conscientes de s'être lancées dans un dernier tour de piste se jaugent, se jugent, sans plus trouver la force de s'entredévorer. On a beau sentir toute la sympathie, la mélancolie qui se déploient ici, comme tout festin au restaurant, l'heure arrive de payer l'addition. Ainsi, chacun apparaît finalement pour ce qu'il est. Sénile, méchant, égoïste, menteur ou manipulateur, incapable de dissimuler plus longtemps ses vices, et ayant oublié ses vertus. Le rideau tombe sur un vieux monde, un peu trop tard pour ne pas en écorner le souvenir.

 

Adieu Paris : affiche

Résumé

Baer réunit une fabuleuse brochette de talents, mais plutôt que de célébrer une énième fois la bonne chair ou les bons mots de ses complices d'hier, il les observe avec une amertume et une cruauté inédites. Profond et triste, Adieu Paris est une élégie étonnante, inattendue et vénéneuse.

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Lecteurs

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commentaires
SebSeb
18/11/2022 à 14:26

J'avais adoré Ouvert la nuit, je suis ressorti atterré de ce Adieu Paris, moisi et vainement cruel dans lequel s'agitent des vieilleries de St Germain tous plus pathétiques les uns que les autres. Hormis Baer et Poolvoorde.

pop
18/11/2022 à 10:45

Baer et Poelvoore c'est tout même ce qui se fait de mieux dans le cinéma francophone actuellement.
On pouvait déjà les retrouver ensemble dans le merveilleux Akoibon.

Climax
18/11/2022 à 07:34

tout a fait d'accord avec votre analyse.

xapi
20/03/2022 à 10:44

un résultat pareil avec un casting comme ça, une desolation!!!!
si baer me répondait il me dirait donc que j’ai ressenti ce à quoi il s’est attelé : la desolation!! et que du coup il a réussi son « œuvre »
le problème est que que c’est payant et que j’ai vraiment l’impression de m’être fait avoir. je vais au cinéma pour être surpris et pour rêver, pas pour voir improviser des acteurs sur les difficultés de notre monde et de la déchéance de bourgeois vomissant leurs états d’âme autour d’une bouffe entre potes de ce qu’est la vraie vie.
Il y avait tellement à faire avec un casting pareil
mal aise !!!

Chanchan
12/02/2022 à 20:41

Je me suis fiée à l 'histoire , aux acteurs annoncés dans ce film
J'ai hésité à quitter la séance au bout d'une demi - heure mais en vain j'ai voulu persister
pensant que l'histoire aurait du mordant .....
C'est bien la première fois que cela m'arrive
Je suis sortie du cinoche : très très déçue par ce film ......
Je ne le recommande à personne.

Raoul Duke
27/01/2022 à 23:51

Akoibon, Ouvert la nuit, sans parler du mythique Centre de Visionnage, si c'est du même acabit, j'y cours.
La seule chose qui me dérange c'est la bonne note de Riaux.

Majo
27/01/2022 à 23:13

Malheureusement le résultat n'est pas à la hauteur!!
on s'ennuie d'un bout à l'autre du film; tout est tellement outré que ça en devient imbuvable... et lent et outré.... Quelle déception

Birdy en noir
27/01/2022 à 14:21

Belle critique. Simon, vous devriez vraiment vous réservez le buffet de ces films "à la Blier" que vous semblez tant aimer (et nous donc !), plutôt que vous compromettre dans les éternelles bouffonnerie marvelliennes sans saveur qui ne vous donneront jamais la matière nécessaire aux bons mots.

Mouais
27/01/2022 à 10:31

traduction : Film de gens qui ont le bras long, comme sur l'affiche, et qui se regardent le nombril .

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