Tout s'est bien passé : critique en fin de vie

Simon Riaux | 17 mai 2022
Simon Riaux | 17 mai 2022

Tout s'est bien passé est ce soir à 21h09 sur Canal+.

Présenté en compétition à Cannes, Tout s'est bien passé est le dernier film en date de François Ozon, qui après avoir ausculté les traumas engendrés par la pédophilie dans l'Église catholique dans Grâce à Dieu et pris le pouls d'une romance amère dans Été 85, adapte ici le témoignage éponyme d'Emmanuèle Bernheim. La romancière y chroniquait les dernières semaines de la vie de son père, lequel, après un accident vasculaire cérébral, suppliait ses deux filles de l'aider à mourir.

TUER LE PÈRE 

L'entreprise est périlleuse, transposer à l'écran un texte éminemment littéraire, mais tout à fait autobiographique, en conservant jusqu'aux patronymes de ses "personnages", sans jamais reculer devant son sujet, l'euthanasie, sa difficile mise en place comme son impossible acceptation, dans un pays où la loi l'interdit. Et sur le papier, qui mieux que François Ozon, cinéaste à la remarquable versatilité, explorant genre après genre, film après film, pour s'en charger.

C'est dans un premier temps ce qui séduit dans Tout s'est bien passé, tant il semble de prime abord clair qu'il est en mesure d'embrasser cette thématique dans sa complexité.

 

photo, Géraldine Pailhas, Sophie Marceau, André DussollierUn trio à couteaux faussement tirés

 

Le refus évident du pathos saute ainsi douloureusement aux yeux. Pour diminué et résolu qu'il soit à mourir, André (André Dussollier) n'en renonce pas pour autant à sa causticité, aux petites cruautés qui, on le devine, ont nourri son quotidien, des décennies durant. Tyrannique et capricieux, il veut à la fois obtenir l'assentiment de ses filles, mais leur faire porter le chapeau sitôt la déconfiture approchant. On rit avec acidité quand il refuse d'admettre son choix devant une proche, et se prétend victime de rejetons indignes, on pouffe quand il trouve le temps de moquer un soignant ou se ridiculise avec gourmandise. 

C'est grâce à la formidable partition de Dussolier, pas tant méconnaissable du fait de la prothèse qui déforme son visage, que de l'absolue sécheresse de son jeu. Esthète contrarié, il fait payer à ses contemporains l'addition de son insatisfaction chronique. Malheureusement, pour complexe et parfois truculent que soit le personnage, on sent la mise en scène à la peine. Refusant le pathétique, mais ne parvenant jamais à atténuer la froideur de cet anti-héros, cherchant la bonne distance, mais s'éloignant inexorablement, la caméra paraît ne jamais trouver sa place, et se perd dans un dispositif tiède et flottant, moins engageant que la recension d'un concours de vidage de truites à la Bourboule.

 

Photo Sophie MarceauSophie Marceau en majesté

 

AWC

Pourtant, le récit compte son lot de pistes étonnantes, possiblement passionnantes. L'atypique construction de cette famille dominée par un père homosexuel, en rupture de ban avec les générations qui l'ont précédé, l'invisibilisation d'une mère dont tout le monde se désintéresse avec une facilité glaçante, voire incompréhensible, et l'irruption d'un amant dont on ne sait trop s'il est la victime ou le bourreau d'André composent une galaxie de caractères dont les motivations nous échappent, n'en devenant que plus intéressants. Malheureusement, le scénario comme l'image les effleurent, jusqu'à transformer tous les personnages en silhouette d'un récit curieusement atone.

Le constat est d'autant plus regrettable que la distribution du film est remarquable. Le désir d'Ozon de donner à Sophie Marceau un rôle à la hauteur est évident, tout comme celui de la comédienne d'investir avec justesse le caractère de cette protagoniste qui sert successivement d'épaule puis de punching-ball à un paternel sur le départ. En retrait, mais toujours épatante de justesse, Géraldine Pailhas ne démérite jamais, quant à Grégory Gadebois, en dépit d'un rôle bien trop embryonnaire, il précipite instantanément l'intrigue dans un trouble bienvenu.

 

photo, Sophie MarceauDes sourires et des larmes

 

Plus embêtant encore, dans ces interstices que le récit ne comble jamais, il se glisse non pas le mystère d'un homme, mais le sentiment, injuste quoique persistant, que cette histoire ne sait pas comment se raconter. Le texte d'Emmanuèle Bernheim passionnait par sa capacité à capturer les ambiguïtés de chacun autant que l'impossible sérénité d'une fille tentant bien malgré elle d'accompagner l'auteur de ses jours dans la mort.

À l'écran, Tout s'est bien passé a des airs d'objets aux contours bien trop flous pour que le spectateur s'y investisse, intellectuellement ou émotionnellement. On ressortait du livre convaincu de l'ironie terrible de cette réplique, "Tout s'est bien passé", on sort de la salle regrettant que rien ne soit advenu.

 

Affiche officielle

Résumé

Pour saisissants que soient les comédiens et puissant que soit le point de départ de ce récit, le dispositif se heurte à une mise en scène qui peine à traiter les zones d'ombre d'un scénario qui transpose parfois maladroitement le texte adapté.

Autre avis Alexandre Janowiak
François Ozon déroule sans jamais prendre de risque avec Tout s'est bien passé, long-métrage mineur traitant pourtant d'un sujet majeur.
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Lecteurs

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commentaires
Rbk
02/10/2021 à 01:02

J'ai été déçu par ce film qui me semblait prometteur et fort en émotions.
Je ne me suis pas attaché au personnage principal,André,qui es invivable,avant comme après son avc.
Dommage les acteurs sont très bons !

X or
23/09/2021 à 14:19

Je lis Écran large et le regarde uniquement pour Riaux.
J'aime vos punch line comme la plume de Forestier

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