La Troisième guerre : critique post-13 novembre

Antoine Desrues | 6 septembre 2022 - MAJ : 07/09/2022 18:17
Antoine Desrues | 6 septembre 2022 - MAJ : 07/09/2022 18:17

Présenté à la Mostra de Venise de 2020, La Troisième guerre fait le pari assez précoce de s'attaquer au traumatisme des attentats de 2015. Le film de Giovanni Aloi embarque Anthony BajonKarim Leklou et Leïla Bekhti dans l'Opération Sentinelle, cette lutte militaire antiterroriste qui amène de nombreux soldats armés à déambuler dans les rues. Une démarche fascinante qui pousse à se demander si cette absence de recul sur l'actualité n'est finalement pas une force.

"Nous sommes en guerre"

Des soldats, une contre-plongée, des effets de parallaxe stylisés sur des immeubles... dans l'une des séquences centrales de La Troisième guerre, le réalisateur italien Giovanni Aloi présente sa troupe de personnages principaux avec un sens de l'iconographie qu'on jurerait sorti d'un film de Michael Bay. Et pourtant, l'effet escompté est inverse à celui de son référent. Les corps ne sont pas mis en valeur par l'angle de la caméra, mais engloutis dans un Paris anxiogène, reflet de leur totale impuissance.

Présent en France lors des attentats de 2015, le jeune cinéaste (dont c'est le premier long-métrage) a vu de quelle manière le paysage de la capitale a soudainement absorbé toute la terreur de cette "guerre contre le terrorisme" évoquée par Manuel Valls, et qui donne son titre au film. Ainsi, le récit nous jette sans prévenir dans le grand bain, aux côtés de Léo (génial Anthony Bajon), un jeune homme défavorisé en quête d'ordre, et qui pense l'avoir trouvé auprès de l'armée. Alors qu'il vient de finir ses classes, il écope d'une mission Sentinelle, ces opérations mises en place après l'attaque de Charlie Hebdo, avec Hicham (Karim Leklou) et Yasmine (Leïla Bekhti).

 

Photo Karim Leklou, Anthony BajonDe superbes acteurs

 

Porté par un casting absolument impeccable, La Troisième guerre parvient sans peine à traduire un état d'esprit paranoïaque, celui qui s'est emparé du pays dans sa globalité, mais qu'il traite à travers ses personnages tel un échantillonnage marqué. En raccordant la petitesse de ses soldats à une architecture parisienne rendue aussi angoissante que foutraque, le film embrasse une froideur terrifiante. Aux côtés des élans science-fictionnels de Gagarine, ou ceux horrifiques de La Nuit a dévoré le monde, le postulat de Giovanni Aloi prouve avec vigueur que Paris est encore un décor parfaitement adapté au cinéma de genre.

Et c'est d'ailleurs la grande force du long-métrage que d'être pensé de la sorte. La Troisième guerre adapte entièrement sa mise en scène sobre, mais dotée de petits éléments de flamboyance, avec la psyché de personnages persuadés d'être les nouveaux GI Joe. Tandis qu'on nous promet un thriller énervé à la 24 heures chrono, la réalisation se veut trompeuse, adoptant de longs plans fixes pour accentuer l'immobilité de ces militaires inactifs, contraints d'observer et d'attendre des ordres dans une chaîne de commande interminable (on pensera notamment à un plan-séquence d'une tristesse infinie dans une rame de métro).

 

Photo Leïla BekhtiMétro, boulot, dodo

 

rester dans Leklou

Ramassée sur 1h30 épurée et tendue, la démarche de Giovanni Aloi impressionne par sa maîtrise, qui capte une colère grondante, et un désespoir enfermé dans une cocotte-minute au bord de l'implosion. Ses héros tragiques sont piégés dans un silence étouffant, où leur quête de sens s'accompagne d'autres problématiques, comme la condition de la femme dans l'armée. On regrettera alors que le film cède à quelques facilités, telle cette sous-intrigue autour d'un portable de criminel récupéré, qui sert uniquement à ce que Léo déballe sans grande finesse ses états d'âme, que l'image transmet déjà parfaitement.

La Troisième guerre souffre d'ailleurs d'un léger excès de zèle, emporté qu'il est par ses envies de pénétrer la psyché de ses personnages et leur pensée ultra-sécuritaire, quitte à parfois s'y perdre. Mais l'on doit peut-être moins ces errances au réalisateur qu'au scénariste Dominique Baumard, auteur pour Le Bureau des légendes et co-réalisateur des Méchants de Mouloud Achour.

 

Photo Anthony BajonUn dernier acte virtuose

 

Pour autant, on ne saurait enlever au long-métrage, malgré ses quelques maladresses, son sens imparable de l'immersion. Collé aux corps apeurés de ses protagonistes, Aloi s'attarde avec force sur leurs yeux, sur ces regards concentrés qui semblent distinguer des menaces à chaque coin de rue.

Et quand bien même il évite soigneusement de se référer à un contexte politique trop précis, La Troisième guerre ne se met pas d’œillères quant à la portée du point de vue qu'il adopte. Sans jamais juger les idéaux des soldats qu'elle filme, la caméra n'est pas non plus là pour vanter les mérites de l'opération Sentinelle. Les militaires armés de Famas ont beau être devenus un élément normatif de notre quotidien, le long-métrage se pose la question de leur impact, de la crainte qu'ils engendrent auprès de la population, qui peut même se transformer en escalade de la violence.

Pour un premier long-métrage aussi carré et sec, on pourrait s'étonner de voir un cinéaste atteindre un tel niveau de maturité dans la mise en scène d'un sujet de ce genre, ici hantée par des interrogations plutôt que par des assertions préconçues. Et en condensant tout ce magma dans le chaos tétanisant d'une manifestation lors de son dernier acte, La Troisième guerre prouve que l'on fait face à un réalisateur prometteur, dont on a hâte de voir les prochaines œuvres.

 

affiche finale

Résumé

Un premier long-métrage mature et maîtrisé, qui sonde avec pas mal d'intelligence le traumatisme et la paranoïa causés par le terrorisme.

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Lecteurs

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commentaires
Flo 1
04/03/2024 à 15:31

Presque dans la continuation de son court-métrage « Au pas », où on voyait le drame de la précarité en Italie ainsi que quelques manifestations…
Le réalisateur Giovanni Aloï passe en France pour faire un focus sur les jeunes militaires que vous pouvez voir patrouiller dans les rues de temps en temps, pendant les plans Vigipirate… Souvent pour rien, ou bien alors trop tard.
On se retrouve donc dans ce sous-genre du film de guerre, celui qui repose sur l’attente d’un conflit qu’on ne verra peut-être pas, alors qu’on a été entraîné à ça.
Surtout quand une chef (Leïla Bekhti, du cran à revendre) cache sa grossesse pour pouvoir gagner une promotion…
Qu’un troufion (Karim Leklou, Bernard Blier 2.0) se fait passer pour une figure d’autorité, alors que lui et ses camarades glandeurs, peu disciplinés, au frais (le seul passage à l’hôpital qu’on y fait n’a rien à voir avec les combats) sont des habitués du mythonnage – dont Raphaël Quenard, déjà expert en improvisations absconses.
Et déjà partenaire de Anthony Bajon (nounours intense), personnage principal au bord de l’explosion, recrue cherchant à échapper à cette fameuse précarité ainsi qu’à une famille chaotique… pour trouver un Ordre qu’on arrive pas à lui garantir.
C’est comme si on avait un fusil chargé, mais qu’on le trimballait tout les temps dans des endroits où on ne peut pas s’en servir sans créer encore plus de dégâts.
Il y a de quoi virer à la Travis Bickle là.
Musique joliment immersive, divers environnements écrasants (immeubles, caserne, manifs), un peu trop ramassé mais cohérent jusqu’au bout.
Une sorte de petit frère amer du film « Les Combattants ».

MoiLeVrai
18/09/2022 à 22:41

Regardé ce soir, assez deçu au final.

Ca commence bien, mais la fin est tellement express et bâclée… quel dommage

Gsk
13/09/2022 à 16:11

Il serait temps que les réalisateurs et autres responsables des costumes notamment, vérifient le bon ordre des médailles sur les uniformes m. Aucune n'est placée correctement.

Stenia
07/09/2022 à 14:08

Beaucoup d'incohérence, donne une mauvais images des armées. Entre grade, cursus et mes militaire seul en patrouille......

The insider38
22/09/2021 à 21:57

Vu . Beaucoup aimé, mais pour le coup il manque 30 minutes pour approndir les personnages, la fin trop rapide, les conséquences, bref un goût d’inachevé alors que j était à fond dans le film

Sekt mortelle OVNI
22/09/2021 à 20:59

Zone hostile le superbe film de Netflix a eu la note de 2 par écran large,celui ci que je n'ai pas vu certes mais qui sent franchement le film français vite fait ,il reçoit 3,5
Ça vous donne une idée de ce qu'est écran large

McCoy
22/09/2021 à 18:12

Vu. Un peu simple comme propos. Le film manque clairement d'ambiguïté. Notamment du sens du devoir et de la nécessité de se protéger. Mais faut pas froissé les idéologues hein. Oh non surtout pas !

Sanchez
22/09/2021 à 17:57

@tuk
T’as un tuc dans le cerveau

Geoffrey Crété - Rédaction
22/09/2021 à 15:30

@F. Poncherello

Il est en salles, comme c'est indiqué sur la fiche du film, en lien orange fluo dès la première ligne pour info. Le mercredi, on parle souvent des sorties cinéma, pour le jour de la sortie des films au cinéma.

saiyuk
22/09/2021 à 15:26

La critique fait envie, j'espère que le jeune Bajon que je connais très mal est meilleurs que dans les Méchants ou il est nullissime (mais le film est le rôle n'aide pas....)

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