Un homme en colère : critique qui en redemande

Simon Riaux | 14 juin 2021 - MAJ : 14/06/2021 15:03
Simon Riaux | 14 juin 2021 - MAJ : 14/06/2021 15:03

Le 16 juin 2021, les salles obscures accueilleront une bourrinerie plus singulière qu'il n'y paraît. Stathamerie parmi les contenus de la carrière du comédien, véritable exercice de sobriété de la part de son réalisateur, relecture plus ambitieuse qu'on ne l'aurait cru d'un excellent film français... et si Un homme en colère était le plus bel effort commun de Jason Statham et Guy Ritchie ?

ONE MORE TIME, WITH FEELING

La dernière collaboration entre Jason Statham et Guy Ritchie, intitulée Revolver, avait des airs de mauvaise gueule de bois. Hallucination arty ivre d’elle-même, dont la vanité n’avait d’égal que le naufrage capillaire enduré par son comédien, cette explosion en vol avait scellé symboliquement les aspirations et limites des deux hommes. Presque deux décennies plus tard, le premier est devenu l’une des stars d’action en vue, mais sans cesse menacée d’anachronisme, quand le second aura incarné jusqu’à l’auto-parodie une certaine veine expérimentale du blockbuster des années 2010. 

Ce sont donc deux artistes simultanément essorés et reconnus, puissants et toujours à la limite de la sortie de route (ou du coup de boule, c’est selon) qui se retrouvent pour réimaginer Le Convoyeur de Nicolas Boukhrief. Il y a quelques mois, on avait retrouvé le cinéaste assagi, usé et content de l’être avec The Gentlemen, où la frénésie de ses débuts laissait place à un ton plus amer et roué. Une mue qui se poursuit avec Un Homme en colère, où Ritchie abandonne tout à fait la bienveillance goguenarde de ses débuts pour narrer un récit de vengeance éclatée. 

 

 

Au premier abord, on ne saurait dire si sa caméra s’est éteinte ou assagie. Les trips kaléidoscopiques ont disparu, la colorimétrie s’est tempérée, aucun opérateur ne cherche à agresser les personnages à coups de steadycam, et jamais le montage ne s’oublie à des effets démonstratifs, creux ou gratuits. Les accélérés cocaïnés ainsi que les expérimentations photographiques “audacieuses” ne sont plus non plus de la partie. Et pourtant, dès son ouverture, et plus encore durant un premier tiers chevillé au corps de Jason Statham, le réalisateur se rappelle à nous de la meilleure des manières. 

 

photo"Bon les gars, qui a caché mes protéines ?"

 

GARANTI SANG ADDITIF

Pas parce qu’il aurait cédé aux sirènes d’un cinéma d’action post-John Wick qui manque parfois de style, ou tenté de faire du pied à une vibration nostalgique en quête d’icônes sur-virilisées, mais bien parce que de nouveau, sa grammaire n’existe que pour prendre le pouls de ses personnages. En l’occurrence, celui de H, colosse taiseux et convoyeur de fonds débutant, mû par le désir d’en découdre avec quiconque s’approchera de son véhicule. Épousant la rage froide qu’il anime, Ritchie opte pour des plans plus longs, dont les rares coquetteries ne sont jamais distillées au hasard et signifient, annoncent ou accompagnent un décrochement. 

Par conséquent, la fausse langueur qui s’installe se mue rapidement en une menace sourde, qui correspond parfaitement au jeu de son interprète principal, jamais meilleur que quand il peut retenir les chiens. Le résultat est instantanément immersif. Pas une séquence ne détonne au sein d’Un homme en colère, dont la résolution d’airain imprègne chaque photogramme. Programmatique, appliqué, précis comme un bon coup de boule, le film étonne pourtant quand il choisit de couper presque complètement les ponts avec son modèle. 

 

photo, Scott EastwoodLes services de voirie de Los Angeles et leur légendaire susceptibilité

 

Loin de l’atmosphère poisseuse et surréaliste du film où officiait Albert Dupontel, il n’est pas ici question d’explorer les failles béantes d’un homme en quête de rédemption. Au contraire, H, ainsi qu’il se dévoile petit à petit, n’a rien d’une ablette désireuse de faire jeu égal avec les requins. Au fur et à mesure que la violence du film se fait plus sèche, amorale, et radicale, le protagoniste se révèle pour ce qu’il est : un super-prédateur, dont les motivations tendent à s’effacer derrière son désir primaire de répandre autour de lui un raz-de-marée de violence brute.

Plutôt que de jouer la pure adrénaline ou une forme d'euphorie dans la distribution de bourre-pifs, le métrage embrasse au contraire la gravité inhérente à Statham, sa dimension la plus intéressante, minérale. Ainsi, c'est bien notre empathie qui est en jeu. Comment la conserver à un être aussi monstrueux, déshumanisé que H ? Un type aussi manifestement supérieur au gibier qu'il traque ? Le film orchestre une fort belle réponse, qui nous amènera à questionner jusqu'au sens de son titre.

 

photo, Jason StathamH, sur le point de rappeler à plusieurs personnes la nécessité de souscrire à une bonne assurance vie

 

SUR LES ROTULES

Peut-être pour la première fois de sa carrière, Ritchie questionne ouvertement la question de la violence, mais aussi les conflits qui traversent ses personnages. Si la première demi-heure opère une très belle, progressive et inexorable montée en pression, la représentation de la brutalité évolue rapidement.

Après la première fusillade, une série de plans fixes, chirurgicaux, constate sans éclat les ravages cervicaux et autres mutilations balistiques, laissées par notre héros dans son sillage. La férocité occupe alors encore pleinement le cadre, tandis que cette irruption inattendue de mort plein cadre dénote après un jaillissement de plomb fondu franchement satisfaisant. Mais Un homme en colère n'entend pas seulement nous tartiner les rétines d'un divertissement paresseux qui draguerait mollement le nostalgique d'action burinée à la papa.

 

photo, Jason StathamUn homme en colère, mais surtout un homme très très armé

 

Quand le scénario opère un virage à 180°, pour éclairer ou dévoiler certains seconds couteaux qu’il gardait par-devers lui, Guy Ritchie déplace à la fois la colère et ses conséquences. Il ne sera finalement plus tant question de la quête d’un homme se rêvant sabre vengeur, mais bien de plusieurs, et de quelques rages s’entrechoquant.

Si Jason Statham, petit ours brun fraîchement diplômé de l’université d’équarrissage galloise, reprend in fine la main sur cette intrigue désespérée, le film prend le temps de faire exister une série d’ambitions ou de destins contrariés. Ils poussent inexorablement cette grosse pétoire filmique vers des rivages d’amertumes inattendus. Une orientation qui fait un temps passer la pilule d'un récit qui s'autorise parfois des coïncidences bien trop grosses pour son bon équilibre (à croire que le monde du braquage ultra-violent tient plus de la famille consanguine portée sur le vermouth que de la clandestinité criminelle).

 

photo, Jason StathamJason prêt à taper EL si ça finit mal

 

Dès lors, on regrettera que l’épilogue ne tienne pas toutes ses promesses. Non seulement il ne tire jamais vraiment parti de l’atmosphère formidable distillée par le format 2.39 (le même que Ritchie utilisa pour narrer sa vision du mythe arthurien), mais il retombe sur des rails prévisibles, qui assèchent en partie le parcours émotionnel du spectateur comme du principal personnage. La faute à un antagoniste loin d’être en mesure de se frotter à une distribution accueillant les percutants Jeffrey Donovan, Holt McCallanyJosh Hartnett ou Andy Garcia.

Une conclusion en demi-teinte d'autant plus frustrante qu'elle vient une nouvelle fois confirmer que le cinéaste peut être son pire ennemi dès lors qu'il se regarde écrire ou s’abandonne complaisamment les rênes de sa narration.

 

affiche officielle France

Résumé

Moins démonstratif qu'à l'accoutumée, Guy Ritchie se met totalement au service de son histoire et de son formidable interprète pour mettre en scène un récit à l'os, aride, tenu de bout en bout, en dépit de quelques trop grosses ficelles scénaristiques.

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Lecteurs

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commentaires
Flo
12/05/2023 à 20:56

Tellement de noirceur là dedans. Remake du "Convoyeur" de Nicolas Boukhrief, qui suit la même trame générale - Jason Statham peut égaler Dupontel en force physique et intensité, mais moins en folie.
Par contre, y ajouter des chapitres (littéralement titrés, comme un Tarantino) pour explorer le point de vue de mafieux glauques et de braqueurs vétérans de guerre... ce n'est pas vraiment de la réappropriation. C'est plutôt étirer une structure scénaristique qui fonctionnait déjà très bien avec ses non-dits.
Et on se retrouve avec trois films en un, oubliant complètement l'intérêt social de tout ce qui a trait aux convoyeurs, payés très peu pour protéger (de leur vie) beaucoup d'argent.
Le nihilisme du film reste assez prenant, et l'action toujours efficace.

X-or
18/10/2021 à 10:10

L'auteur du film prête au film des ambitions qu'il n'a pas.
Le film n'interroge pas la violence, puisque Statham nettoie la ville.
Son jeu quasi monolithique est ici légitimé par la violence contenue qui va sourdre.
Passons sur les raccourcis scénaristiques et la bienveillances des autorités.

Incognito
05/10/2021 à 09:56

J'ai adoré le film a ma grande surprise, tenu en haleine jusqu'au bout, les acteurs sont tous bon, au contraire j'ai trouvé Scott eastwood très bon, en tout cas en rapport à ses autres prestations, j'ai trouvé que cette fois ci son jeu était d'une justesse surprenante. Idem pour josh hartnett, sous estimé, qu'on ne voit pas assez de nos jours.

Kyle Reese
25/09/2021 à 00:30

Je n'attendais rien de ce pseudo remake, mais j'ai passé un bon moment, la sobriété de ce Ritchie va bien à cette histoire. Statham que je n'apprécie pas spécialement habituellement est vraiment bon avec sa colère froide. Dommage en effet pour cette fin un peu en deçà du reste et le fils Eastwood qui fait pale figure malheureusement.

Boddicker
08/07/2021 à 15:10

Très sympa, oubliable, bon casting hormis Eastwood qui en fait des tonnes à coté de la plaque...
J'aurai préféré voir le même film réalisé par Zahler... sans Eastwood :)

Ozymandias
22/06/2021 à 07:45

Perso j'ai pas aimé, j'ai trouvé les dialogues ridicules et l'histoire invraisemblable. Déçu !

the dude
15/06/2021 à 11:28

C'est pas mal ....
On est loin de l'original de Dupontel avec le convoyeur.
Mais plutot bien édulcoré .

j en prendrais pour 1 d
15/06/2021 à 01:46

le meilleur film de Jason Statham et pourtant il n'y a aucun combat...

pheniphil
14/06/2021 à 21:08

agréable à regarder....un bon moment

Hank Hulé
14/06/2021 à 15:26

tout à fait en accord avec cette critique !
Je dois dire que j'ai été très agréablement surpris (j'attendais pas grand chose), et dès le premier plan (splendide) qui m'a tout de suite mis dedans. Dommage, la fin est assez en dessous.

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