Le Passager n°4 : critique qui manque (pas) d'air sur Netflix

Antoine Desrues | 22 avril 2021 - MAJ : 23/04/2021 22:46
Antoine Desrues | 22 avril 2021 - MAJ : 23/04/2021 22:46

À l'origine, Joe Penna est un musicien qui connaît un succès mondial sur YouTube. Touchant petit à petit au court-métrage et à l’animation, le cinéaste en herbe a déployé une inventivité qui a attiré l'attention. Pour son premier long-métrage, Arctic, il avait décidé d’explorer le genre du survival avec une proposition intransigeante, se reposant sur la seule performance d’un Mads Mikkelsen abandonné en plein cœur du pôle Nord. Par chance, cette voix émergente a l’occasion de prolonger son coup d’essai, cette fois dans l’espace et sur Netflix avec Le Passager n°4.  

Among us

Dans un futur proche, la société Hyperion envoie des vaisseaux spatiaux vers Mars, avec à leur bord des universitaires faisant des recherches capitales pour une potentielle colonisation de la planète. Pour sa dernière escapade dans le cosmos, la commandante Marina Barnett (Toni Collette) embarque donc avec la docteure Zoe Levanson (Anna Kendrick) et le biologiste David Kim (Daniel Dae Kim). Mais pas de bol pour eux, ils découvrent à leur bord un passager clandestin (Shamier Anderson), qui pourrait compromettre la survie de tout l’équipage.

 

 

Depuis Gravity et ses ersatz plus ou moins réussis (on pense à Seul sur Mars), il peut être très casse-gueule de s’atteler au survival spatial. Mais comme son réalisateur a en plus déjà approché le genre sur Terre, il est clair que Le Passager n°4 part avec un sacré poids sur ses épaules, et une myriade de modèles à double tranchant.

Pourtant, Joe Penna a la bonne idée de marquer en premier lieu la parenté de son film avec Arctic, assumant une certaine zone de confort pour mieux amener son voyage spatial vers des contrées moins spectaculaires qu’à l’accoutumée. Dès ses premières minutes, qui s’attardent avec beaucoup d’attention sur le décollage de la fusée, le long-métrage nous plonge dans une série de plans fixes angoissants, captant l’impuissance de corps autant en proie à l’hostilité du cosmos qu’à un moyen de transport qu’on devine déjà faillible.

 

photo, Toni ColletteHérédithérée

 

Par la suite, on sent le cinéaste hautement à l’aise avec son dispositif. Son casting ultra-réduit fait immédiatement des étincelles au détour de scènes de dialogues a priori anodines (même si l’on regrettera que le personnage de Toni Collette soit finalement sous-exploité). Avant même l’arrivée de son élément perturbateur, Penna construit avec stratégie une atmosphère oppressante et larvée.

À vrai dire, il ressort très vite du Passager n°4 l’évidente intégrité de sa démarche épurée, qui trouve à plusieurs reprises des idées de mise en scène hautement malines pour nous immerger dans son concept. D’un plan-séquence marquant avec clarté la scénographie de son décor fermé, en passant par des voix terriennes inaudibles pour le spectateur, l’ensemble traduit avec justesse la solitude et le vertige existentiel de l'expédition dépeinte.

Dès lors, la véritable performance du long-métrage consiste à jouer sur les attentes du spectateur envers le survival spatial, de sorte qu’un simple travelling ou un silence pesant peut servir à nous donner les mains moites. Mais surtout, Penna fait le choix de n’émettre aucune ambiguïté sur l’arrivée impromptue de Michael Adams, le quatrième passager du titre dont la présence sur le vaisseau est purement accidentelle. Problème, l’ensemble de l’équipage va vite manquer d’oxygène, et cette épée de Damoclès permet au cinéaste de bouleverser petit à petit sa menace présumée.

 

photo, Toni Collette, Anna Kendrick, Daniel Dae Kim, Shamier AndersonLe huitième passager, moins quatre

 

final frontier

Bien entendu, ce changement de direction offre l’opportunité au réalisateur de mener subrepticement son film vers une métaphore de l’immigration, telle une poupée gigogne portant en son sein des questionnements plus larges autour du déterminisme social et de l’égalité des chances. Et c’est là que Le Passager n°4 tend vers sa spécificité, en se débarrassant rapidement du traditionnel “l’homme est un loup pour l’homme” pour présenter l’espace comme ultime frontière des privilèges, comme la chasse gardée d’élites qui ne peuvent décemment accepter qu’on prenne la place qui leur serait due.

Malheureusement, pour pleinement donner corps à cette idée, il aurait fallu que Joe Penna évite une dichotomie trop simpliste entre l’idéalisme de son héroïne (Kendrick, parfaitement touchante) et l’égoïsme de son compagnon de route (Dae Kim, excellent dans le rôle), qui amène la seconde partie du métrage à tomber à plat. C’est d’autant plus dommage que le cinéaste cherche clairement à prolonger la démarche passionnante d’Arctic, qui affichait une croyance revigorante dans un humanisme total, alors que le survival se plaît souvent à explorer les pires penchants de l’instinct de survie.

 

photo, Anna KendrickDéjà, c'est mieux que Minuit dans l'univers

 

En réalité, on pourrait même percevoir dans l’écriture du Passager n°4 une pure interrogation de cinéma : et si, pour une fois, les personnages ne faisaient pas avancer le récit à cause de leur bêtise (ou plutôt de leur impulsivité) ? On reproche tous à des êtres de fiction de ne pas agir comme nous le ferions, mais ces décisions irrationnelles sont souvent là pour refléter le chaos qui constitue l’être humain.

À contre-courant, le film de Joe Penna est tout entier construit sur le raisonnement de ses héros, sur une logique tournée vers le collectif. L'envie s’avère assez intéressante par instants, surtout au vu de la mise en scène élégante du cinéaste, qui navigue avec sobriété dans le vaisseau pour accompagner des corps paradoxalement statiques, alors qu'ils sont lancés dans le plus grand des voyages.

 

photo, Daniel Dae KimScientif-hic

 

De cette façon, le cinéaste convoque avec malice un sublime étouffant, l’impuissance de protagonistes dépendants des éléments, ou plutôt de l’absence d’éléments. Cependant, cette passivité possède un revers conséquent, à commencer par la froideur qu’elle engendre. Ce refus du désespoir ne permet jamais à Penna de toucher du doigt la beauté fragile d’Arctic, d’autant plus qu'elle évite à l’auteur de faire un choix dramatique fort en cours de route. Résultat, plutôt que de suggérer une multitude de possibilités, le dernier acte frustre au vu de sa voie toute tracée, sans même parler de l’élément perturbateur final qu’elle invoque, aussi arbitraire que décevant.

Pour autant, malgré ses défauts les plus évidents, on ne pourra pas enlever au Passager n°4 son jusqu’au-boutisme, y compris dans ses choix les plus discutables. Joe Penna a encore du chemin à faire pour transformer l’essai de son premier film, mais il a une nouvelle fois réussi à mettre notre palpitant à l’épreuve. Et c’est déjà pas mal.

Le Passager n°4 est disponible sur Netflix depuis le 22 avril 2021 en France

 

Affiche US

Résumé

Bien que perfectible, Le Passager n°4 parvient à s’approprier le genre du survival spatial avec un curieux sens de l’épure. Si Joe Penna sait se reposer sur son casting et sa mise en scène soignée, l'humanisme bienvenu qu’il affiche finit par lui faire défaut, notamment dans un final trop évident. Un bon film de SF tendu et courageux, mais qui aurait pu transcender son postulat.

Autre avis Alexandre Janowiak
S'il n'évite pas quelques grosses facilités, Le Passager n°4 est un petit huis-clos tendu captivant et remarquablement mené par son quatuor.
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Lecteurs

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commentaires
Simon Riaux
06/05/2021 à 11:43

@Dran

Il n'a tellement plus le droit d'apparaître qu'il est toujours ultra-majoritairement le premier rôle des productions occidentales.

Mais on ne sait pas si c'est volontaire.

Dran
06/05/2021 à 11:35

La lenteur du film permet une calme méditation sur les risques du voyage dans l'espace.
Pas trop d"erreurs scientifiques et dans la veine, en plus modeste, de Gravity". Une question cependant : est-ce volontaire ou le hasard, le choix de 4 protagonistes, 2 femmes, un noir et un jaune...l'homme blanc n'a-t-il plus le droit d'apparaître ... racisme... ?

Steevo Steen
06/05/2021 à 00:44

Déjà que ma suspension d'incrédulité en a pris un pet avec la découverte du technicien dont on se demande bien comment il a bien pu se fourrer dans cet espace (sans explication bien sûr) mais la porte du vaisseau qui contient l'oxygène qu'ouvre l'héroïne et qui "tombe dans le vide" m'a achevé..

Mention spéciale à la tempête solaire qui est mieux foutue dans le premier épisode de la seconde saison de For All Mankind que dans ce nanar.

PG
30/04/2021 à 10:50

Film tranquille et reposant. Rien d'original. La fin est un peu aride tout de même.
Point négatif sur la musique qui n'a rien de spécial. C'est dommage car pour un film de ce genre (contemplatif, visuellement épuré, lent) l'ambiance musicale et le sound design sont fondamentaux.

Joce
29/04/2021 à 23:16

Six mois d'oxygène dans cette petite bouteille ???

kiki56
29/04/2021 à 14:09

et l'apesanteur.. c'etait en option??

dg
29/04/2021 à 09:35

Excellent film pour qui sait être attentif et s'éloigner des fictions clichées bruyantes.

Megachiee
26/04/2021 à 19:35

L'idée même du scénario est stupide, je m'attendais a voir un truc plus fantasy la c'est soit disant réaliste, le mec est technicien il règle les denonateurs ok on va dire déjà qu'il avait parfaitement fini son job... , personne c'est dit tiens il n'y a aucun rapport , aucun check, on le voit plus, il ne pointe plus, ou alors tiens il y a une chaleur résiduelle dans la navette etc etc bref c'est juste débiles.
Sans parler que le mec c'est pris des G tranquillou dans une soute putain mais pourquoi ce faire chier à mettre des combinaisons et s'attacher sur des sièges solidement fixé à la fusée...

GTB
26/04/2021 à 12:46

@Bearnais > "Deja une grosse erreur quand ils arrivent dans la station ils ne sont meme en apesanteur il marche normal."
-> Non. Quand ils arrivent à la station ils sont en apesanteur. Ils s’amarrent à la station, et à ce moment, il y a la mise en place de la gravité artificielle. Donc dans ils entrent dans la station, il y a bien une gravité, d'où le fait qu'ils marchent normalement. Pas d'incohérence ici.

@yellow submarine> "Ah oui dernière chose le vaisseau qui est sensé être le plus puissant jamais construit, est-ce que quelqu'un a vu un réacteur quelque part ? moi pas"
-> Les premières réacteurs sont largués après la 1ère phase du décollage (c'est d'ailleurs dit par Hyperion). Les 2ème réacteurs sont séparés juste après la 2ème poussée et un peu avant d'arriver à la station. Ils vont d'ailleurs s'amarrer à cette station, puis montée à quelques centaines de mètre et servir à la rotation pour la gravité artificielle.

Encore une fois, pas des incohérences ici. Vous n'avez juste pas été attentifs à ce qui se passe.

Leaditnon
26/04/2021 à 08:52

Effets spéciaux proches du ridicule.. On peut se balder en marchant sur des plateformes dans l'espace, pas dapesanteur dans le vaisseau... Scénario plat.. Pas crédible

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