Drunk : critique saoulographique
Et si les êtres humains vivaient leur meilleure vie sous l'influence de l'alcool ? C'est l'hypothèse de quatre amis, qui tentent de dynamiser leurs existences monotones grâce à la bouteille. Peu importe le flacon, Thomas Vinterberg nous propose avec Drunk, oscar du meilleur film international, sa recette de l'ivresse.
ALCOOL AND THE GANG
Cinéaste à la filmographie plus ronde et aimante que ne le laissent entendre les surpuissants Festen et La Chasse, le Danois Thomas Vinterberg compose depuis 1998 une carrière qui va alternativement piocher du côté des zones de tension de nos sociétés, et en direction d’un geste plus volontiers académique, comme en témoigne le plaisant, mais très sage Loin de la foule déchaînée.
Avec Drunk et sa bande de vieux copains (dont l'un est interprété par Mads Mikkelsen) décidés à doper leur vie à la bibine, il parvient, peut-être pour la première fois, à mêler ces deux veines de son cinéma. Étude au scalpel qui sidère souvent par sa douceur, le film cristallise le talent singulier de Vinterberg, co-créateur aux côtés de Lars von Trier du Dogme95, dont il s'impose comme un passionnant reflet inversé, peuplé de personnages affligés dont le réalisateur ne désespère jamais.
Si la photographie et le découpage du film paraissent prolonger ses œuvres les plus mordantes, que la précision du montage comme la lumière enivrante de l’image donnent à ce récit des airs de piège bienveillant, on sent aussi que le metteur en scène est profondément désireux d’embrasser ses protagonistes, et ne les regarde jamais en entomologiste. Au contraire, si bien des artistes auraient abordé les destinées imbibées de Martin, Tommy, Peter et Nikolaj avec un mélange de moraline et de cynisme, Vinterberg ne cède jamais à ce type de travers.
Au contraire, au fur et à mesure que progresse la murge filmique, c’est une grande chaleur, une empathie qui abat tout sur son passage, qui étreint l’ensemble de l’œuvre. Le scénario ne le dissimule jamais, notre quatuor de poivrots a fait un choix aux conséquences lourdes, une expérience traumatisante pour tous, sacrificielle pour les uns, quand bien même elle a des airs de transcendance brut(al)e. Mais dans Drunk, l’horreur ne provient jamais de la soif du buveur, ou de la déchéance de la gueule de bois, plutôt de la révoltante banalité du monde.
LE BOIRE POUR LE CROIRE
Et c’est ce positionnement, à la fois doux et cruel, qui confère à Drunk sa pertinence, qui lui permet de dépasser la simple malice de son concept, de ne jamais s’encombrer d’aucune forme de puritanisme, pour mieux nous asséner un message trouble et terrible. Oui, l’existence éthylique de nos héros charrie quelque chose de pathétique, de minablement tragique. Alors qu’ils feignent de se délester des pesanteurs de leurs quotidiens, ils ne s’élèvent au-dessus de leur gangue de médiocrité que pour mieux s’y vautrer, sèchement, les dents sur le bitume.
Et pourtant, face à eux, qu’ils doutent ou s’entêtent, le constat demeure inchangé. Le monde est trop étriqué, trop falot et rabougri pour leur proposer autre chose qu’un inexorable rétrécissement de l’horizon. Martin (Mads Mikkelsen), le jeune historien prometteur est devenu un quadragénaire emmerdant comme un jour de pluie, et rien, ni ses collègues ni sa famille, ne peuvent amoindrir cette équation. Dès lors, que reste-t-il, pour survivre et retrouver un instant la caresse de l’inconstance, sinon l’ivresse ? Le constat, sous ses airs de cuite ensoleillée, cohabite avec une gueule de bois sourde, un désespoir souriant, dont les effets ne sauraient se dissiper rapidement.
On pourra regretter que le récit prenne un tout petit peu trop son temps durant son premier tiers, comme si Vinterberg ne faisait pas tout à fait assez confiance à sa mise en scène (qui aura rarement atteint de tels sommets d’épure et d’intelligence) et voulait s’assurer de bétonner la construction de ses personnages. Il faut ainsi un peu de temps à Drunk pour tout à fait se mettre en place, et nous immerger dans un raz-de-marée de Sazeracs on the rocks. Un grief bien vite oublié devant l’étourdissement provoqué par le film, qui culmine lors d’un final irrésistible, nous entraînant dans une danse à la fois misérable et héroïque.
Lecteurs
(3.3)22/05/2023 à 09:39
Je l'avais loupé à l'époque de sa sortie, l'ai donc découvert sur Netflix il y a quelques mois. Excellent film, avec un Mads Mikkelsen très bon. Ca fait du bien de le revoir dans un rôle différent de tous ces méchants qu'Hollywood lui donne depuis "Casino Royale".
20/05/2023 à 23:03
Et bé...La norme a encore de beaux jours devant elle.
19/05/2023 à 23:14
C'est moi ou le film a été coupé de plusieurs scènes à la fin ?!?
19/05/2023 à 21:29
Pas un "Leaving Las Vegas" bis sur les ravages de l'alcool, plutôt un manifeste finalement très épicurien sur le lâcher-prise dans notre quotidien, très bien vu avec justement les limites ou pas que l'on peut se fixer. A part ça, y a que moi qui trouve le dernier plan final très ambigu ?
18/01/2022 à 17:32
@x-or
En même temps, à part Plus Belle la vie, y a-t-il jamais eu de véritable expérience Houellbecquienne en fiction ?
18/01/2022 à 17:26
Ce n'est pas un film houellebecquien.
23/12/2021 à 16:05
Begaudeau n'a pas saisi l'essence du film.
Drunk c'est un film "houellebecquien" plus généralement sur le temps qui passe et le quotidien.
Le film est superbe.
L'alcool n'est évidemment qu'un prétexte.
Jamais le film n'a pour ambition d'en faire un sujet ou d'en explorer les conséquences.
Le couple, l'amitié, la vie sont les vrais sujets.
Porté par un Mads Mikkelsen au top.
J'ai beaucoup aimé
09/12/2021 à 21:37
Affligeant! un panégyrique du toxique le plus communément répandu sur la planète...une plaie pour l'individu et la société..." il est des nôoootrres, il a bu...etc".
Pouerk, Monseigneur!...c'est pourissement!
04/09/2021 à 04:55
Ce film m'a furieusement fait penser à ces vidéos d'influenceurs youtube qui cachent en fait le placement de produit d'un sponsor derrière une histoire ou un comparatif. Phénomène de sponsoring devenu à la mode sur youtube pour que les influenceurs gagnent plus de pognon que par le simple nombre de vues.
Bon là vous devinez vite de quel produit je parle avec ce film.
31/08/2021 à 20:15
vegas.
Faut que je change de téléphone.