Films

Relic : critique qui en tremble encore

Par Simon Riaux
29 septembre 2020
MAJ : 27 juin 2023
22 commentaires

Depuis quelques années et l’avènement d’auteurs tels qu’Ari AsterJennifer Kent ou Robert Eggers, on sent frémir une nouvelle vague horrifique, volontiers sophistiquée, aux limites du cinéma arty, baptisée outre-Atlantique “Elevated Horror”. Avec son récit aux accents intimistes, le premier long-métrage de Natalie Erika JamesRelic, semble s’y inscrire, mais surprend par l’intelligence avec laquelle il convoque une peur organique irrépressible.

affiche américaine

LA VIEILLE FILLE ET LA MORT

Accompagnée de sa fille Sam (Bella Heathcote), Kay (Emily Mortimer) s’installe temporairement chez Edna (Robyn Nevin), sa mère, très âgée et sur le point de perdre son autonomie. Mais son comportement erratique cache plus que le naufrage de la vieillesse.

Relic traite de fin de vie, et dès ses premières images, exhale un fumet de pourrissement saisissant. Comme Mister Babadook avant lui, le film explore une palette chromatique rarement présente dans le cinéma australien, optant pour une photographie claustrophobe, toute de ténèbres et couleurs sombres. Le spectateur se retrouve alors soudainement enseveli sous un tumulus de secrets et de non-dits, qui transpirent à chaque photogramme. 

 

photo, Robyn NevinCette grand-mère ne fait pas que des confitures

 

Durant son premier mouvement, le récit explore donc les ravages du silence sur un trio de femmes séparées par le temps et les secrets, prenant le temps de décortiquer les relations complexes qui ont maintenu cette famille à flot, avant de les immerger dans un puits de refoulement toxique. Toujours en marge du cadre, niché entre deux lignes de fuites, attendant son heure, une forme humanoïde apparaît, et perturbe progressivement jusqu’aux séquences les plus anodines. Que Kay tente d’aider sa mère dans des gestes du quotidien, ou que sa fille se laisse aller à rêvasser sur le porche de la vieille bicoque, le découpage et le montage jamais ne nous lâchent, nous laissant tout juste entrapercevoir que quelque chose rôde et érode, puissant et vénéneux.

Ces scènes du quotidien, la mise en scène décide de les contaminer d’un traumatisme ancien, dont on ne connaîtra jamais le fin mot. Et c’est là toute l’ambiguïté, le mystère, mais aussi l’effrayante beauté de Relic. Nos héroïnes sont progressivement infectées par un mal ancien, une présence qui infecte leur quotidien et menace de les empoisonner. Qui est vraiment cet être de souffrance, qui hante les personnages et paraît se rassasier de la peur qui monte, inexorablement ? Plutôt que d’y répondre, la réalisatrice développe une narration toute en sous-entendus, un piège ombrageux, qui se referme sur le public pour le précipiter vers un climax impressionnant. 

 

photo, Bella HeathcoteUne petite fille qui pourrait bien regretter sa bonne volonté

 

UN CRI DANS LA NUIT 

C’est là l’immense force du film : quitter soudain les rivages d’un cinéma chirurgical et cérébral, pour nous embarquer, une demi-heure durant, dans un dernier mouvement en forme de cauchemar paroxystique. Car si Natalie Erika James a précautionneusement bâti ce dédale mental et désespéré, c’est pour mieux en exploser brutalement toutes les conventions, et filmer un véritable opéra de terreur en démence. Cette fable de la décrépitude avec son petit nombre de personnages et son unité de lieu appelait pourtant une fin minimaliste, mais la réalisatrice sait comment contourner ces écueils et précipiter son trio de femmes en enfer. 

Ce dernier repose partiellement sur la peur extrêmement matérielle du climax, où les chairs se tordent, les os se rompent, dans un concert de putrescence irrespirable, qui alterne admirablement entre violences plein cadre et tension hors champ. Mais cette trouille terre-à-terre laisse aussi la place à d’authentiques vertiges poétiques, quand Relic embrasse tout à fait les craintes de ses personnages et les ravages de la démence qui les menace.

C’est alors tout le décor qui devient un terrain de jeu corrompu, piège redoutable où chacun projette ses terreurs les plus profondes et qui n’est pas sans rappeler le Grand Nulle Part du premier Silent Hill. Et il faut toute l’adresse de la cinéaste pour tenir simultanément les rênes de la suspension d’incrédulité, tout en assurant une véritable verve fantastique. 

 

photo, Emily Mortimer, Bella HeathcotePeur du noir ?

 

Ce qui achève enfin d’en faire un des (rares) chocs de flippe de l’année 2020, ce sont ses ultimes secondes, d’une grande sensibilité autant que d’une violence sourde. Avant de nous abandonner à la solitude d’une salle obscure, la caméra capture un instant suspendu, merveilleux et monstrueux, entre réconciliation et tragédie. 

À la faveur d’un épilogue hallucinant, le film déploie un spectre émotionnel inattendu, profond, qui lui permettent de réconcilier toutes ses thématiques, sa veine tragique, mais aussi un amour bouillonnant pour la body horror, qu’on a senti poindre ici et là, notamment lors de terribles flashbacks, mais dont on ne s’attendait pas à ce qu’il se déploie si intensément avant que les lumières se rallument.

 

Affiche française

Rédacteurs :
Résumé

Drame familial, horreur intimiste puis monstrueux cauchemar, Relic est tout cela, grâce à l'écriture terriblement humaine et à la caméra sensible de Natalie Erika James. Avec ce premier long-métrage, elle impose une voix singulière, à suivre (en tremblant).

Autres avis
  • Alexandre Janowiak

    Rares sont les films aussi stressants et tendus que Relic. Surfant sur l'horreur familiale à la Hérédité, le premier film de Natalie Erika James raconte avec poésie l'appréhension quotidienne du dépérissement avant d'exploser dans un dernier tiers terrifiant, anxiogène et cauchemardesque. Saisissant.

  • Geoffrey Crété

    Relic frappe par son immense richesse, et la nature étonnante d'un cauchemar labyrinthique qui glace le sang, jusqu'à ses ultimes instants. Premier film foudroyant pour Natalie Erika James.

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evaman10

Il semblerait que je sois le seul à m’être ennuyé pendant 1h30…

Ray Peterson

Un film d’une poésie sidérante doublé d’une incroyable tristesse.
Le dernier acte est terrifiant et extrêmement émouvant. Un coup de coeur pour moi aussi.

sylvinception

« Relic traite de fin de vie, et dès ses premières images, exhale un fumet de pourrissement saisissant. »

Tout le respect de m’sieur Riaux pour les personnes en fin de vie transpire dans cette phrase.
(lol)

Simon Riaux

@sylvinception

J’ai plutôt l’impression que c’est la finesse de votre lecture qui transpire. A grosses gouttes.

Tonto

Bon, ben vous m’avez convaincu d’essayer, ça a l’air intéressant. En revanche, juste pour être fixé, quand vous parlez de flippe, c’est vraiment de la flippe du genre où, même au fond de son fauteuil, on a envie de se retourner pour vérifier que le monstre est pas dans la salle juste derrière nous, ou plutôt une sorte de malaise poisseux à la Aster ou Eggers, qui ne fait pas sursauter mais dérange plutôt la sensibilité ?

Sinon, je me demandais, de manière générale : est-ce qu’il existe quelque part sur EcranLarge quelque chose du genre un dossier faisant la liste des films d’horreur les plus flippants ?
Ca m’intéresserait d’avoir une liste de films qui soient vraiment terrifiants (vu le nombre de films d’horreur ratés qu’on est obligé de se taper pour tomber sur un qui réussisse vraiment son coup, ce serait utile). Pas juste des trucs un peu dérangeants, mais du genre qui te colle au fond de ton canapé, avec ton coussin sur la tête et ta couverture devant les yeux au cas où… (Non, non, promis, j’ai jamais fait ça)
Du Insidious plutôt que du Rosemary’s Baby, quoi (les deux étant de bons films, hein, mais ils ne poursuivent pas le même but : l’un est de l’épouvante viscérale, et l’autre un thriller vaguement mâtiné de fantastique).