You Don't Nomi : critique Showgirls must go on

Geoffrey Crété | 25 juin 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 25 juin 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Un documentaire qui revient sur Showgirls, le film culte de Paul Verhoeven traîné dans la boue, réhabilité par des hordes de fans, et devenu un objet d'étude déviant au fil des années : impossible de passer à côté. Réalisé par Jeffrey McHale, You Don't Nomi arrive en VOD dès le 2 juillet.

TOTAL RECALL BACK

L'histoire appartient à l'Histoire : après le triomphe de Basic Instinct en 1992, le réalisateur Paul Verhoeven et le scénariste Joe Eszterhas se sont retrouvés pour une autre histoire de femme fatale, centrée sur une danseuse à Las Vegas. À l'époque, c'est un projet qui enflamme tout le monde, à tel point que le scénario de Showgirls est pré-acheté pour 2 millions de dollars, une somme alors quasi inédite à Hollywood. Toutes les actrices veulent le rôle de Nomi Malone, rêvant d'une rampe de lancement comme pour Sharon Stone. Jennifer Lopez, Charlize Theron et bien d'autres passent les essais, et Elizabeth Berkley, alias Jessie dans la série Sauvés par le gong, est choisie.

Showgirls a bien été un événement, mais pas comme prévu. Le film est violemment et radicalement descendu par la critique, érigé comme un navet absolu par à peu près tout le monde, et se vautre en salles avec environ 38 millions au box-office, pour un budget officiel de 45. Les 350 millions de Basic Instinct sont loin. Elizabeth Berkley devient la risée du milieu, est lâchée par son agent et voit ses espoirs de carrière quasi enterrés. Paul Verhoeven, lui, s'en sort mieux puisqu'il va chercher son Razzie avec humour, et enchaînera peu de temps après sur Starship Troopers.

 

photo, Elizabeth Berkley, Gina GershonLatex, mensonges et vidéo

 

Mais au fil des années, Showgirls sera remis sur la table, pour être moqué certes, mais également questionné, décortiqué, analysé, réévalué. Des livres, des séances spéciales, et l'amour pour le cinéaste remettent un coup de projecteur sur ce désastre, si bien que le film deviendra véritablement culte, au premier ou au troisième degré.

C'est là qu'arrive, après beaucoup d'autres efforts en ce sens, le documentaire You Don't Nomi. Le réalisateur Jeffrey McHale a découvert Showgirls dix ans après sa sortie, et a vite développé une obsession pour cet OFNI. Sans tourner une seule image, il a composé ce documentaire, en utilisant diverses images, et grâce à un travail de montage, de retouche, d'interview. Avec un désir : comprendre ce qui s'est passé pour que le film devienne si majeur pour tant de monde.

 

photoLe bonheur

 

LA CHAIR ET LE SENS

Inutile d'espérer des confidences et révélations de Paul Verhoeven, Joe Eszterhas, Elizabeth Berkley, Gina Gershon ou Kyle MacLachlan. La bande de superstars de cette catastrophe carnivore a régulièrement été interrogée sur Showgirls, et a donné des réponses plus ou moins douces et blasées : le réalisateur défend son film, MacLachlan est traumatisé par le naufrage, Berkley a fini par être en paix avec l'expérience, Gershon assume tout en disant que le film était très différent sur le papier, et le scénariste a parlé d'erreurs à tous les niveaux.

You Don't Nomi n'est pas là pour rouvrir ces plaies, mais pour aborder la deuxième vie du film : celle que lui ont offerte les fans, les passionnés, les critiques obsédés, et les divers artistes qui se sont réapproprié le show en spectacle ou en séances spéciales, comme The Rocky Horror Picture Show. Le réalisateur s'amuse ainsi à balayer la richesse de l'expérience Showgirls après Showgirls, en passant par des articles, des livres, des spectacles de drag queens, ou des versions parodiques en comédie musicale. Le film a résonné chez beaucoup de monde, et a notamment trouvé un refuge dans la communauté gay, et c'est cette incroyable flamme qui intéresse Jeffrey McHale.

Le documentaire n'est donc pas là pour crier au génie et enchaîner les arguments, les interprétations et les analyses sur l'objet halluciné de Verhoeven. Au contraire, Showgirls croise des avis positifs et négatifs, avec des critiques et passionnés qui oscillent entre l'amour aveugle (et assumé) pour un film raté d'une manière extraordinaire, et la conviction que c'est bel et bien un ratage dans les grandes largeurs. Mais toujours, cet intérêt pour cette chose unique en son genre, qui dépasse l'entendement, et devient vertigineux dans ses meilleurs/pires moments.

 

photoQuand Showgirls est recyclé avec amour 

 

BLACK BOOK

You Don't Nomi aborde aussi une facette passionnante de ce désastre : la manière dont Paul Verhoeven et Elizabeth Berkley se sont eux aussi réapproprié la chose au fil des années, pour reprendre le contrôle de leur propre histoire, et accepter le destin contrarié du film. À l'époque, dans un livre officiel publié en marge de la sortie, le cinéaste en parlait ainsi comme d'une œuvre sérieuse, et une réflexion très réfléchie et la société américaine. Depuis, Verhoeven présente Showgirls comme une satire extrême, intentionnellement grotesque à tous les niveaux. Un changement de discours pas anodin, que le réalisateur moque lui-même dans un extrait de masterclass.

Du côté des acteurs, c'est intrigant puisque Kyle MacLachlan et Gina Gershon ont répété que Showgirls n'était pas ce film déviant à l'origine. L'acteur l'a découvert avec horreur lors de la projection, quand l'interprète de Cristal explique avoir compris dès le premier jour qu'elle devait s'adapter et revoir son jeu. Verhoeven a-t-il vraiment réécrit l'histoire depuis, ou délibérément caché la nature du film à ses acteurs ? Ce serait tout sauf étonnant et c'est arrivé sur Starship Troopers, dont le discours anti-fasciste et l'aspect satirique ont été quasi ignorés par le casting et les producteurs.

Le cas Elizabeth Berkley, qui a clairement souffert plus que les autres, est encore plus intéressant. L'actrice a longtemps refusé de reparler de Showgirls, mais a fini par totalement embrasser ce phénomène, avec une riche ambigüité : d'un côté, elle a continué à en parler avec un respect incroyable, et de l'autre, elle apparaissait à la séance spéciale des 20 ans du film en ayant bien évidemment conscience de l'aspect nanar d'une telle célébration - et son hommage à la chorégraphie, face au public, n'est pas anodin.

 

photoLe sourire avant la tempête

 

You Don't Nomi soulève donc beaucoup de questions sur la magie Showgirls, qui a transformé tout le monde, des deux côtés de l'écran. Que ce soit au nom de l'amour, de la mauvaise foi, de la culpabilité, ou de l'honnêteté, le film reste un cas d'école, et semble voué à demeurer un mystère à bien des égards. Par ailleurs, l'ingénieux travail de montage de Jeffrey McHale, qui s'amuse à incruster des images de Showgirls dans d'autres films de Paul Verhoeven, crée des parallèles passionnants sur les obsessions du cinéaste, permettant ainsi de développer des axes de réflexions au-delà de cette œuvre.

C'est certainement cette richesse dans la note d'intention qui marque la limite de You Don't Nomi : le film brasse beaucoup de choses et de gens, mais laisse un sentiment d'inachevé. Lorsque le documentaire évoque le cynisme du studio, qui lors des ressorties a vendu avec plaisir Showgirls comme le pire film du monde, c'est tout ce culte a priori pas mainstream autour du désastre de Verhoeven qui est remis en question, le temps de quelques images. La suite passe à autre chose, et quand le générique arrive, il y aura eu beaucoup de pistes et de questions, mais un point de vue finalement trop discret et un traitement très en surface. De quoi donner envie de revoir ce "masterpiece of shit", et le décortiquer toujours un peu plus, histoire de continuer le travail entamé par le documentaire.

 

Affiche fr

Résumé

You Don't Nomi soulève beaucoup de questions passionnantes sur le désastre magique de Showgirls, et la manière dont presque tout le monde se l'est réapproprié - y compris Paul Verhoeven. Dommage que le film traite trop en surface ces sujets, et laisse l'envie de continuer soi-même le travail et la réflexion.

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Lecteurs

(2.5)

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commentaires
niakola
28/12/2020 à 12:21

Ce qui est amusant, c'est que starship Troopers par les critiques cinéma, lors de sa sortie, pour être ensuite réhabilité, alors que le public l'avait apprécié dès le début...

Nesse
26/06/2020 à 13:24

Le film est excellent a voir et revoir.

caribou
25/06/2020 à 20:17

Pas partisan de la derniere heure pour ce film que j'ai toujours aimé et défendu. Evidemment des critiques style " réflexion pseudo intellectuelles" aiment a le détester d'une façon que je trouve pour le moins étrange. Peut être le film les met ils mal a l'aise ? je ne saurais dire pourquoi. Enfin si , je crois le savoir mais je ne saurais le dire ici. ( d'ailleurs pour en parler encore , le souvenir ne suffit pas ,on aurait du l'oublier quand on n'aime pas. il a donc fallu le revoir ! Et oui , et je me demande bien pourquoi ? Etrange ) Mais bon ici Je veut juste apporter mon soutient a Verhoeven sur ce coup. Il ne méritait pas tant de haine.

Kyle Reese
25/06/2020 à 19:25

Oui ce film est passionnant et je l’avais bcq aimé et défendu auprès de mes amis à l’époque.
Il est bcq de choses en même temps, je l’aime au 1er et 3ème degré mais pas au delà car bien que n’ayant jamais mis les pieds dans ce Las Vegas des années 90 mon petit doigt me dit que cette ville qui est à la base une aberration (construire un parc d’attraction pour adulte en plein désert faut le faire) était et est sans doute toujours kitch, avec un côté à la fois moderne, excitant, vulgaire et glauque et j’en passe. Verhoeven savait ce qu’il faisait, il y a été à la truelle avec un mélange de cynisme, de cruauté, de lucidité et de naïveté, avé son regard européen et c’est ce qui fait la grande force du film, sa réussite et son échec. Las Vegas est une ville too much, son film l’ai tout autant. Tous les personnages et leurs parcourt sont intéressants, certains sont très touchant et tous en prennent pour leur grade dans cette course aux succès a tout prix, sans merci qui est plus un miroir aux alouettes qu’autres choses.
Il y aurai tant à dire mais pour moi Show girls est aussi important que Robocop, Basic Instinct et Starship troopers. Mais qu’est ce qu’il me manque ce Verhoeven lá !
J’ai bcq de sympathie pour Elizabeth Berckley qui même si elle n’est pas une grande actrice a tout donné dans ce rôle et est devenue vraiment ce personnage naïf, ambitieux et touchant qui se brûle les ailes en s’approchant trop prêt du soleil star-system et de ses rapaces. Elle fut très courageuse de s'être investie autant. Vraiment dommage que sa carrière ai plongé suite à l’échec du film au BO et aux critiques acerbes injustifiées.
Showgirls n’est en rien un film pour célibataire voyeur en manque, dire cela est soit de la mauvaise fois soit un manque évident de discernement. Après on peut ne pas aimer le style Verhoeven, mais pour moi la forme va parfaitement bien avec le fond.

Ded
25/06/2020 à 18:47

Faisant souvent les choux gras de Ecranlarge, j'ai souffert mille morts en le visionnant afin d'en parler en connaissance de cause. Navet intersidéral, cette réflexion pseudo intellectuelle sur la déchéance liée à l'exploitation de la femme à des fins sexuelles est voyeuriste et kitsch au possible. Le métrage semble réservé aux uniques célibataires engorgés, adeptes de l'onanisme forcené. Verhoeven, réalisateur de séries B, passe étrangement pour un auteur à message ! Dialogues insipides et mise en scène tape-à-l’œil (si j'ose dire !) relèguent le métrage au niveau d'un téléfilm érotique soft. "La rue de la honte" de Mizoguchi est plus sérieux...

Daddy Rich
25/06/2020 à 16:50

NAVET est un terme totalement ridicule pour cet opus de Verhoeven!
Il s'agit là, très certainement d'un des meilleurs films de l'histoire du cinéma!
Après, on est en capacité de comprendre le message du réal... ou pas!!!!!!

Kouak
25/06/2020 à 16:39

Bonsoir,
je ne sais pas s'il a supporté le poids des années, mais on ne lèche plus les barres chromées
par les temps qui courent... ;-)
Et c'est, effectivement, loin d'être un "navet'...
Bref...

Flash
25/06/2020 à 16:27

Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est un classique, mais il ne mérite pas le terme "navet".
Il faudrait que je le revois un jour pour voir si il a bien supporté le poids des années.

VAn
25/06/2020 à 16:16

Ce film est passionnant et vraiment incroyable. Un classique sous estimé

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