Les Misérables : critique qui passe la BAC

Simon Riaux | 27 novembre 2022 - MAJ : 28/11/2022 16:44
Simon Riaux | 27 novembre 2022 - MAJ : 28/11/2022 16:44

Pour son premier long-métrage de fiction, le réalisateur Ladj Ly se penche sur la vie d'une cité, bouleversée par l'enregistrement d'une bavure policière. Honoré du Prix du Jury au dernier Festival de Cannes, nommé à l'Oscar du meilleur film étranger, couronné par quatre César (dont meilleur film), Les Misérables était le film événement de 2019.

KIDS ARE NOT ALL RIGHT

À Montfermeil des enfants jouent en plein soleil, équipés de pistolets à eau. Quand approche une ronde de police, ils se dissimulent et attendent patiemment l’arrivée des fonctionnaires, inconscient de l’embuscade humide qui se prépare. Lorsque les mômes surgissent pour les arroser, c’est d’abord la joie naïve de la surprise qui envahit l’écran, les mines ahuries des uns, les sourires des autres, puis soudain, le geste plus du tout innocent d’un pré-ado qui, fixant les flics, barre sa gorge de son indexe.

 

photoAvant le feu...

 

La séquence dure une poignée de secondes, mais parvient à capturer la violence des paradoxes qui sous-tendent la Cité, la banalité d’existences capables de basculer à tout moment dans l’affrontement. Fort de son expérience de lanceur d’alerte (il filma en 2008 une bavure policière qui devait secouer Montfermeil) Ladj Ly ne fait pas des Misérables une démonstration académique, mais le produit de tensions avant tout physiques, organiques. Ce qui s’entrechoque à l’image ce sont d’abord des corps, des rapports de domination et de territorialité.

Des policiers, sur le point de céder au coup de force, qui enragent et enflamment un territoire qui se refuse depuis longtemps à eux, un corps collectif atomisé, dont les membres sont portés à ébullition par la misère et les agents d’un État démissionnaire, mais pyromane. Tous ces shrapnels épars, le cinéaste parvient à les rassembler pour mieux leur donner corps. À l’image de ce drone par lequel l’étincelle se fait incendie, sa mise en scène rassemble différents régimes d’images, sait tirer parti d’un tournage qu’on devine prompt à user simultanément de plusieurs caméras. Et malgré cette polyphonie visuelle, Les Misérables s’impose comme une leçon de découpage, d’assemblage et de grammaire cinématographique.

 

photoDes flics au bord de la crise de nerfs

 

LES HAINES

Œuvre riche et maîtrisée, la première réalisation de fiction de Ladj Ly évite les écueils d’un cinéma social péremptoire ou déconnecté des exigences d’un cinéma ambitieux. Les Misérables s’inscrit dans la tradition d’un pur cinéma de genre, et propose un polar politique toujours soucieux de son impact, de son efficacité.

Le sentiment d’assister à un croisement entre les créations de Friedkin, de Lumet ou de Boisset (pour ce qui est de la perception aiguë des frictions hexagonales) grandit aussi bien lors des scènes de confrontation que lors des séquences intimes, où les protagonistes côtoient leurs points de rupture.

 

photoUne image travaillée...

 

Enfin, ce qui achève d’emporter le morceau pour le spectateur un peu méfiant vis-à-vis des productions primées à Cannes et estampillées « sociales », c’est la maîtrise inattendue de la parole. Ce n’est pas par hasard que le film s’intitule Les Misérables, et contre toute attente, l’œuvre adopte et accueille avec réussite l’héritage de Victor Hugo si évidemment revendiqué.

Le métrage développe avec réussite l’oralité, poussant certains échanges aux limites de la déclamation, dans un rapport au verbe totalement hugolien. Non seulement Ladj Ly parvient miraculeusement à ne jamais sombrer dans la théâtralité, mais il embrasse ainsi un leg artistique que bien peu d’artistes osent revendiquer et magnifier à l’heure actuelle.

 

Affiche

Résumé

Film de genre en ébullition, réquisitoire politique et coup de poing plastique, Les Misérables impose Ladj Ly comme un des metteurs en scène les plus prometteurs de son époque.

Autre avis Geoffrey Crété
Les ficelles sont connues, mais Ladj Ly les utilise avec vivacité et intelligence. Et il signe l'une des fins de film les plus fortes, puissantes et évocatrices de l'année, qui résonne longtemps en tête.
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Lecteurs

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commentaires
Flo
13/12/2023 à 14:31

« Valjean ! T’es qu’un bébé ! » ;-)
Une chronique immersive, qui a beau avoir des personnages archétypaux dont certains semblent exister dans leur propre film – Buzz (projection de Ladj Ly, mais pas assez central malgré les nombreux plans filmés au drone) et les filles costaudes…
Il n’empêche que cette balade, passée à tourner en rond dans les quartiers multi culturels tout en créant plus de problèmes, est un bon coup de poing contre un système à bout de souffle, qui brise aussi bien habitants que policiers… à cause notamment d’une mentalité très machiste.
Et créé du « Los Olvidados », mais nourri aux jeux vidéos.

À Cannes il y eut comme pour « Parasite »: un propos social qui dénonce (du coup, aucune récompenses pour des films comme ceux de Malick ou de Tarantino).
Et donc un petit effet limité pour ce film (mais c’est le quasi 1er de l’auteur), le même que pour « Parasite » : il n’y a qu’une seule dimension filmée, celle des gens « de la rue », un peu aisés ou pas du tout, et en fait tous vu au même niveau. Le film n’essaie pas de faire avancer le tracas mondial en désignant ceux qui pourraient arranger les choses. Non pas les politiques (car les conflits entre les personnages sont déjà eux-mêmes politiques)… mais ceux qui possèdent la majorité des richesses, et ne les redistribuent pas assez – merci aux paradis fiscaux.
Et ça demande peut-être plus d’énergie à canaliser, là où les conflits internes sont plus faciles. Rappelez -vous « Snowpiercer », du même Bon Joon-ho Et d’une BD française : on y remontait la piste jusqu’aux « 1% », en changeant l’Axe des Classes Sociales, passant de la Verticalité à l’Horizontalité. C’était plus osé et radical.
Mais au moins, Ladj Ly montre et pose des questions.

De plus, au delà de parler à des Classes ordinaires plutôt sensibles et intelligentes… Des gens d’Extrême Droite ou Gauche peuvent eux aussi se réapproprier le film (qui lui-même se réapproprie le titre du roman de Hugo, sans liens trop directs), en n’y gardant que ce qui les arrangent : après tout, le seul flic blanc et beauf du film, c’est le plus drôle du lot, le plus viril, celui qui est le chouchou d’une commissaire maitresse-femme, celui qui se torture le moins par rapport à tous les autres personnages… lesquels sont majoritairement tous des gens typés et énervés (à cause de la chaleur aussi, mais on n’insiste très vite plus du tout là dessus).
Nous ne les jugeront pas pour leurs erreurs, d’autres le feront.
Mais peut-être que « Les Misérables » aurait dû être l’équivalent de « Attack the Block » de Joe Cornish : un Pur Divertissement de Genre, pour faire passer un message social en biais par un langage plus visuel et ludique. Au lieu de se contenter comme références de « Training Day » (qui a un peu vieilli) et d’un peu de John Carpenter à la fin.
Hélas, la pure SF d’action, ce n’est pas assez cartésien pour la France, dommage..

Petit bonus néanmoins: « Les Misérables » utilise aussi des petits codes super héroïques :
Au début du film, le personnage crucial de Issa porte le drapeau français comme une cape de super-héros, avec un côté glorieux au milieu de la foule… mais ensuite, la bande-son grondante souligne bien que cette liesse fébrile et triomphante n’est pas faite pour durer, que des choses dures vont surgir.
À la fin, la séquence s’inverse : Issa est défiguré et habillé de violet comme un super-vilain, froidement violent, fédérant une autre foule (en noir) en quête de vengeance – la même année que « Joker » donc… mais ensuite, il suspend son geste meurtrier en faisant face à la seule personne ayant eu un peu de compassion pour lui, et tout le monde de se mettre à cogiter plutôt qu’à se battre de manière inconsidérée… ce qui laisse entendre que la violence finit toujours par retomber dès le moment où il y a une touche d’empathie.
On peut dire que c’est un fin moins ambigüe qu’on ne le croirait, plus positive et moraliste…
Comme dans les histoires super héroïques, où un clou finit toujours par en chasser un autre.

Anderton
16/07/2023 à 17:29

Vu ce film sur Netflix tout récemment... J'ai préféré éviter la sortie cinéma car beaucoup de débats pour/contre de droite, de gauche, de bobos, de banlieusards, de victimes, de survivants à la cité, de gens qui ont vécu "ça" ou d'autres qui n'ont vu que "ça" à travers CNEWS ou BFM...
En tant qu'objet filmique, je ne l'ai pas trouvé particulièrement intéressant d'un point de vue technique... Quant au scénario, j'ai trouvé assez captivant de montrer les systèmes coexistants dans une cité (dealers, religieux, combinards...), chacun essayant de gérer son business, garder son territoire, convertir (au sens large et pas que religieux) son prochain... Et au milieu, gravitent des gens "normaux" qui veulent vivre tranquillement... Le trio de policiers est assez stéréotypé mais la plupart des flics devraient se retrouver dans au moins un des personnages... Au-delà de ce parti-pris par le réalisateur, à quel point ce qui est montré est conforme à la réalité actuelle des cités françaises, je ne saurai le dire... D'un point de vue personnel, les cités sont ce qu'elles sont et ça ne s'améliorera pas : chacun vit dans son monde et personne ne veut être emmerdé... Et il y a des dommages collatéraux qui, de temps en temps, se font s'entrechoquer ces mondes et nous rappellent leur existence... A genre égal (films de banlieue), j'ai préféré Athena, car belle leçon (technique) de cinéma.

youl
28/11/2022 à 08:55

Film vu à sa sortie, avec une bonne impression, mais hier la pilule n'est pas passée.
Je me suis dit que Ladj Ly a sûrement été fasciné par le film "Training day" avec D.Washington dans sa jeunesse et qu'il voulait faire le même film à la sauce française, mais avec 20 ans de retard....


20/03/2021 à 23:30

Si on ne se fie qu'au film, la police n'est pas plus critiquée que ne le sont les jeunes qui l'agressent. Je trouve que tout y est fait de nuances, et transmet le malaise général.
(Et je ne soutiens pas les Traoré !)

Moi
12/03/2021 à 15:27

@Trucbidule oui, mais malheureusement Internet est surpeuplé de personnes, souvent d'extreme droite, qui vont aimer régulièrement s'indigner de l'image soit disant écornée de la Police.

Indépendamment de cela, comme toi, pour moi le film est une très bonne mise en situation de gens perdus, à tous les niveaux, et de tous les côtés. Que ce soit chez les BACeux qui sont soit installé dans un rapport de force inevitable selon eux, soit se sentent incapables de quoique ce soit face à ce que leur hierarchie demande; ou du côté des habitants de quartiers qui tombent (parfois trop facilement) dans des activités criminelles faute de perspectives d'avenir; le film depeint très bien cette détresse, des deux côtés. Pour moi c'est un très très bon film.

Trucbidule
12/03/2021 à 12:57

Étrange ce débat sur la mauvaise image de la police dans ce film. J'ai surtout l'impression de voir des gens perdus tout le long du film, et ceci dans les deux camps, mais bref...
Mais quant à l'image de la police, je ne vois pas ces critiques sur la quasi totalité des films de Besson (ou plot twist 90% du temps le méchant est un flic pourri). Je trouve que ces films populaire jouent plus un rôle pour l'image exécrable de la police qu'un film comme 'les miserables'. Mais comme ce sont des films populaire on ne pas cracher sur le soutien de l'intelligensia

pfffff
12/03/2021 à 11:30

@la classe américaine
jamais vu un fil de Polansky ? Une production Weinstein ? Un rush hour de Brett Ratner ? Un film avec Kevin Spacey ?
Jamais aperçu un tableau de Gauguin ? Utiliser un GPS mis en satellite grâce à Von Braun ?
Et puis, pas d'IPhone qui utilise la misère des enfants dans les mines de terres rares ? Pas une paire de Nike ?
Non parce qu'avant de condamner Ladj Ly pour une peine de 3 ans, t'as du monde à mettre de côté quand même et toute une façon d vivre à revoir...

RiffRaff
12/03/2021 à 07:42

@la classe américaine: il a été condamné pour complicité d'enlèvement et séquestration, pas pour tentative d'assassinat, et il a purgé sa peine.
Après c'est un choix idéologique de considérer qu'une condamnation met définitivement au ban de la société ou pas.

banban
12/03/2021 à 01:19

Vu au Katorza à Nantes en présence de l'équipe. En temps normal je suis pas très friand des drames sur fond de Police/Cité, mais je suis très content qu'on m'ai proposé de voir ce film qui n'est rien de moins qu'une grosse claque.

Kobalann
11/03/2021 à 21:34

Film qui crache sur la police de manière éhonté, laisser sous entendre que la Police puisse faire ca ou a déjà fait ca sur un gamin de 12 ans : si ca c'est pas déverser son fiel !!
De toute façon quand on voit ces copains au Ladj ly et avec qui il s'associe on comprend mieux : le gang Traoré notamment
Seul le dernier quart d'heures de film est réaliste dans ce qu'il dépend

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