Amal : critique révoltée
Si notre situation française actuelle inquiète légitimement de toutes parts, et quel que soit le "camp" dans lequel on se trouve, il convient cependant de relativiser. Cela fait partie d'un mouvement naturel de l'humanité : la révolte, la révolution, les bouleversements. Et, lorsque l'on voit un film comme Amal, on se dit que notre situation n'est clairement pas la pire.
DE BRUIT ET DE FUREUR
Quand la révolution égyptienne éclate en 2011, la jeune Amal a 14 ans mais, pourtant, elle s'engage tout de suite dans les mouvements révolutionnaires et populaires pour renverser le président Moubarak. Après 30 ans de régime, la révolte gronde, le pays sombre dans un chaos qui durera plusieurs années et traversera différentes périodes qui remettront en cause son identité. Et c'est exactement ce que vit Amal, en tant que jeune femme.
Jeune fille espiègle, dotée d'un fort caractère, effrontée diront certains, Amal ne veut pas qu'on lui impose quoi que ce soit dans son existence. Elle cherche, sans trop savoir quoi exactement, à bénéficier avant tout du même traitement que les hommes, à jouer à armes égales, à faire entendre sa voix, écho à un traumatisme ancien qui l'a transformée et qui trouve une figuration symbolique dans les événements qui secouent son pays.
Un peuple qui veut décider de son destin
Avec Amal, le réalisateur Mohamed Siam nous propose une expérience assez unique et très bouleversante : suivre la même jeune fille pendant 6 ans, prise dans le tourbillon de la révolution, de l'adolescence et du passage à l'âge adulte. Si le cinéma de fiction nous a déjà offert un petit bijou sur le même principe avec Boyhood de Richard Linklater, ici, le résultat est tout autre et bien plus puissant puisque, documentaire oblige, tout ce que nous voyons s'est réellement passé.
Des changements extérieurs qui n'enlèvent rien à la colère intérieure
Et le metteur en scène ne nous cache rien, restant toujours au plus près de son héroïne qui, tantôt joue avec la caméra et son statut de personnage en devenir, et tantôt tente de préserver son intimité. Ce qui conditionne un jeu étrange de dévoilement et de pudeur entre le film et le spectateur. Suivant un déroulé chronologique sur six années, Mohamed Siam parvient cependant à nous emmener sur un tout autre terrain, celui de l'introspection. En avançant dans le temps, on plonge de plus en plus profond dans le passé de la jeune fille, dans sa psychologie, dans les raisons qui motivent son caractère frondeur et révolté.
Alternant les prises de vue actuelles avec des images d'archives personnelles d'Amal, le contraste est saisissant : nous passons en effet d'une petite fille souriante et blagueuse à cette adolescente perturbée et engagée, véritable bombe à retardement qui se bat pour avoir le droit d'exister comme elle l'entend. Et le résultat est fantastique.
Amal, superwoman d'à peine 20 ans
LA GRANDE DÉSILLUSION
Cette rencontre entre deux époques, ces deux versants de la même personne, ces deux mouvements en apparence contraires trouvent un écho symbolique dans les bouleversements que connait l'Egypte. Amal devient donc presque une figuration mythologique du peuple égyptien, tiraillé entre les traditions religieuses, la nomenclature islamiste rigide et liberticide pour les femmes, les aspirations progressistes et le contexte sulfureux qui a permis de créer cette situation.
En six ans, Amal semble vivre bien plus que ce qu'une vie d'adolescente pourrait contenir. Elle perd son premier amour lors des émeutes du stade de Port Saïd, se fait tabasser par la police, rejoint les jeunesses révolutionnaires qui la prend un peu de haut parce qu'elle est une fille, fume, boit et aspire à une liberté totale. Puis, alors même qu'elle se heurte au traditionnalisme de son nouvel amour, elle brave le port du voile imposé par les Frères Musulmans succédant à Moubarak, tout en tentant de dépasser le trauma originel : la mort de son père lorsqu'elle était enfant.
Et c'est bien cet événement fondateur qui motive les actions d'Amal, ce besoin de comprendre et de se réparer, cette perte de repères et cette perte du père. De ce fait, lorsque les violences éclatent, elle ne peut qu'y participer tant elles sont en phase avec sa propre violence et sa propre colère. De quoi nous faire réfléchir longuement sur les raisons qui conditionnent une révolution.
Derrière la révolte, une grande solitude et une profonde mélancolie
Le résultat est dévastateur, bouleversant, émouvant, hypnotisant. Nous avons droit à un vrai concentré de vie, de mort, d'amour, de désillusion, de bruit et de fureur, admirablement filmé, rythmé et monté. Un de ces récits forts et profondément humains qui nous convainc que, malgré toutes ses tentatives, le cinéma n'arrivera jamais à la hauteur de la réalité.
Dans une époque plus que troublée un peu partout dans le monde, quand nous remettons en question les fondements mêmes de notre fonctionnement sociétal, voir un film comme Amal est plus qu'important. Parce qu'il nous montre que cela s'est déjà passé, ailleurs, que cela se passera encore et que, malgré les heurts, la violence, la mort et les drames, une adolescente troublée arrive tout de même à s'accomplir.
Certes, elle y arrive en faisant d'énormes concessions, en n'évitant pas la grande désillusion, une mélancolie profonde mais, quel que soit son état ou l'endroit où elle se trouve, elle continuera toujours le combat à sa manière.
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