L'Homme qui tua Don Quichotte : critique in La Mancha

Alexandre Janowiak | 22 mai 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Alexandre Janowiak | 22 mai 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Il aura fallu attendre vingt-cinq ans. Vingt-cinq ans de galère d'un film successivement repoussé, annulé, abandonné puis recommencé, avant que le projet maudit de Terry Gilliam aboutisse et se dévoile enfin lors de la clôture du festival de Cannes 2018. Le film est-il à la hauteur de cette attente interminable ?

LE FILM QUI A FAILLI TUER TERRY

Impossible de parler de L'Homme qui tua Don Quichotte sans revenir un minimum sur l'histoire de ce projet fou. La conception du film est tellement improbable qu'on pourrait la croire tout droit sortie d'un mythe. Pourtant, toutes les galères vécues par le long-métrage de Terry Gilliam n'ont rien de fantasques et ont bel et bien eu lieu, avant que le film ne trouve enfin le chemin des salles obscures du monde entier, à raison de vingt-cinq années de persévérance.

Le cinéaste de Brazil à l'idée d'adapter le Don Quichotte de Cervantès dès 1989. Après dix ans d'écriture, le film doit partir en tournage en spetembre 1999 mais est finalement repoussé à octobre 2000. Le début d'une malédiction retracée en partie par le documentaire Lost in La Mancha. En effet, en quelques jours de tournages, tout le projet tombe à l'eau : tournage perturbé par des avions militaires, Jean Rochefort victime d'une infection puis d'une double hernie discale l’empêchant de reprendre son rôle (et de remonter un jour à cheval) et un plateau qui sombre sous des pluies diluviennes détruisant une bonne partie des décors et du matériel. 

 

 

 

Déboussolé, Terry Gilliam ne relance le projet qu'en 2008 avec le duo Robert Duvall et Ewan McGregor mais perd son financement. En 2011, le duo s'est transformé en Robert Duvall et Owen Wilson mais une nouvelle fois, le manque de budget empêche le bon déroulé du tournage prévu pour le printemps 2012. Des problèmes de financements interminables qui gêneront encore à deux reprises la production en 2014 avec le duo John Hurt - Jack O'Connell puis en 2016 avec Michael Palin et Adam Driver.

Finalement, en mars 2017 un nouveau tournage débute enfin avec Jonathan Pryce dans la peau de Don Quichotte et Adam Driver dans celle du faux Sancho Panza, et se termine en juin 2017. Après un conflit venimeux avec le producteur Paulo Branco qui s'est terminé un jour avant la céremonie de clôture du Festival de Cannes 2018, un AVC du cinéaste à quelques jours de la première mondiale, L'homme qui tua Don Quichotte est enfin arrivé sur nos écrans. L'attente en valait-elle le coup ?

 

Photo Jonathan Pryce, Terry GilliamJonathan Pryce et Terry Gilliam sur le tournage du film 

 

LOS SUENOS PARANO

Dès les premiers instants du long-métrage, un premier constat frappe : L'Homme qui tua Don Quichotte est une oeuvre malade qui n'a pas réussi à se débarasser des nombreux maux qui ont jalloné sa production. Le plus frappant est sans aucun doute sa narration bancale. Très loin d'être une adaptation littérale du bouquin, le film raconte les aventures de Toby (Adam Driver), un réalisateur de pub désabusé, qui revient dans le village de Los Suenos, où il a tourné son film de fin d'études, et se retrouve confronté à de nombreuses catastrophes où le Don Quichotte de son film le confond avec son écuyer Sancho Panza.

Ainsi dans sa première partie, le long-métrage passe du présent au passé, de la visite de Toby dans les petites rues de Los Suenos à ses souvenirs d'antan dans un montage très brut où les ellipses ne sont pas marquées. En résulte, une fluidité du récit absente et une certaine confusion scénaristique pour les spectateurs.

 

Photo Adam Driver, Jonathan PryceAdam Driver et Jonathan Pryce, un superbe duo

 

Dans le même temps, L'Homme qui tua Don Quichotte subit les affres du temps et les vingt-cinq années qui se sont écoulées entre le premier jet du script, ses moults ré-écritures et sa retranscription cinématographique. A quelques exceptions près, les nombreux dialogues souffrent d'un humour désuet et de blagues éculées quand les décors paraissent particulièrement vieillots par endroits.

Pire, c'est le traitement des personnages féminins qui fait vraiment défaut dans le long-métrage du réalisateur de L'Armée des 12 singes, d'autant plus à l'ère des Times Up et #MeToo. L'écriture du personnage d'Olga Kurylenko est particulièrement gênante en sorte de pétasse bonne à rien. La jeune Dulcinée (Joana Ribeiro) manque cruellement de profondeur quand Rossy de Palma, elle, ne fait qu'une pâle apparition des plus insipides.

 

photoOlga Kurylenko ou Jacqui, le personnage le plus mal écrit du film 

 

HOLY GILLIAM

La douce folie qui a parcouru la carrière de Terry Gilliam notamment dans Les Aventures du baron de Munchausen n'est donc plus ce qu'elle était et le cinéaste a clairement perdu une partie de son génie quand on découvre son dernier film. Pourtant, malgré tous ses défauts, L'Homme qui tua Don Quichotte dispose d'une fougue enivrante. Difficile de ne pas embarquer dans le trip fantaisiste de Toby, interprété par un (toujours) excellent Adam Driver, et cet excentrique Don Quichotte des temps modernes incarné par l'incroyable Jonathan Pryce.

 

Photo Jonathan PryceJonathan Pryce en Don Quichotte ou comme un air de Terry Gilliam

 

Quelques intrigues sont superflues mais le long-métrage se termine en apothéose avec un climax d'une folle extravagance extrêmement bien rythmé et jouant des cadres distordus pour nous emporter entre rêve et réalité, illusion et vérité, bonheur et souffrance.... Les dernières minutes, elles, nous emplissent d'une grande mélancolie. Une illustration d'une aventure épique terminée qui ne nous quittera jamais vraiment.

Car bien au-delà, l'ex-projet maudit de Terry Gilliam est surtout un essai profondément meta. Qu'il se transpose à travers le personnage Don Quichotte ou celui de Toby, retrace les années de galères vécues pour concrétiser son film à travers quelques clins d'oeils scénaristiques... Terry Gilliam parle bien évidemment de lui dans L'homme qui tua Don Quichotte. En résulte alors une mise en abyme dramatique généreuse, désopilante et surtout profondément touchante.

 

affiche

Résumé

L'humour est un peu désuet et la narration souvent maladroite mais L'homme qui tua Don Quichotte est profondément touchant, généreux, fougueux, se questionne sur les rêves et l'obstination de chacun à les réaliser : Terry Gilliam, lui, a enfin accompli le sien.

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Lecteurs

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commentaires
Vingt6
08/06/2018 à 10:01

je n'avais entendu que des critiques sur ce film!! Quel bijou, très proche du bouquin, malgré son apparent éloignement, je suis sorti encore plus amoureux de cet éternel personnage. Le monde du cinéma en prend pour son grade, c'est peut être la raison de ce désamour de la critique. C'est beau, intelligent, drôle, émouvant, merci Mr Gilliam.

STEVE
03/06/2018 à 14:22

TRÈS déçu!
Déjà par Gilliam dont j'adore le travail et après toutes ces années d'attente!

Je l'ai trouvé d'un profond ennui.
Je suis sorti de la salle et ça ne m'est pas arrivé depuis un bail

Eva
26/05/2018 à 22:53

L'homme qui tua Don Quichotte ! Enfin projeté sur les écrans ! Alors que Terry Gilliam a lutter pendant plusieurs années pour enfin réaliser son film c'est fait. Je me demandais vraiment ce qu'allait donner ce film réalisé par un des Monty Python. Hé bien je n'ai pas été déçue, ce film à la fois burlesque, comique, moderne, décalé, dépassé et prenant, est à mon goût excellent. J'ai trouvé le filage du film tout à fait clair, les plans, les paysages et les couleurs agréables, les deux personnages principaux tout à fait attachant. Ce film m'a sincèrement fait rire alors que j'ai tendance à rester stoïque et intérioriser mon amusement devant un écran. J'ai malheureusement lu beaucoup de critiques négatives sur ce film qui disaient que c'était là la production d'un homme qui voulait désespérément sortir ce film et que c'était pathétique. Je trouve moi, au contraire, que Terry à montrer une volonté admirable et un courage. Il aurait très bien pu abandonner son projet à passer à autre chose. Je comprend aussi que le public d'aujourd'hui ait du mal avec cet humour qui aurait fait pleurer de rire les salles de cinéma il y a 10 ans, aujourd'hui on ne rit plus que devant un humour gras et des scènes d'actions époustouflante. On ne prend plus le plaisir de regarder du burlesque, ou des scènes fantastique absurdes. C'est dommage... j'ai passé un très bon moment devant ce film qui a demandé tant de travail. Petit bémol néanmoins: j'ai trouvé la scène dans le château trop longue et les personnages féminins semblaient peu travaillés. A part ça je pense réellement que ce film ne mérite pas toutes ces critiques haineuses. Je recommande grandement ce film qui est à regarder avec ouverture d'esprit.

didouchca
26/05/2018 à 20:51

Je viens de le voir et franchement je suis resté scotché. Ces personnages sont attachants et plein de tendresse. Et je pense que je retournerai le voir.il m'a touché, et j'avais presque les larmes aux yeux. Sublime. Il y a longtemps qu'un film ne m'avait pas touché autant.

Sam
25/05/2018 à 09:03

Une chouette analyse mais j'aurais tendance à être moins marqué que vous sur les flashbacks de Toby... Ils sont tous marqué par des altérations de couleurs, voire même des fondus :).

Qualopec
24/05/2018 à 11:45

@Pat

"pour votre réflexion du rôle des femmes dans ce film c'est un peu opportuniste et sans intérêt"

?
Ce n'est pas parce que tu ne l'a pas vu, n'en a pas été gêné, ou que tu t'en fiches, que c'est "sans intérêt", ou "opportuniste". Ou alors autant ne rien lire sur les films, ne pas s'ouvrir aux analyses et réflexions et idées des autres, et se contenter de son avis et ceux qui y ressemblent.

Pat
24/05/2018 à 11:41

Sans être le plus grand film de Gilliam cela reste néanmoins un très beau film que j'ai eu plaisir à regarder et qui m'a emporté, pour l'humour désuet je n'ai rien remarqué et pour votre réflexion du rôle des femmes dans ce film c'est un peu opportuniste et sans intérêt.

Lauvnis
23/05/2018 à 04:27

C'est un excellent film malgré ces défauts mais les acteurs rendent le tout génial et l'ambiance est gilliamesque à point

Lalou
22/05/2018 à 20:51

Fabuleux, dans la forme (lumière, décors splendides), dans le fond (industrie cinématographique qui a perdu le rêve, valeurs d'une société désabusée vs qqs "résistants", etc...). Ça fait du bien, c'est beau !

Constantine
22/05/2018 à 15:04

Lol: dire que ce film est le meilleur film deGilliam ça s’appeLe du troll ???? ce film est vraiment un film malade, avec beaucoup d’aspects touchants classique du style du réalisateur mais également de grandes scories dont effectivement un humour désuet, une narration cassée et des thèmes vu et revu chez ce réalisateur ex Fisher King. Ce film est quand même loin de 12 Monkeys, Brazil ou Fisher King !

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