Jusqu'à la garde : critique un week-end sur deux

Christophe Foltzer | 24 novembre 2021
Christophe Foltzer | 24 novembre 2021

Jusqu'à la garde, ce soir à 21h10.

On avait déjà entendu parler du premier film de Xavier Legrand puisqu'il a remporté le prix de la mise en scène du dernier festival de Venise, ce qui lui donnait déjà une sacrée réputation et provoquait chez nous une grande attente. Mais on ne s'attendait vraiment pas à ça quand on l'a découvert au dernier Festival de Saint-Jean-De-Luz.

GÉNIAL, MES PARENTS DIVORCENT

En l'espace de deux plans, on comprend tout de suite qu'on n'aura pas affaire à un film comme les autres et qu'il va nous entrainer dans une drôle d'histoire. Pourtant, le principe de base pourrait être tiré de la colonne faits divers de n'importe quel journal local : un couple se déchire, mettant ses deux enfants au milieu alors que le père remet en question le droit de visite. La juge tranche et, malgré le refus de Julien, 11 ans, de revoir son père, elle l'oblige à passer un week-end sur deux avec lui. Entre méfiance, peur et manipulations, l'enfant va essayer de protéger sa famille tout en ne froissant pas une personne dont le caractère se montre plus qu'inquiétant.

Un principe assez simple donc, pas simpliste cependant, qui s'achemine vers une conclusion logique en apparence et qui pourtant parvient tout de même à nous surprendre, voire à totalement nous emporter au bout de 20 minutes. Si l'installation de l'histoire et des personnages est quelque peu laborieuse et manque parfois de dynamisme, dès que Julien retrouve son père la première fois, le film trouve son souffle, prend sa vitesse de croisière et la suite ne sera qu'une montée en puissance vers un final explosif dont nous tairons bien évidemment les détails.

 

Photo Léa DruckerLéa Drucker 

 

FAIS-MOI PEUR

Le premier élément qui nous fait penser que nous avons affaire à un grand fim, ce sont ses comédiensLéa Drucker est parfaite, à fleur de peau, mais tout autant forte que déterminée à protéger son foyer déjà bien meurtri; le trop rare Denis Ménochet est absolument sensationnel dans ce rôle de père bourru et ambigu dont on ne sait jamais trop quoi penser avant une dernière partie où il explose de charisme, mais nous y reviendrons.

LA révélation du film, c'est bien entendu le jeune Thomas Gioria, qui interprète Julien. Un rôle pas évident, tout en nuances et en souffrances que le jeune acteur remplit de manière époustouflante avec une maturité de jeu qu'on n'a clairement pas l'habitude de voir dans le cinéma français. Non vraiment, rien que par ses choix d'acteurs, Xavier Legrand nous met déjà une bonne claque.

 

Photo Jusqu'à la gardeLe jeune Thomas Gioria

 

Si le film fonctionne autant, c'est aussi parce qu'il a recours à un procédé de mise en scène auquel nous ne nous attendions pas, mais qui est tellement logique quand on y repense. Jusqu'à la garde ne ressemble pas à beaucoup d'autres films français, parce qu'il est réalisé comme un thriller.

En appelant constamment aux codes du genre inconsciemment ancrés dans l'esprit du spectateur, ce choix malin donne une énorme ampleur à l'histoire puisque, tout d'un coup, une ambiance très oppressante se crée, l'angoisse n'est jamais loin, nous restons collés au plus près des émotions des personnages poussés à bout qui vivent la situation de manière exacerbée et, oui, in situ, on se sent dépassés, en tant que spectateurs, nous sommes totalement embarqués, ce n'est plus un drame familial franchouillard qui nous est montré, c'est la dérive d'une famille entière que l'on ressent. Et cela fonctionne du tonnerre.

 

Photo Denis MénochetDenis Ménochet

 

Encore plus dans sa dernière partie, très, très impressionnante, éprouvante, folle, violente, flippante, filmée comme un vrai film d'horreur, signe qu'il faut juste du talent et une vraie connaissance de la mise en scène, et une pincée d'audace, pour faire du cinéma de genre en France, sans le revendiquer comme une fin en soi, mais au contraire, parce que l'histoire l'exige.

 

Affiche

Résumé

Jusqu'à la garde est une expérience intense qui nous épuise, nous bouscule, nous émeut et nous transforme. Il est aussi la preuve qu'une vraie nouvelle scène existe en France, qu'il faut s'y pencher urgemment pour lui donner les moyens de s'exprimer et d'évoluer. Merci Monsieur Legrand pour ce petit bijou noir qui nous hantera pendant encore un moment. 

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(3.1)

Votre note ?

commentaires
Flo
30/11/2021 à 16:53

Effectivement un film de genre, Thriller/un peu Horreur, au service d’un sujet sociétal pas bien joyeux, et aussi à la gloire de la fonction de la police.
Tellement du genre avec ces acteurs centraux à la limite de la caricature dont un Denis Menochet trop évident, par son allure d’ogre dévorant (et chasseur bourru en plus). Et une Léa Drucker naturellement plus frêle et discrète, quoique avec une ambiguïté des réactions assez subtile (idem pour les enfants). Son César de la meilleure actrice récompense peut-être plus la cause que le film lui-même, définitivement une œuvre très cinématographique :
Le travail sur le danger est total, absolument toutes les scènes sont menées par un suspense menaçant constant via les hors-champs, le son (ou son absence), les digressions sur lesquelles on peut y projeter ce qu’on veut, les non-dits et les interrogatoires intimidants, l’intelligence aussi bien des protagonistes qui veulent s’esquiver que de celui qui domine, bref les (mauvais) jeux de pouvoir.
C’est à la fois simple et complexe, c’est au fur et à mesure tétanisant.

Morcar
25/11/2021 à 10:55

@juste un papa, c'est n'importe quoi ce que tu dis. Heureusement que les juges ne basent pas leurs verdict sur l'idée générale de la population sur le sujet. Chaque cas est étudié un par un. Et pour être un papa de 3 enfants séparé, je peux t'affirmer que ma garde alternée a été actée sans aucune difficulté. Une semaine chez chaque parent, chacun paye ses charges, aucune pension.
S'il y a des cas comme dans ce film, ce n'est pas sans raison.

Guéguette
25/11/2021 à 08:36

@justeunpapa
n'importe quoi. C'est une situation donnée, et les juges se foutent de ce film, malheureusement.

Sanchez
25/11/2021 à 08:24

Ça commence comme depardon et ça finit en Shinning. Mine de rien, Legrand a réalisé un des films les plus important de ces dernières annees. Au dela même de son sujet c’est un bijou absolu de mise scène. La scène de la fête est peut être une des scènes les plus marquantes que j’ai vu dans ma vie. Tout est dans les non dit mais on comprend tout et là peur s’installe. Et la scène finale, évidemment une référence
A voir aussi le court métrage prequel de Legrand qui est tout aussi brillant

juste un papa
25/11/2021 à 00:17

Je crains que le succès du film ne fasse qu'asseoir des stéréotypes déjà bien ancrés. Il y a que les allégations et l'aliénation parentale sont des méthodes qui fonctionnent sur les citoyens lambda que nous sommes. Pour une fiction, c'est un joli film fort bien documenté par des sources réelles, mais je pense que les graines qu'il sème ait le pouvoir de séparer davantage les pères divorcés de leurs enfants, dans l'inconscient des juges.

Morcar
24/11/2021 à 19:02

Quelle claque ce film ! Quel coup de poing ! Je l'ai vu il y a un peu plus d'un an, et en effet on en sort secoué. Du début à la fin, on est touché par cette mère qui veut se défendre d'un mari violent, et ce mari qui se raccroche à cette vie perdue, en étant lui-même totalement perdu, sans savoir vraiment qui d'elle ou lui dit la vérité.
On s'attache à l'un comme à l'autre, sans savoir s'il est le monstre qu'elle décrit ou bien si c'est elle qui est un monstre proférant des mensonges pour se débarrasser d'un mari qu'elle n'aime plus. Et au milieu de tout ça, cet enfant qui n'a aucun pouvoir et se retrouve impuissant dans cette lutte opposant ses parents.
Et le fait qu'on s'attache ainsi à chacun rend ce final encore plus saisissant et bouleversant.

Il faut veiller à avoir plutôt un bon moral le jour où on regarde ce film, car on en sort forcément secoué.

MassLunar
04/04/2019 à 00:37

Super critique Mr Foltzer, je viens tout juste de voir ce film et je suis complètement d'accord avec vous l'aspect sur les aspects thriller et film d'horreur qui viennent se fondre dans la mise en scène de ce puissant drame. Sans cela, le film n'aurait pas eu cette même intensité, ce même suspense nerveux qui nous laisse littéralement sans voix jusqu'à ce final bouleversant.
Une réussite incontestable !

corleone
24/01/2019 à 12:39

ce film est une vrai bombe cinématographique, la mise en scene est spectaculaire et denis et juste "enorme" dans ce role ! regardé déjà deux fois, la troisieme ne saurait tarder.

Bah quoi ?
31/01/2018 à 00:36

Merci beaucoup beaucoup pour votre critique !
Grace a vous j'ai foncé sur une avant première dans un cinéma a côté de chez moi.
Et pour faire bref votre critique est parfaite !
Un pur film d'auteur extrêmement bien maîtrisé !
Par contre la fin de votre critique ma gâché la fin du film puisque gros spoile quand même ... dommage sur ce point ...
Sinon je sais maintenant pourquoi j'aime autant vous suivre, peace et ne vous arrêtez pas !

Fil
29/01/2018 à 14:21

Merci Christophe Foltzer ????. Et pendant que j'y suis : merci EL !

Plus
votre commentaire