Zoe : critique very Black Mirror
Drake Doremus aime l'amour. Depuis son premier film À la folie jusqu'à Equals avec Kristen Stewart et Newness (déjà sur Netflix), il ne cesse de questionner la nature et les limites de l'émotion, au-delà des genres qu'il explore. Avec Zoe, porté par Ewan McGregor et Léa Seydoux, il s'essaye une nouvelle fois à la science-fiction, et signe un de ses films les plus réussis. Disponible sur Netflix depuis le 20 juillet.
CRAZY IN LOVE
Une chose à accorder à Drake Doremus : sa cohérence. Les cinq films qu'il a réalisés partagent tous les mêmes thématiques, tournent autour des mêmes types de personnages, et sont unis par son rapport à l'amour et la solitude. À la folie, succès propulsé par Sundance avec Anton Yelchin et Felicity Jones, racontait la romance contrariée entre un Américain et une Anglaise séparés par un océan. Breathe in, avec à nouveau l'actrice de Rogue One : A Star Wars Story, racontait l'aventure entre un homme marié et une jeune femme. Equals, la romance interdite entre Kristen Stewart et Nicholas Hoult dans un futur glacial où toute émotion était bannie. Newness, enfin, s'intéressait à l'impact des sites de rencontre et réseaux sociaux dans la sphère amoureuse.
Zoe est un prolongement parfait de ses obsessions, puisque c'est une histoire d'amour, dans un avenir où des intelligences artificielles, des algorithmes et des pillules ont été créées pour combler la solitude des gens, garantir le bonheur, et leur offrir des shoots artificiels de sentiments. Comme tous les précédents films de Drake Doremus, il ne sort pas en salles. Il est arrivé sur Netflix. Et la rencontre entre Ewan McGregor et Léa Seydoux, si elle porte toutes les faiblesses et les tics du cinéaste, mérite le détour.
Le cinéaste prouve encore son talent côté casting et direction d'acteurs
LOVE JUNKIE
Zoe rappellera l'épisode Hand the DJ de la saison 4 de Black Mirror, qui mettait en scène une application de rencontre pas comme les autres. Il rappellera aussi Westworld, le superbe Her de Spike Jonze, ou encore Ex Machina. Qui eux même renvoient à quantités d'œuvres passées. Aucune surprise de ce côté : Drake Doremus n'a jamais brillé par sa folie débridée ou son imaginaire. Equals en est la preuve la plus triste et spectaculaire, tant le film de science-fiction ressemble à un exercice de style un peu vain, qui se contente de rejouer une formule.
Son nouveau film a beau retourner sur le terrain du genre, le cinéaste a visiblement retenu la leçon. Ici, la science-fiction ne passe pas par les décors, les costumes, ou de grandes règles étalées dès le début pour insister sur l'univers. Zoe se déroule dans un monde qui a l'air d'être le nôtre, et l'est quasiment d'ailleurs. Sauf qu'une entreprise, créée par le personnage d'Ewan McGregor, travaille sur le bonheur des gens.
Léa Seydoux, parfaite
D'abord avec un algorithme qui calcule le pourcentage de réussite des relations amoureuses, pour éviter les cœurs brisés et impasses relationnelles (ce qui rappelle un autre film, méconnu pour le coup : Timer). Puis avec des prototypes d'androïdes, qui seront capables d'aimer totalement et éperdument un humain, et lui éviter un cœur brisé. Et enfin, avec des pilules qui, pendant quelques heures, permettent à deux inconnus de tomber passionnément amoureux, comme une dose de drogue.
Que certains des personnages soient en plus des êtres artificiels permet au réalisateur de créer un jeu de miroirs et résonnances. La question de ce qui est réel et factice, ce qui définit le vrai pour le départager du faux, est centrale et omniprésente. Et au lieu de se focaliser uniquement sur la construction banale d'une romance (rencontre, coup de foudre, passion, déception, retrouvailles), qui reste bien là en pointillé, Doremus essaie de dézoomer pour questionner le rapport des gens à l'amour, dans une société en pleine évolution.
C'est beau, souvent terrible, et d'une sensibilité parfois étourdissante. Ces pilules "magiques" notamment donnent une perspective terrifiante et fascinante sur la société. L'idée de ce monde qui désapprend peu à peu à aimer, dans une sorte de version tordue d'Eternal Sunshine of the Spotless Mind, mériterait un film à elle seule. Et le réalisateur a un talent certain pour capter les émotions les plus infimes et tenter d'embrasser toute la complexité silencieuse des relations, aussi banales puissent-elles sembler.
FLOU ARTISTIQUE
S'il y a bien une autre chose qui place Drake Doremus sur le radar des réalisateurs à suivre, c'est ses talents de filmeur. La profondeur de champ, les amorces, les délicats mouvements parfois imperceptibles de la caméra, le montage qui alterne des visages en très gros plan et des silhouettes perdues dans le monde, sans oublier la photographie magnifique de John Guleserian (qui l'accompagne depuis ses débuts) : Zoe est encore une fois une invitation à flotter et s'oublier, dans une bulle de rêve à moitié éveillé.
Et la musique véritablement superbe de Dan Romer participe pour beaucoup à cette atmosphère. L'attention portée aux détails, au moindre coin de décor, aux costumes et looks de chaque acteur (Miranda Otto, Rashida Jones, Christina Aguilera, qui parviennent à exister en quelques lignes de dialogues), rappelle que le cinéaste a un vrai regard.
Alerte haters : Léa Seydoux est très, très présente
Et c'est grâce à cette énergie de cinéma que Zoe peut ne pas s'écrouler. C'est également parce que Léa Seydoux et Ewan McGregor forment un duo charmant, avec une alchimie très touchante, que la chose fonctionne et emporte. Le film ne sombre pas dans le mélo de bas-étage, mais pourtant l'émotion est parfois vive, et d'une sobriété renversante.
Mais entre un twist curieusement géré, une romance en trois actes très classique, et le sentiment global d'avoir sous les yeux une histoire vue mille fois (qui révèle malheureusement ses meilleurs atouts dans les détails), le film rappelle que Drake Doremus a du mal à sortir de sa zone de confort. Nul doute que lorsqu'il trouvera un scénario très solide, à la hauteur de ses talents, il sera capable de rassembler ses forces pour donner naissance à de petites merveilles.
Lecteurs
(2.0)10/08/2018 à 09:11
@Buckaroo Banzai
Ils sont cités dans la critique effectivement mais attention à ne pas trop en attendre de Zoe, qui n'a pas les mêmes ambitions, est bien plus modeste et simple. Mieux vaut partir comme ça pour laisser le film éventuellement surprendre et emporter, plutôt que préparer la déception.
10/08/2018 à 09:05
Ok ça roule.
Sinon, pas encore vu ce film et l'article donne envie.
J'avais aimé Her et Ex Machina.
Je m'attends à un truc dans la même veine.
10/08/2018 à 08:54
@Buckaroo Banzai
Relax, c'était pour parler en général du fonctionnement du site, pas de votre cas, d'où le "déformation professionnelle" (chose déjà évoquée avec vous y'a quelques jours).
Faut pas voir de la nervosité dans une réponse toute simple qui explique un truc par sécurité. Les réponses de la rédaction ont d'abord pour but d'expliquer des choses aux lecteurs, pas de faire des blagues.
Donc si c'était un "clin d'oeil" et pas quelque chose qui appelait à explication ou justification (choses qu'on encourage vivement avec les lecteurs), affaire classée, tout va bien.
10/08/2018 à 08:44
J'affronte personne.
Faut redescendre là.
C'est plus de la nervosité à ce stade...
10/08/2018 à 08:39
@Buckaroo Banzai
Non non, juste habitués à affronter les lecteurs et devoir se répéter. Déformation professionnelle.
10/08/2018 à 08:35
Oui oui.
Laisse tomber, c'était un clin d'oeil.
Vous êtes nerveux.
10/08/2018 à 08:31
@Buckaroo Banzai
Ca tombe bien : le titre en question n'était pas racoleur.
Oui oui on peut le réexpliquer encore une fois si vous y tenez, et vous dire la différence très clair entre vous qui n'aimez pas un titre qui relève d'un choix édito et d'une logique edito explicitée dans l'article, et un gros méchant titre racoleur.
10/08/2018 à 08:21
C'est juste moins agressif comme méthode.
Je préfère ça au racolage.
09/08/2018 à 16:11
@Buckaroo Banzai
Forcément c'est nettement plus consensuel et doux là ;)
09/08/2018 à 16:09
J'allais le tenter bientôt justement.
Je vais me laisser surprendre, on verra bien.
Et là, j'aime le titre Geoffrey ... ;-)