Million Dollar Baby : critique sur le ring

Laurent Pécha | 11 février 2006 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Laurent Pécha | 11 février 2006 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Attendu comme un événement pour des raisons évidentes (Clint, la boxe, ses multiples nominations aux prochains Oscars, les critiques dithyrambiques le précédant), Million dollar baby est une belle déception. Alors que tout laissait imaginer que le 25ème film d'Eastwood allait être un de ses plus beaux, les deux longues heures douze de projection dressent un constat tout autre, celle d'un cinéaste célébré à juste titre par son classicisme qui au lieu d'apporter sa pierre à l'édifice imposant du « film de boxe », ne propose qu'un déroutant condensé de stéréotypes.

Loin de nous l'idée d'écrire que Million dollar baby est un mauvais film ou tout simplement un film raté. Seulement à la lueur de la filmographie imposante de son réalisateur, auteur d'un paquet de films mémorables (Impitoyable pour ne citer que le meilleur d'entre eux), Million dollar baby a bien du mal à exister. Et ce n'est peut être pas finalement une si grande surprise que ça. En analysant bien le parcours d'Eastwood depuis plus d'une décennie, on pourrait dire qu'à l'instar de ce que faisait dans les années 80-90 un autre vieux de la vieille (Sidney Lumet), Clint a une sérieuse tendance à réussir un film sur deux ou du moins à proposer une oeuvre majeure sur deux. Conséquence évidente alors après un remarquable Mystic River, Million dollar baby ne pouvait être qu'un Eastwood mineur. Alors, certes, on est bien loin du même mineur que Créance de sang mais tout de même comment ne pas s'attrister un tant soit peu devant un récit qui, jamais au grand jamais, ne vient transcender l'univers de la boxe tel qu'on le connaît depuis la nuit des temps cinématographiques.

 

photo, Hilary Swank, Morgan Freeman

 

Sans vouloir trop en révéler pour ne pas gâcher une histoire toutefois attachante car marquée d'un lot conséquent d'événements plus ou moins marquants, Million dollar baby pêche peut être encore plus dans sa seconde moitié lorsque la boxe n'est plus le centre d'intérêt premier du réalisateur. Lorsque l'émotion et la relation privilégiée qui s'est installée entre l'entraîneur et sa boxeuse, s'imposent à la chronique pittoresque de la salle de boxe et ses « habitants », le film d'Eastwood plonge dans un pathos qui frise plus d'une fois la simple caricature grossière (la famille de Maggie, la rédemption d'Eddie).

 

Mais avant d'être plongé dans ce rapport maître-élève qui s'apparente à une relation père-fille, Million dollar baby aura durant une heure et demie permis à Clint Eastwood de s'offrir son film sur la boxe. Et là, on ne peut que constater que le cinéaste n'a pas fait preuve d'une quelconque imagination pour apporter un regard neuf sur la question. Alors que des réalisateurs comme Scorsese (Raging Bull) ou encore plus récemment Michael Mann (Ali) ont su imposer leur vision sur l'univers pugilistique tout en y intégrant leurs préoccupations premières, Clint Eastwood se contente de reproduire le schéma inhérent à ses dernières productions où il joue les premiers rôles. Une sorte de fonds de commerce basé sur le héros usé, le mec qui a vécu - voire le plus souvent survécu - avec un traumatisme (celui de Million dollar baby en impose dans le cliché de celui qui doit vivre avec son erreur).

Sans être exigeant sur la chose (on appelle d'ailleurs ça, à bon escient, la thématique d'un auteur), on attendait forcèment en contrepartie que la forme, élément plus qu'essentiel lorsqu'il s'agit de filmer la boxe, ses combats et ses entraînements, soit un tant soit peu originale. Difficile dans ces conditions de se contenter d'une réalisation aussi anodine et quelconque qui ne brille finalement que le temps d'une seule séquence : un combat hors champ qui exprime de la manière la plus savoureuse possible la domination de Maggie sur ses adversaires.

 

photo, Hilary Swank

 

Maggie voilà peut être bien la lumière qui irradie Million dollar baby, celle qui parvient lors de trop rares scènes à transcender le long fleuve tranquille instauré par l'histoire et son traitement visuel. Personnage haut en couleurs mais avant tout terriblement attachant, cette boxeuse candide et gentille qui va devenir une vraie bête de combat, trouve en Hillary Swank une interprète magnifique. Dans THE rôle à Oscar, l'actrice est constamment crédible (une furie dévastatrice sur le ring) et réellement émouvante quand le récit devient plus sombre. Dommage en revanche qu'autour d'elle, les personnages, et donc comédiens qui les personnifient, font avant tout dans le sympathique remplissage (Eastwood faisant du Eastwood, Freeman faisant du...Freeman).

 

Affiche

Résumé

Après plus de trente ans de carrière (derrière la caméra), le sentiment de faiblesse générale qui nous envahit à la vision de Million dollar baby s'apparenterait presque à un bien bel exploit. Eastwood comme la (quasi) totalité des réalisateurs qui l'ont précédé ou qui lui emboîteront le pas, connaît des hauts et des bas dans sa carrière. Tant pis donc si, à intervalles réguliers, l'homme ne signe que des films secondaires (rappelons une ultime fois qu'un film secondaire d'Eastwood restera toujours une expérience plus fascinante que bon nombre de films majeurs des trois quart des cinéastes sur terre) du moment qu'il réussisse encore à nous offrir quelques petites perles.

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commentaires
Pas d’accord
03/03/2022 à 13:02

Je trouve que la critique manque un peu de discernement: Eastwood est réalisateur, pas scénariste. Ce que je ne comprend pas non plus c’est comment on peu descendre un film simplement parce qu’il ne prend pas le tournant scénaristique voulu. Cela ne va peut être pas plaire au critique mais Million Dollar Baby est une histoire d’amour filial, la boxe n’est en quelque sorte que le décor et un prétexte pour la rencontre et l’histoire des personnages.
Millions Dollars Baby, un Eastwood mineur ? Un film majeur plutôt. Et ce ne sont pas la majorité des critiques qui vont me contredire.

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