Knives and Skin : critique Teen Peaks

Geoffrey Crété | 20 novembre 2019
Geoffrey Crété | 20 novembre 2019

C'est l'histoire d'une adolescente qui disparaît mystérieusement dans une petite ville. Et c'est l'histoire du chaos qui en résulte, parmi ses proches et dans cette petite communauté faussement tranquille. Knives and Skin emprunte aussi bien à David Lynch qu'à Gregg Araki pour composer une symphonie étrange, où l'amour et la violence, le sexe et le sang, la douceur et l'horreur, se mélangent et entrent en collision. Un coup de cœur, signé Jennifer Reeder.

LE VILLAGE DES DAMNÉS

Lorsque Knives and Skin s'ouvre, c'est dans une atmosphère de cauchemar, qui convoque aussi bien le film d'horreur que le giallo baigné dans des couleurs saturées. Ce n'est qu'une des nombreuses directions que Jennifer Reeder ouvre et emprunte, jonglant entre le teen movie, le thriller, le drame, et approchant même des territoires du film de genre.

Le parallèle avec Twin Peaks est évident à bien des niveaux, avec Carolyn Harper à la place de Laura Palmer en victime des circonstances et d'elle-même, dont le spectre plane sur toute une ville pour la hanter, et en révéler les lourds et absurdes secrets. Mais au-delà du prétexte, la réalisatrice partage avec David Lynch ce goût pour l'excès, le campy, et le grotesque qui flirte avec l'horreur et le rire. Il y a aussi du Gregg Araki dans cette peinture violente, absurde et naïve de l'adolescence. Et il y a surtout un univers fantastique, et un talent qui émerge dans un feu d'artifice d'émotions et de couleurs.

 

photo, Raven WhitleyLe visage de l'innocence, a priori

 

TEEN MYSTERY

La réalisatrice transforme son décor typique pour une telle histoire (une petite ville américaine) en théâtre de l'étrange, où défilent des personnages hauts en couleur, tour à tour touchants et frappadingues, comme si tout ce monde était toujours à deux doigts de basculer dans le chaos, et n'attendait qu'une raison de s'y abandonner.

Le mystère Carolyn Harper est une bombe sur un terrain miné. Les secrets, les troubles, les doutes, les crises étaient là, et cette énigme a simplement accéléré les comptes à rebours de son entourage. Knives and Skin s'étire entre le monde des adultes et celui des adolescents, sans que rien ni personne n'en ressorte blanc comme neige. Les mères sont à moitié folles et perdues, les pères absents et impuissants. Le sexe hante autant les hommes que les femmes, tapi dans l'ombre intime de chacun, prêt à surgir et prendre le contrôle.

 

photoTout sur sa mère

 

Au centre de ce drame qui flirte avec le cauchemar, il y a trois adolescentes, qui vont bondir suite à la disparition de leur amie, comme pour prendre une bouffée d'air dans ce désert morose américain. L'une d'elles marchande des fantasmes pour vieux libidineux et se laisse tenter par un homme plus âgé, sans savoir pourquoi. Une autre cède à ses envies, et à l'abri des regards, c'est l'éveil d'une sexualité.

Jennifer Reeder a beau poser des stéréotypes dans le décor, et jouer avec les codes du teen movie, le soin apporté à l'écriture des héroïnes est immense. Troublantes, étranges et opaques, au centre de l'image par leur charisme, mais toujours un peu inaccessibles avec leurs regards perdus, Grace Smith, Ireon Roach, et Kayla Carter sont trois révélations instantanées. En face, Marika Engelhardt et Kate Arrington tirent leur épingle du jeu. Et même Raven Whitley, en quelques scènes, marque l'esprit.

 

photo, Grace Smith, Kayla Carter, Ireon RoachTrois actrices fascinantes

 

ARC-EN-FIEL

Cette mélancolie presque festive qui infuse la petite ville n'est pas uniquement mentale : elle contamine le décor, et envahit l'image. Maquillages et costumes brillent de mille feux, tandis que la photographie de Christopher Rejano donne vie à chaque recoin de décor. La composition des plans est si belle et fascinante que certaines scènes ressemblent à des photos de Gregory Crewdson, créant une atmosphère entre rêve et cauchemar.

Jennifer Reeder donne des airs de carnaval monstrueux à son enquête et aux errances de ses personnages, où chacun semble se cacher et finalement se perdre dans un rôle - de mère, de pom pom girl, de fille sage, ou dans un costume de fanfare, comme Carolyn.

 

photo, Grace SmithÉchantillon de l'atmosphère envoûtante

 

Knives and Skin est aussi drôle que tragique, et dans ce mélange des genres et ce chaos des sentiments, la réalisatrice trouve son équilibre. D'une parenthèse presque angoissante où un corps semble animé par une force magique, à un horizon rempli d'espoir qui ressemble presque à une fin de John Hughes, en passant par des lunettes surréalistes, tous les sentiments sont balayés. Il y a même une parenthèse musicale magique, d'une douceur infinie, qui utilise le silence, les sous-titres et le sous-texte avec une intelligence étonnante.

Knives and Skin pousse les curseurs au maximum, et cet excès pourra rebuter, perturber, ou décontenancer. Mais à condition de se laisser porter, et flotter sans résistance dans cet univers aux frontières des genres, il y a une des expériences les plus belles, étonnantes, et puissantes de l'année.

 

Affiche française

Résumé

C'est beau, c'est étrange, c'est troublant. C'est effrayant comme un David Lynch et doux comme un Gregg Araki (à moins que ça ne soit l'inverse). C'est Knives and Skin, et c'est à ne pas rater.

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Lecteurs

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commentaires
Geoffrey Crété - Rédaction
02/12/2019 à 15:22

@Alfred

Placer des références (que Jennifer Reeder assume pour certaines en interview) est une manière de donner quelques clés, ce qui est fort utile pour un film si discret. Et c'est en plus sincère, donc je suis calme ;) D'autant que mixer trois cinéastes si différents est bien la preuve que la réalisatrice créé son propre univers - ne pas être d'accord et avoir la même sensibilité, c'est autre chose.

Alfred
02/12/2019 à 14:59

Enfin vu et déçu.
Pas de trouble pour moi. Beaucoup d'ennui hélas (oui, j'avais envie de l'aimer ce film).
Le sentiment d'assister à plusieurs films en un et qui ne font que cohabiter pas se nourrir les uns, les autres. Et l'humour tombe à plat.
Et monsieur Crété faut se calmer sur les références : David Lynch, Greg Araki, John Hugues, c'est un peu lourd à porter pour Jennifer Reeder. Laissons la exister par elle même.

D'ailleurs, aparté toute personnelle, j'ai revu le même jour La folle journée de Ferris Bueller, et c'est juste un putain de chef d'oeuvre, férocement drôle et aussi d'une tristesse infinie. et toujours d'actualité.

ElMarca
20/11/2019 à 19:30

Ca m'a rappelé Zombi Child sur plein d'aspects, en plus de Twin Peaks évidemment.

Geoffrey Crété - Rédaction
20/11/2019 à 18:58

@MystereK

Ravi de trouver un compère :)

MystereK
20/11/2019 à 12:42

Cela me fait plaisir de lire votre critique, j'ai vu le film en juillet et je commençais à me sentir seul car personne autour de moi ne l'avais aimé alors que je me suis laissé complètement envouter.

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