The Knick : la grande série oubliée de 2014

Simon Riaux | 15 février 2015 - MAJ : 05/04/2021 12:12
Simon Riaux | 15 février 2015 - MAJ : 05/04/2021 12:12

Alors que le succès des séries ne se dément pas, que le spectre des sujets qu’elles traitent s’élargit de manière exponentielle, qu’elles attirent à elles les plus singuliers talents du Septième Art et que rien ne semble décemment pouvoir freiner leurs ambitions, on est toujours surpris de voir un show brillant passer quasiment inaperçu. C’est pourtant bien ce qui est arrivé à The Knick, étonnante merveille signée Steven Soderbergh.

Cette année aura porté aux nues True Detective, Fargo, The Affair, Transparent, Arrow ou encore The Flash. Autant de séries réussies pour certaines, accomplies pour d’autres et toutes divertissantes, on est cependant bien en mal de voir parmi elles un concurrent sérieux au choc concocté dans leur coin par Clive Owen et Steven Soderbergh.

 

 

LA FETE DE LA VIANDE

The Knick prend place dans les couloirs et salles d’opérations du Knickerbrocker, hôpital New Yorkais à l’économie fragile, parmi les derniers établissements encore implantés à proximité des quartiers populaires de la ville.

John Thackery, dit Thack (Clive Owen) y est le chirurgien en chef. Tandis que l’hygiène se fait difficilement une place à l’hôpital, que l’anesthésie balbutie et que les patients passant entre ses mains finissent le plus souvent sous forme d’un encombrant tas de viande, Thack est convaincu de pouvoir faire basculer sa pratique dans le XXème siècle et remporter une victoire décisive sur la mort.

Tout cela entre deux injections massive de cocaïne, alors légale et considérée par le chirurgien comme un formidable remontant.

Voilà pour le contexte de la série, dont un des grands mérites et de nous plonger dès sa première séquence, à savoir l’opération en urgence d’une praevia (un truc qui ferait passer une césarienne pour une prise de sang), dans un univers proche du nôtre à une fondamentale différence près. Ici la mort frappe en permanence, à chaque instant, chaque secondes, les chairs se tordent et souffrent, souvent par la main de ceux qui souhaitent les soulager.

 

Photo Clive Owen

 

CADAVRE EXQUIS

Première évidence, The Knick est un festin visuel. Souvent sanglant, voire outrageusement gore (oubliez Walking Dead et ses petits zomblards), le show jouit d’une réalisation d’une virtuosité inédite sur le petit écran. Il faut remonter jusqu’à Twin peaks ou Les Sopranos pour retrouver pareille réussite visuelle.

Cette année seules les fulgurances de True Detective pouvaient prétendre joueur presque jeu égal avec la série qui nous intéresse.

 

 

Depuis son étrange Bubbles, Soderbergh s’est emparé du format numérique et a accéléré de manière démentielle son rythme de production, sortant jusqu’à deux voire trois films par an. Une logique nouvelle qui ne pouvait que l’amener vers le format série et le préparer à s’emparer intelligemment d’un projet comme The Knick, composé de dix épisodes d’une quarantaine de minutes.

Et le metteur en scène de faire de la série un terrain d'expérimentation inédit, comparable à celui que ses personnages établissent à cops de scalpels. De par la variété des dispositifs mis en place tout d’abord, qui alternent entre plans séquences aériens ou nerveux, scènes au montage presque expérimental, ellipses audacieuses, plans aux allures de reportages de guerre s’entrechoquant avec d’autre images ultra-léchées, il n’est pas un épisode de la série qui ne nous explose pas au visage.

 

Photo Clive Owen

 

Tout cela porté par une photographie exceptionnelle, tantôt minérale, tantôt sulfureuse, selon que l’on approche des vapeurs d’opium où se perde dans les couloirs du Knickerbrocker éclaboussés d’hémoglobine.

Ainsi, le temps d’un mano a mano saisissant, qui rappelle La Jetée de Marker, ou d’une explosion de violence urbaine qui se faisait avec six mois d’avance le miroir déformant des émeutes de Ferguson, Soderbergh pousse la fiction télévisée à un niveau de maîtrise scénique inédit.

 

Photo Clive Owen

 

ROCK STAR DU BISTOURI

C’est sans doute dans le traitement de son héros qu’il faut trouver la source du faible écho qui aura entouré The Knick.

Dépeint en rock star absolue, Thack n’a rien de la figure du « spécialiste » tel que dépeint par la télé américaine et adoré par les spectateurs. Le Dr House était un salaud, mais un salaud qui guérissait, Le Mentaliste est un merdaillon suffisant, mais sa suffisance était l’expression du talent qui lui permet de résoudre de terribles énigmes. Et ainsi de suite. Autant de fausses imperfections, de défauts superficiels, qui n'interdisaient en rien au spectateur de se projeter aux côtés de ces "anti"-héros.

 

 

Photo Clive Owen

 

Thack est certes un maître chirurgien. Mais de ceux qui pour sauver un patient en charcutaient des dizaines, et ne trouvaient de méthode viables qu’après avoir tragiquement expérimenté.

Il n’est pas comme Hugh Laurie un toxicomane malgré lui, qui se droguerait pour supporter une douleur ou incarner à l’écran un trauma enfoui. Non, Thack se dope à la coke et se shoote à l’opium comme un cochon. point barre.

Rock star toujours, il brûle la vie par les deux bouts, et n’attend qu’une chose : se trouver une compagne innocente à plonger à ses côtés dans un délicieux enfer de dépendance et de montées surpuissantes.

Jamais The Knick ne juge son héros. Pas plus qu’elle ne le punit. Car le chirurgien est ici un artiste. Un homme convaincu de l’importance de son art, de la nécessité de son action, quand bien même celle-ci mutile et tue.

 

 

photo, Clive Owen

 

Les cadavres que sèment Thack sont autant de croquis, d’ébauches, d’esquisses, ses prises de drogues et ses liaisons autant de fixe d’énergie brute qui lui assurent de trouver encore un peu de motivation.

Il faut voir toute la puissance évocatrice d’un des premiers plans de la série, où Clive Owen (qu’on n’avait pas vu aussi charismatique depuis Les Fils de L’Homme) s’injecte une dose de cocaïne entre les orteils à la manière de quelques légendes du rock, avant d’enfiler à nouveau ses bottines blanches impeccablement cirées, et de passer dans l’amphithéâtre où l’attendent ses confrères pour assister à un nouvelle séance de découpage, la loque humaine retrouvant son public et se faisant soudain artiste électrique.

 

Photo Clive Owen

 

LA SERIE QUI NE VOUS AIME PAS

Non, The Knick ne fait décidément rien pour être aimée. Meurtrier, cruel, obsessionnel et irresponsable, Thack est en outre ouvertement raciste, comme ses collègues. Autre mérite de l’œuvre, traiter frontalement et brutalement de deux problématiques certes vues ailleurs mais rarement représentées avec autant d’acuité : les questions du racisme et du droit des femmes.

Si vous avez des premières années du XXème siècle et de ses délirants progrès techniques une image d’Epinal, vous risquez de violemment déchanter. Il n’y ni innocence, ni espoir dans The Knick, sinon dans la folie de Thack, convaincu qu’il peut remporter son combat contre la réalité et la putrescence des chairs.

La série ne nous laisse d’autres choix que de plonger aux côtés de son personnage principal dans un tourbillon amoral d’intrigues rarement originales, mais traitées avec un jusqu’au-boutisme, une cohérence et un souci du détail admirables.

 

photo, Clive Owen

 

Et ne comptez pas sur Steven Soderbergh pour vous offrir un peu de rédemption facile via des seconds rôles enc arton. Entre les avorteurs du dimanche, les notables assassins et Typhoïd Mary, vous aurez de quoi faire.

Ainsi en va-t-il d'Eve Hewson, véritable révélation de The Knick. Infirmière curieuse, timide, mais décidée, elle est le feu qui bouillonne sous la glace du show. Prête à tout pour apprendre de Thack, elle s'embarque avec lui dans un pas de deux qui a tout d'une danse avec le diable. Un rôle casse-gueule pour qui n'a as le talent ou le charisme de tenir tête à Clive Owen. Ce que la jeune actrice accomplit avec une précision, une aura et une sensualité magnétiques, tansformant en cours de saison son personnage en un pivot essentiel sur lequel les personnages viennent se briser, alors que cette frèle nurse prend soudain un envol inattendu.

 

photo

 

PRESCRIPTION

D’ores et déjà commandée, la saison 2 de The Knick est attendue pour le courant du mois d’août. Espérons que d’ici là, nombre de spectateurs auront rattrapé la précédente, et seront restés scotchés par sa sanglante grâce.

Nous n’avons-nous-même découvert la série que bien trop tard, refroidis bêtement par le faible nombre de réactions qu'elle suscitait. On ne nous y reprendra plus et vous feriez bien de faire vous-même un peu d’auto-médication en ingérant une plaquette de dix épisodes.

Enfin, nous n’avons pas évoqué ici la partition électro ouatée signée Cliff Martinez, qui confère à la série beaucoup de son mordant et de la dimension vertigineuse de ses scènes les plus réussies.

Encore une fois, ne manquez pas l’occasion de vous y plonger.

Tout savoir sur The Knick

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commentaires
Judge500
01/08/2015 à 13:06

Enfin quelqu'un parle de ce chef-d'oeuvre! Être série est tout bonnement génial sur tous les points, je vous la recommande vraiment, surtout si vous êtes fan de médecine comme moi, c'est très intéressant. Et c'est encore mieux car ils traitent des sujets un peu tabou comme le racisme et surtout la façon dont les femmes ou plus particulièrement étaient traitées à l'époque. Bref, je recommande!

Cox
02/05/2015 à 15:52

J'ai découvert la série grâce à OCS l'année dernière, je m'y suis intéressé car j'avais vu les épisodes de GOT et WD et que je cherchais donc une série.
Ayant une confiance absolue en Clive Owen je savais que cela ne pouvait être que bien. Mais j'étais loin du compte. Cette série est vraiment très aboutie. Dès le premier épisode, je me suis demandé qui était le réalisateur, j'ai regardé et j'ai compris que j'allais me régaler !!
Pour moi Clive Owen signe ici la meilleure de toute ces prestations d'acteur. Un charisme fou.
Mais il ne faut pas oublié les autres acteurs qui sont eux aussi excellents. Les décors et les divers effets de sang sont tout bonnement parfait. Merci OCS encore une fois.. Vous êtes les meilleurs en série et de très très très loin! Canal+ a découvert GOT (game of Throne) grace a OCS et diffuse maintenant les premières saisons. Tout comme the walking dead et bien d'autres.

Louig
16/02/2015 à 09:36

Pour répondre à Greg, on peut d'ailleurs remercier OCS de faire ce genre de choix de diffusion, même si après avoir raté les deux premiers épisodes je me suis résigné à ne pas regarder la saison.
En ce début d'année j'ai pu profiter (en plus de TWD et GoT évidemment) de l'excellent manahatan S1, de black sail S1 et 2 (en cours), justified S5 ... et à venir "turn" sur la guerre d'indépendance

ben
16/02/2015 à 08:40

La meilleure nouveauté de l'année écoulée de très très loin. Et une des meilleures 1er saisons depuis bien longtemps. Passionnante, intelligente et maîtrisée de bout en bout.
Très proche de ce que Deadwood a pu réalisé avec le genre du western.

Greg
16/02/2015 à 04:40

"Enfin le genre de série que l'on aimerais voir plus souvent ! A la place de la saison 72 des expert. A pauvre France et ta culture limité."

"Culture limitéE" ?? Mais qu'est-ce que la France vient faire là-dedans ?
Et en quoi la France est responsable de la saison "72" des Experts ???
Je suppose que cela est un reproche à l'encontre de TF1 donc, qui ne diffuse pas de séries comme The Knick pour mettre les Experts... Je ne porte pas non plus cette chaine dans mon cœur (loin de là), mais que je sache aux US, The Knick ne passe pas non plus sur un des 3 grands Netwoks. Mais seulement sur une chaine du câble où la série ne réunit même pas 500 000 spectateurs par épisode !
Au moins la série est-elle accessible légalement en France via Orange, ce qui toute proportion gardée, ne doit pas être pire que Cinémax aux USA en terme de visibilité.

Bref, c'était mon coup de gueule contre les phrases toutes faites, les lieux communs, et le France-Bashing à 2 balles, facile et sans fondement.
Je pense qu'en terme d'accès, de qualité et de variété culturelles, on n'a pas trop à se plaindre en France (pour le reste, on peut en discuter).

Zapan
16/02/2015 à 01:58

Excellente série. Réalisation au petits oignons et que dire de cette B.O de dingue composé par Cliff Martinez.

Burninkarma
15/02/2015 à 18:38

Très bonne série du début à la fin de la première saison.

TheKnickMasterPiece
15/02/2015 à 17:05

Ah enfin des gens qui parlent de ce chef d'oeuvre absolu !

guillaumeMT
15/02/2015 à 15:01

Série vue depuis ça sortie. Et magnifique avec une multitude d'histoire, et une réalisation magnifique et des acteurs d'une très grande justesse.
Enfin le genre de série que l'on aimerais voir plus souvent ! A la place de la saison 72 des expert. A pauvre France et ta culture limité.

Greg
15/02/2015 à 14:12

J'en avais entendu parlé, sans jamais vraiment m'y intéresser. Mais à la lecture de cet article, ça donne envie. Et puis Soderbergh, Owen, Martinez réuni sur un même projet, au minimum ça rend curieux. Donc je vais mater ça.