Terry O'Quinn (Lost, les disparus)

Stéphane Argentin | 2 juillet 2007
Stéphane Argentin | 2 juillet 2007

Les sériephiles connaissent bien Terry O’Quinn. L’acteur traine son crâne chauve à la télévision depuis bientôt trente ans, notamment dans les séries de Chris Carter (X-Files, Millennium, Le Royaume) ou encore J.J. Abrams (Alias). Pour autant, ce n’est que tout récemment que le talent de ce grand monsieur (1,87m) a éclaté pour de bon aux yeux du grand public grâce à son interprétation du très mystérieux et pragmatique John Locke dans la série Lost. Un rôle qui lui correspond à plus d’un niveau, à la différence près que Terry ne manque pas d’humour. Place à une interview pleine de bonne humeur et de bon sens…

 

Attention aux spoilers : Cet entretien aborde différents éléments d’intrigue de la saison 3.

 

Propos et autoportrait (en fin d’article) recueillis au cours du 47ème Festival de Télévision de Monte-Carlo (juin 2007).

 

 

Les scénaristes de Lost sont désormais connus pour conserver tout sous clé jusqu’à la dernière minute. Quelle quantité d’informations recevez-vous en amont du tournage ?

Un script, c’est tout (rires). Pour vous donner un exemple, j’ai couru à tout va au cours du pilote sans savoir que j’étais dans un fauteuil roulant avant le crash de l’avion. J’ai fait cette découverte pendant le tournage du deuxième épisode, lorsque m’a été remis le script du troisième. De ce point de vue, le principe est identique à la vie réelle de tous les jours où vous ignorez systématiquement ce que demain vous réservera. Lorsque je reçois un script, si j’en suis mécontent et bien tant pis pour moi. D’ailleurs, si j’étais scénariste, je ne tiendrais pas compte des plaintes des comédiens (rires). Ce sont des scénaristes, nous sommes des acteurs. Chacun à sa place.

 

Certains acteurs se sont d’ailleurs plaints qu’ils ne tournaient pas beaucoup…

Je me suis déjà plaint moi aussi et pourtant je suis mieux servi que la plupart (rires). Compte-tenu de la taille du casting, il est difficile pour les scénaristes de satisfaire tout le monde. De plus, certains personnages sont plus faciles que d’autres à appréhender au stade de l’écriture, ce qui par chance est mon cas. Jack (interprété par Matthew Fox, NDR) et Kate (interprétée par Evangeline Lilly, NDR) sont importants donc ils apparaissent bien entendu plus souvent tandis que d’autres personnages tout aussi intéressants n’ont pas encore été explorés en profondeur. Pour vous donner un exemple, au cours de la deuxième saison, je n’étais pas particulièrement heureux d’être cloitré au fin fond de la trappe et je l’ai fait ouvertement savoir. Ce qui m’a valu une belle réprimande. Les producteurs m’ont dit alors : « Locke n’est pas heureux non plus (rires). Attends un peu, ça va s’arranger ».

   

   

Quelles sont les personnes au courant de ce qui va arriver ?

L’information se propage au fil de la production. Les scénaristes et les producteurs sont à Los Angeles où tout est planifié avant que les scripts ne soient communiqués aux différents départements : maquillage, effets spéciaux… Les acteurs sont le dernier maillon de la chaîne.

 

Avez-vous eu peur d’être définitivement éliminé de la série dans l’épisode où Ben (interprété par Michael Emerson, NDR) vous tire dessus ?

Non. Je n’ai plus peur de quitter la série désormais car grâce à elle, je suis dans une situation très enviable sur un plan professionnel. Tout du moins j’ose l’espérer. D’un autre côté, j’aimerais poursuivre encore pour un bon moment car je me suis attaché au personnage de Locke. Je le trouve passionnant et il me va comme un gant. De plus, la fin de Lost est désormais planifiée pour dans 48 épisodes donc ils vont pouvoir conclure la série proprement et je serais ravi d’en être jusqu’à son terme.

 

Cette fin programmée, est-ce un soulagement ?

Le terme « soulagement » me paraît assez approprié. Les choses ont commencé à bouger et je crois qu’elles continueront en ce sens et que les épisodes restants seront bons.

 

Ferez-vous partie de ces trois dernières saisons ?

Je l’ignore. Je ne suis pas vraiment un businessman mais lorsque vous signez pour une série, vous vous engagez jusqu’à ce qu’ils décident de se passer de vos services. Je suis donc sous contrat jusqu’à la fin s’ils veulent bien de moi.

 

Si vous deviez mourir dans Lost, quel mort choisiriez-vous ?

Laissez-moi une minute pour y réfléchir. Bien sûr une mort héroïque serait la première réponse qui vient à l’esprit mais j’espère avant tout que la mort de Locke lui apportera une réponse et aura une utilité. Je suis certain de l’utilité pour ABC qui pourrait alors vendre de grosses pubs en annonçant la mort d’un autre personnage (rires). En revanche, si l’on se place du point de vue des scénaristes, une mort sans réponse serait bien plus tragique.

 


   

Lost va connaître une fin en bonne et due forme, ce qui ne fut pas le cas de X-Files, Millennium ou encore Le Royaume. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ces séries à forte composante mythologique auxquels vous avez pris part ?

Éviter de sombrer dans l’ennui sur une série dont la seule finalité est son maintien à l’antenne doit être très difficile. C’est une histoire sans fin. Avec encore trois saisons de 16 épisodes chacune, la tâche va être plus facile pour les scénaristes qui vont pouvoir injecter davantage d’énergie tout en permettant aux comédiens d’avoir une meilleure appréhension de leur personnage. Pour reprendre le cas de Millennium, je trouvais le concept et la première saison magnifique. Puis un gros ponte du network a sans doute cru bon de suggérer une édulcoration de la série et par conséquent la deuxième saison était moins sombre.

 

Craigniez-vous qu’une situation similaire ne se reproduise au tout début de Lost, à savoir une série sans fin ?

Non car dans un tel cas de figure, je me retrouvais avec un boulot qui ne s’arrêterait jamais (rires). Tous les ans, de nombreuses séries sont mises au rebut. Je m’attends toujours à un tel cas de figure tout en espérant le succès. Et lorsque ce fut le cas au démarrage de Lost, je me suis dit : « OK, maintenant voyons ce qui va arriver ». À présent, la série va prendre fin et je pourrais tout aussi bien ne jamais avoir l’occasion de donner des interviews pour le restant de ma vie. Comme je ne cesse de le répéter, j’espère seulement pouvoir continuer à marcher et être aussi fort le jour où Lost s’arrêtera.

 

Qu’avez-vous en commun avec Locke ?

Ça, ce que je viens de vous dire (rires) : être toujours aussi fort et confiant une fois Lost fini. Je partage également la solitude, les peurs et les hésitations passées du personnage. C’est amusant au final de constater à quel point l’expérience Lost m’a transformé au même titre que le passage de Locke sur cet île. Cette série m’a rendu plus fort en me donnant une liberté d’acteur incomparable. C’est sans doute pour cette raison que tout va aussi bien pour moi aujourd’hui.

 

Lost a donc été votre thérapie en quelque sorte ?

C’est un assez bon reflet de ma vie en effet. Je fais ce métier depuis 27 ans et je ramais avant que Lost ne débute. Puis J.J. Abrams m’a appelé pour me dire : « J’ai un boulot ». Ce à quoi j’ai aussitôt répondu : « Je prends ! » (rires). Il a alors ajouté : « Oui mais le tournage est à Hawaï ». J’ai dit : « C’est bon, je prends ». Il m’a alors précisé : « Oui mais tu ne vas pas faire grand-chose au début ». J’ai fini par lui dire : « Allez, je prends. Je dois faire quelque chose ». J’étais au point-mort et puis Lost a débuté. C’est d’ailleurs assez étonnant et déroutant sur un plan numérologique mais je suis né en 1952, soit le même jour que mon père qui est né le 15 juillet 1916. Le tournage de Lost a débuté le jour de mon 52ème anniversaire. 6 + 1 = 7, 5 + 2 = 7. Je pourrais continuer ainsi pendant une demi-heure mais je ne voudrais pas vous ennuyer avec ça.

 

 

 
Au cours de ces 27 ans de carrière, quel moment a été le plus difficile ?

J’ai eu plusieurs périodes délicates mais le plus dur était sans doute cette fois-là, juste avant le démarrage de Lost. Je ne décrochais aucun rôle, tout juste quelques bricoles, de quoi payer les factures. Les gens ont souvent tendance à vous cataloguer et j’ignore à quelle sauce ils me voyaient assaisonné à ce moment-là. Il y a des périodes comme ça où personne ne veut de vous et où on vous sort n’importe quelle excuse pour ne pas vous engager. J’ai dû rencontrer cette situation déprimante à trois ou quatre reprises au cours de ma carrière et c’était à nouveau le cas depuis un an ou deux avant Lost.

 

Après avoir travaillé avec des personnes aussi réputées que Chris Carter ou encore J.J. Abrams, comment une telle situation a-t-elle bien pu se produire ?

Chris Carter fut très gentil de m’engager sur différentes séries. Il doit donc penser que je suis un bon acteur et je lui en suis très reconnaissant mais il ne pouvait pas faire appel à moi indéfiniment. Je dirais seulement ceci : la plupart des gens avec lesquels j’ai travaillé ont voulu travaillé à nouveau avec moi par la suite tandis que de nombreuses personnes avec lesquels je n’ai jamais travaillé n’ont pas voulu m’engager.

 

C’est pour cette raison que J.J. Abrams a décidé de faire à nouveau appel à vous ?

Je suppose effectivement qu’il me considère lui aussi comme un bon acteur. Je suis à l’heure, je ne suis pas un ivrogne, je fais ce qu’on me dit, je connais mon texte, je le récite, je suis courtois. Voilà qui je suis et ma façon de travailler.

 

Locke est sans doute le seul à totalement accepter ce qui arrive aux survivants sur cette île. Est-ce quelque chose qui vous a attiré dans le personnage et que vous partagez avec lui ?

Oui. C’est ce que j’aime chez Locke. Il accepte totalement sa présence sur cette île et les évènements auxquels ils se retrouvent confrontés en rapport avec son passé. Il ne se plaint pas à longueur de temps à ce sujet. Il croit fermement que toutes ces personnes ont été amenées sur cette île pour une raison bien précise, tout comme je crois que j’ai été amené à interpréter ce rôle pour une raison bien précise.

 

C’est également l’un des rôles les plus physiques de la série. Effectuez-vous vous-même vos cascades ?

Pour la plupart. Mais je ne suis plus en âge d’encaisser aussi bien qu’avant. Lorsque Mr. Eko (interprété par Adewale Akinnuoye-Agbaje, NDR) me frappe avec son bâton et que je me retrouve à terre huit prises de suite, le lendemain je dérouille. De même, lorsque le script précise : « Locke court à travers la jungle. Il est souple et rapide ». Je leur dis : « Je peux être souple et rapide lors des deux premières prises mais après ça, je serais toujours souple mais plus très rapide » (rires).

 

  

 

Que répondez-vous aux personnes accusant la série de faire du surplace au cours de la saison 2 ?

S’ils veulent toutes les réponses d’un seul coup je leur demanderais : « Voulez-vous que la série s’arrête ? ». Ils laissent de côté les sucreries qu’on leur jette au fil des épisodes et ne recherchent que le gros lot. Les sucreries sont pourtant très agréables à déguster. Le show est très beau à regarder, visuellement. C’est le seul à avoir recours à un orchestre live pour la musique. Il est bien écrit et les personnages sont intéressants. Je crois également que les scénaristes ont compris qu’il fallait donner un os à ronger aux téléspectateurs de temps en temps. Là encore, le planning de 48 épisodes restants à venir devrait garantir cela.

 

Quel regard portez-vous sur les séries qui ont tenté de copier Lost ?

C’est typique. Prenez l’exemple d’American Idol (l’équivalent américain d’« À la recherche de la nouvelle star » ou encore « Star academy », NDR) qui a un succès retentissant. Dès lors, quantité d’autres shows à base de compétition ont vu le jour : « Qui a la meilleure invention ? », « Savez-vous danser ? »… Le succès cherchera toujours à être reproduit.

 

Êtes-vous fier de faire partie d’une série rencontrant un tel succès ?

Je n’en serais pas aussi fier si je n’étais pas fier de mon travail avant tout. Il ne faut jamais perdre de l’esprit que l’on peut toujours s’améliorer et Lost est le premier rôle où je peux me revoir sans faire la grimace ou bien sans aller me cacher dans la cuisine (rires). Je suis très satisfait de la plupart des rôles que j’ai eu à interpréter jusque-là mais celui de Locke, j’en suis fier. Si je fais partie d’un show à succès sans avoir le sentiment de contribuer à cette réussite, je suis content pour la série et je suis content d’être payé mais je ne suis pas aussi fier.

 

Depuis le succès de la série, pouvez-vous encore vous promener tranquillement dehors sans être assailli ?

Oui.

 

En portant une fausse moustache, un chapeau et des lunettes alors ?

Oui, pour me protéger du soleil (rires). En réalité, depuis le début de ma carrière, j’ai réussi à conserver un certain anonymat. J’aime pouvoir me balader le crâne à l’air, c’est rafraîchissant. Et puis j’adore rencontrer et discuter avec des gens. Voir des personnes venir à votre rencontre avec un immense sourire pour vous dire qu’ils vous adorent, que peut-on rêver de plus beau (rires) ?

 

Vous habitez à Hawaï désormais ?

Oui, principalement. Ma femme a été élevée près de Baltimore dans le Maryland sur la côté Est où nous avons une petite maison et aussi nos amis. Des amis « privés » qui n’ont rien à voir avec nos connaissances dans le monde de l’Entertainment.

 

Si vous deviez vous retrouver seul sur une île déserte, qu’emporteriez-vous avec vous ?

J’ai déjà répondu à cette question de par le passé et ce que je vais vous dire est la vérité : je prendrais des livres, ma femme et Josh Holloway (l’interprète de Sawyer dans la série, NDR).

 

Josh Holloway !!! Pourquoi cela ?

Parce que ma femme adore Josh Holloway et ça me laisserait du temps pour lire mes livres (rires).

 

 

 
De qui êtes-vous le plus proche parmi les autres comédiens de la série ?

Dominic (Monaghan, l’interprète de Charlie, NDR), Josh, Jorge (Garcia, l’interprète d’Hurley, NDR). À dire vrai, je ressens à peu près la même chose pour chacun. J’ai tourné une seule scène avec Daniel Dae Kim (l’interprète de Jin, NDR) où je le délivrais de ses entraves en disant : « Maintenant tu es libre mon ami » ou un truc du genre. J’ai tourné très peu de scènes avec Claire (interprétée par Emilie de Ravin, NDR), de même pour Kate, mais j’étais toujours très enthousiaste à l’idée de tourner avec n’importe lequel des acteurs. Je n’ai pas vraiment de préférence. Evangeline fait néanmoins les meilleurs câlins que j’ai jamais connus. Vous devriez la voir à l’œuvre (rires).

 

Et quel est votre personnage préféré ?

(Silence).

 

Le vôtre.

Évidemment (rires). Je dirais Hurley ou Sawyer.

 

Pourquoi ?

Sawyer a des répliques très funs. Et puis le personnage a fait un sacré bout de chemin depuis le début de la série.

 

Avez-vous vu la figurine Locke qui a été fabriquée ?

(Rires) Ils m’en ont donné un plein carton. Je trouve ça stupide. Elle ne fait pas grand-chose. Vous appuyez sur un bouton et elle récite certaines de mes répliques.

 

Lesquelles ?

« Ne me dites-pas ce que je ne peux pas faire » et « J’ai vu l’œil de l’île et c’était magnifique ».

 

Pensez-vous déjà à « l’après Lost » ?

Un peu. Je suis à la fois nerveux et plein d’espoir comme je vous l’ai déjà dit.

 

Avez-vous déjà commencé à recevoir des scripts ?

Quelques uns mais rien d’aussi palpitant à mes yeux. C’est d’ailleurs là le critère discriminent car j’aspire désormais à quelque chose d’aussi bon que Lost, qu’il s’agisse aussi bien d’une série télé ou d’un film, sans distinction.

 

Accepteriez-vous à nouveau un rôle dans une série de Chris Carter ?

Si le rôle est bon, oui. Ce qui est presque toujours le cas avec Chris Carter. J’aime le côté sombre de ses créations.

 

Quelles sont vos séries télés préférées ?

Je ne regarde pas de dramas télés, je préfère America's funniest home videos et Dancing with the stars (dont les équivalents français seraient « Vidéo gag » et « Dancing show », NDR) dans lequel les femmes sont magnifiques (rires). D’une manière plus générale, je préfère tout ce qui fait rire.

 


 

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