Un Doigt dans le Culte : Death Note

Christophe Foltzer | 27 août 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 27 août 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Avec Un Doigt dans le Culte, la rédaction profite de son temps libre, de son salaire mirobolant et de sa mégalomanie galopante pour partager avec vous des œuvres importantes, cultes, adorées ou en dehors de toute actualité. Films, séries, livres, bandes-dessinées, sculptures en crottes de nez, tout va y passer. Aujourd’hui, à l’occasion de la diffusion du long-métrage Death Note sur Netflix (notre critique ici), on revient sur ce monument du manga et de la japanimation.

 

Il y a une quinzaine d’années, le manga vivait un âge d’or que l’on pourrait justifier par deux tendances majeures : un renouvellement certain du public, de sa base de lecteurs, permettant ainsi de diversifier une offre sur tous les pans stylistiques et de genre que propose ce support, ainsi que la démocratisation des moyens de communication, l’émergence des réseaux sociaux, internet, qui a considérablement changé la donne et a fait du manga non plus un média purement national mais global. Si en France, la culture japonaise était déjà très implantée depuis plus de 20 ans (nous étions déjà les deuxièmes consommateurs de manga au monde, après le Japon bien entendu), le continent nord-américain vivait une véritable révolution et rattrapait son retard. C’est dans ce contexte mondialisé qu’est apparu Death Note. Ce n’est pas par hasard, et c’est très important.

 

Death Note

 

OMBRES ET LUMIERES

A l’origine, comme beaucoup de mangas à succès, il y a un concept. Simple, efficace et incontournable : puisant à la fois dans ses traditions shintoïstes, bouddhistes, dans son bestiaire mythologique que dans sa culture de la légende urbaine populaire chez les jeunes japonais (nous sommes en pleine vague de J-Horror à l’époque et tout ou presque est décliné en film à la Ring ou Ju-On), Death Note partait d’un principe évident auquel pourtant personne n’avait jamais pensé : et si un outil nous permettait de tuer à volonté n’importe qui dans le monde et ce, sans jamais se faire soupçonner ?

C’est ce qui arrive à Light Yagami, fils de commissaire, élève surdoué, populaire et imbu de lui-même qui, à son jeune âge, considère déjà la société comme perdue et qui se rêve en grand nettoyeur moral. L’apparition d’un étrange carnet qui lui permet de tuer à distance les noms des personnes qu’il inscrit lui donne enfin la possibilité de concrétiser son projet. Et, pour ne rien gâcher, de devenir un Dieu rédempteur aux yeux des hommes.

 

Photo Death Note Ryukku

Ce qui frappe d’emblée, c’est que Death Note est un récit résolument adulte, bien loin des shônen à la Naruto ou One Piece qui pètent les scores de ventes au même moment. Bien qu’il reprenne de nombreux codes de ce genre, notamment dans ses personnages principaux, Death Note n’oublie jamais à qui il s’adresse : le lecteur à peine adulte, encore rebelle, qui découvre la vie et le monde et ne se sent pas forcément en phase avec ce qui l’entoure. C’est tout le génie du scénariste Tsugumi Ôba (magnifié par les dessins exceptionnels de Takeshi Obata, tout en clair-obscur) que d’avoir su capter l’état d’esprit d’une génération, en avoir intégré les codes pour ensuite bâtir sa propre histoire. Parce que Death Note, au-delà du grand jeu d’échec entre Light Yagami et L (et plus tard Near et Mello), est avant tout un constat terrible de la société japonaise, oppressante, étouffante et dévorée par ses contradictions.

 

Photo Death Note

 

LE JOUR ET LA NUIT

En effet, le monde que nous présente le manga est hautement moral, à cheval entre la tradition patriarcale et la modernité d’une jeune génération qui se rêve libérée de toute contrainte, baignée dans la culture populaire, les fantasmes marketings et une perte certaine de sens. Il n’y a qu’à voir les enquêteurs qui, mis à part le plus jeune d’entre eux, ne comprennent pas ce qu’il se passe, ni quelle est la logique de Kira (alias Light Yagami). Seul un enquêteur de la même génération, L, pourra anticiper ses actions et le combattre. Un fossé qui se creuse donc entre plusieurs générations de japonais et qui remet en question bon nombre d’institutions du pays. En plus de proposer une réflexion évidente sur le Bien et le Mal, Death Note plonge les deux pieds dans le problème de la justice et de la peine de mort. Peut-on punir de mort un individu parce qu’il a commis un crime ? Est-ce seulement légitime ? Et cela ne nous transforme-t-il pas nous-même en criminel, donc potentiellement destiné à la même sentence ? Un espoir morbide, couplé à un système strict et aliénant, perverti par le narcissisme humain ivre de son propre pouvoir car, en soumettant le monde à Kira, c’est avant tout Light qui se perd. Et sa transformation en monstre froid (avant l’explosion finale) est on ne peut plus éloquente et fait figure de véritable note d’intention, équilibré en contrepoint par la personnalité de L qui trouvera une évolution passionnante à travers ses deux successeurs antagonistes, symboles de deux visions du monde mais qui poursuivent le même objectif (mais pas forcément pour les mêmes raisons).

 Adam Wingrad

 

Cependant, le manga ne s’arrête pas là puisqu’il touche aussi à d’autres thèmes plus complexes et épineux, que les années suivantes ont malheureusement rendues encore plus réelles dans toute leur horreur : l’aliénation idéologique et religieuse. Le Japon, comme pas mal de pays, est une terre de traumatismes et la société actuelle s’est bâtie sur les ruines de la précédente dans la douleur. La défaite en 1945, les deux bombes atomiques, des événements qui imprègnent nombre d’œuvres qui nous parviennent de là-bas et qui ont conduit à une certaine radicalisation des élites, héritée d’un passé féodal basé sur un code d’honneur et moral intransigeant. La figure déiste du leader ne doit pas être remise en question, les valeurs anciennes traversent les époques et lorsque l’on voit le rythme et les conséquences de cette société sur sa population, il est évident qu’une recherche idéologique est à l’œuvre et que quiconque propose un concept un minimum séduisant peut y faire son chemin. C’est exactement ce qui se passe avec la figure de Kira, le tueur omnipotent assimilé à un Dieu par une masse désespérée et repliée sur elle-même, autocentrée et narcissique. L’ambition de Light, la mythologie autour de Kira, le regard admiratif de sa compagne Misa Amane, la sujétion volontaire d’une bonne partie du monde, tout cela dénote d’une perte de sens, d’un endoctrinement idéologique qui nous rappelle nos propres contradictions et autres engagements philosophiques. Et le spectre de dérives sectaire comme le drame de la Secte Aum en 1995 (et son attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo) n’est jamais vraiment loin et sert de moteur en toile de fond d’une certaine manière.

 Adam Wingrad

 

Death Note, par son origine asiatique, ne se veut jamais accusateur et cherche avant tout à proposer différents points de vue dans une logique qui n’est pas unilatérale, ni binaire (le Bien contre le Mal, en gros). A travers son récit palpitant, tarabiscoté et parfois un peu trop tortueux (on sent dans la dernière partie de l’histoire que les auteurs commencent à être piégés par ce qu’ils ont eux-mêmes installés), le manga ne fait que nous poser des questions, sans jamais vraiment apporter de réponse. Que ferions-nous dans une telle situation ? L’illusion du pouvoir aurait-elle sur nous les mêmes conséquences que sur Light ? Serions-nous un pro ou un anti Kira ? Vivrions-nous parfaitement en état de dépendance (quasi affective) en compagnie de cette figure vengeresse et paternelle qui répare les torts au prix de nombreuses vies ? Et si une telle chose se produisait, épouserions-nous de notre plein gré, ou sous la contrainte, ce nouveau monde qui ne repose plus que dans les mains d’une personne que nous ne connaissons même pas mais dont le pouvoir de mort le place au-dessus de toutes les institutions et de tous les gouvernements ?

 

 

Affiche officielle

Dans la situation actuelle, ces questions sont plus que d’actualité et elles font énormément réfléchir. On n’ira pas jusqu’à dire que Death Note est à l’origine d’un vrai questionnement de fond, mais il a su capter une inquiétude grandissante, un parfum un peu moisi dans l’air du temps et s‘est permis de le développer et de l’exploiter de bien belle manière. Tout en n’oubliant jamais qu’il doit rester une œuvre passionnante et divertissante, riche en rebondissements, ce qu’il réussit haut la main.

 

On le voit, Death Note est bien plus qu’un simple manga pour ados ou jeunes adultes et se permet de toucher à de vraies questions de société. Si nous avons volontairement fait l’impasse sur l’excellente série animée et sur les adaptations cinéma de cette saga pour nous intéresser un peu plus au fond de l’histoire, nous espérons que ce petit dossier vous aura donné envie de découvrir ou de relire ce monument de la culture moderne. Et puis bon, ce n’est pas comme si vous aviez le choix en fait, Kira n’est jamais très loin…

 

Photo Death Note

 

 

Tout savoir sur Death note

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commentaires
Pseudo
29/08/2017 à 08:17

Écran large vous écrivez beaucoup d'articles merdiques, mais je valide celui là

Gyro
28/08/2017 à 22:27

Le seul Kira que je connais est dans Jojo's Bizarre Adventure :p

Dredd
27/08/2017 à 21:21

Après avoir vu la bouse que Netflix a financée, je me suis retapé tout l'animé dans la nuit. Pinaise ce manga est toujours aussi jouissif que lors de mon premier visionnage il y'a presque 10 ans. Hey les 'ricains foutez le camp au monde merveilleux du manga, vous avez choisis de pervertir vos comics soit, mais laissez la culture japonaise en paix !! Bordel!!

Jojo
27/08/2017 à 09:24

Excellent article ! Death Note est le manga qui m'a le plus marqué ces dernières années avec L'Attaque des Titans.