Série Mania - 6ème saison : Les pays du nord et le polar à l'honneur

Nicolas Thys | 11 mai 2015
Nicolas Thys | 11 mai 2015
La sixième édition de Série Mania se termine, voici venue l'heure du bilan. Le festival, public et professionnel, s'est déroulé au Forum des images du 17 au 26 avril et proposait plus de 50 nouvelles séries et 12 webséries en avant-première française en plus de tables rondes et rencontres en tout genre avec des créateurs, acteurs ou producteurs et distributeurs.
 
Comme l'année précédente, la sélection était découpée en plusieurs parties  : séries américaines, séries anglaises, séries françaises et séries du monde. Et comme toujours, à quelques exceptions près - les marathons -, seuls deux épisodes sont montrés, souvent en avant-première françaises. On ne peut donc pas faire un compte rendu détaillé et précis des séries mais essayer d'évaluer leur potentiel sur la durée.
 
 
On commencera par deux absences. La première est celle de l'animation. Nombreuses sont les séries animées, et même si on en dénombre moins, celles pour des publics adultes existent également, mais jamais elles n'arrivent jusque Série Mania et il est difficile de comprendre pourquoi... La seconde concerne celle particulièrement notable des séries asiatiques à l'exception de la forte présence israélienne - car oui, même très à l'ouest Israël est en Asie. Le Japon ou la Corée du sud, grands créateurs de programmes télévisuels, certes pas toujours de haute qualité mais avec d'importantes exceptions, n'ont eu droit à aucune projection alors qu'elles étaient au rendez-vous la saison passée. Autre manque, celle des séries hispaniques, à l'exception de La Casa, une jolie réussite venue d'Argentine qui représentait à elle seule tout le continent latino-américain. Idem pour l'Afrique qui est malheureusement le grand absent de la plupart des festivals de produits audio-visuels. Est-ce à dire que les productions récentes de ces parties du globe sont mauvaises ? Qu'ils n'ont pas pu/voulu participer ? Ou qu'à favoriser dans la programmation, par exemple, un très grand nombre de séries US et britanniques (23 au total) alors que certaines n'étaient guère enthousiasmantes, on finit par devoir omettre certains territoires ? Difficile à dire mais une chose est certaine : un festival de ce genre, surtout gratuit, ne peut se faire qu'à l'aide de partenariats solides, notamment des chaines de télévision et des groupes comme OCS, Canal + ou les chaînes US seraient difficilement présents sans une diffusion massive de leurs programmes, aussi bons ou mauvais soient-ils. Dommage...
 
 
 

Du côté du Nord : du polar et du bon.

 
Heureusement les bonnes surprises étaient au rendez-vous, et notamment celles venues du grand Nord. Les pays en forte présence cette années étaient les scandinaves avec 6 séries d'Islande (The Cliff - Depth of darkness), du Danemark (Follow the money), de Finlande (Tellus), de Suède (Jordskott et Blue eyes) ou de Norvège (Occupied). Autre constant, qu'on observe également dans ces six nouvelles séries : le retour en force de programmes de qualité liés aux genres espionnage, polar et thriller. Mais le plus passionnant dans ces dernières séries c'est, qu'à la manière du roman policier nordique depuis une quinzaine d'années maintenant, elles renouvellent ce qu'on pouvait penser figé dans un bloc immuable. Les séries policières obéissent généralement à des schémas narratifs assez précis avec criminels, enquêtes et coupables. Ici c'est souvent un peu plus compliqué car le genre s'entremêle avec d'autres de manière assez innovantes et on y retrouve de fortes problématiques économiques, politiques, écologiques ou fantastiques.
 
Seule exception : The Cliff qui ne s'écarte pas du tout du genrre. Ceux qui auront déjà lu des polars islandais en retrouveront quelques unes des caractéristiques dans cette mini série en quatre épisodes achetée par Arte. La figure de l'inspecteur est au centre d'un récit où le psychologique s'insère si étroitement dans l'action qu'on a l'impression de naviguer dans l'enquête entouré des tourments du protagoniste. Le sordide le plus absolu côtoie l'intime dans des paysages magnifiques et gris. Si ceux-ci sont parfaitement mis en valeur, on a parfois l'impression par moment que la série doit aussi servir de tremplin à une industrie touristique pourtant à son maximum. Seul petit problème : la densité du récit est telle qu'on peut se demander si à force de multiplier les sous intrigues, on va finir par avoir une conclusion efficace en seulement deux épisodes.
 
 
Les autres séries, quant à elles, lorgnent vers d'autres genres. Pour les amateurs de films indépendants, Tellus est peut-être celle qui aura le plus un air de déjà vu en abordant le thème de l'éco-terrorisme puisque ces deux dernières années, au cinéma, The East de Zal Batmanglij avec Ellen Page et Brit Marling puis Night moves de Kelly Reichardt avec Dakota Fanning et Jesse Eisenberg ont déjà abordé ce point. La nouveauté réside ici dans la dimension policière plus importante que dans ces deux films et dans l'analyse des différents réseaux d'associations écologistes ainsi que leur comportement face aux cas les plus radicaux. Mieux vaut faire abstraction du générique assez kitsch et se focaliser sur la suite. Tellus commence sur un attentat et un mort non prévu, ce qui place le groupe au centre d'une traque importante autour de laquelle se tisse des relations assez intéressantes. On appréciera le fait que la série ne semble pas prendre partie pour les uns ou les autres tout et se concentre sur le bon déroulement de l'histoire. Les paysages sont beaux et la réalisation efficace.
 
 
Plus intéressante, Jordskott. Cette série suédoise en 10 épisodes aura vu le jour en partie grâce aux rendez-vous professionnels de Série Mania. Le créateur affirmait lors de sa présentation que le troisième épisode offrirait un tournant assez surprenant. Malheureusement seuls les deux premiers ont été montrés et si elle a été diffusée dans son intégralité en Suède, il est difficile de voir le reste pour le moment. On peut toujours imaginer plus ou moins l'ambiance dans laquelle on va être plongé. La série s'ouvre comme un polar autour d'un retour aux sources. L'héroïne, dont la fille a disparu plusieurs années auparavant sans laisser de traces, doit retourner dans le village du drame car son père, avec qui elle avait rompu tout contact, vient de mourir. Au même moment, un petit garçon est lui aussi kidnappé sans que nul ne voit quoi que ce soit se produire. L'enquête policière se double de considérations mystérieuses voire mystiques et elle place bientôt le spectateur dans un univers dont les références lynchéennes sont évidentes, peut-être trop. A l'image de la protagoniste, on ne sait pas trop ce qui se passe, les intrigues se développent et prolongent leur part de fantastique. En tout cas, on aurait bien envie de voir la suite...
 
 
Cependant, les meilleures séries restent les trois autres. 
 
Follow the money est danoise et est réalisée par Per Fly dont certains auront peut-être vu la trilogie : The Bench, Inheritance et Manslaughter, réflexions psychologiques et cinématographiques passionnantes autours des trois principales classes sociales. La thématique économique qui parcourt la série était donc parfaite pour le cinéaste qui reprend ici ses principaux centres d'intérêts en les réadaptant au monde contemporain de l'entreprise. On se trouve au cœur d'un double jeu entre l'envie d'une jeune avocate fiscaliste ambitieuse de monter en grade dans son entreprise quitte à éjecter tout ceux qui lui barrent la route, et l'enquête menée autour de cette même société par deux inspecteurs aux méthodes radicalement différentes. Le premier obéit aux règles et se spécialise dans les opérations financières frauduleuses aux démarches aussi longues que laborieuses, le second lutte contre la dimension inhumaine d'une entreprise qui emploie des ouvriers étrangers dans des conditions déplorables et barbares. Les enquêteurs représentent ces classes moyennes passives et spectatrices car les plus hauts placés les empêche généralement d'avancer pendant qu'ils se démènent pour aider des plus pauvres quasiment mis en esclavage par les puissants soumis aux dommages collatéraux des opérations monstrueuses qu'ils ont mises en places. La série montre un monde torturé et tortueux, soumis aux dictat de la finance et du capitalisme sauvage et pris dans un engrenage sans fin et qui ne peut conduire qu'au pire...
 
 
Retour en Suède ensuite avec Blue eyes qui, quant à elle, même habilement feuilleton politique et policier avec la disparition inquiétante d'une femme travaillant dans un cabinet ministérielle à la veille d'importantes élections et sur laquelle ira enquêter sa remplaçante. Cette histoire, qui débute fort mais dont on ne sait pas encore vraiment où elle va nous mener, n'est que l'une de celles qu'on trouve dans les deux premiers épisodes qui semblent lancer une intrigue aux ramifications multiples. Parmi les autres thèmes :  la montée en puissance d'un front d'extrême droite dans une petite ville et la vie de cette famille dont une mère milite alors que son fils, jeune adulte, ne le supporte pas, et les débuts d'un commando, dont on ne sait pas encore qui le dirige, et qui veut punir des criminels relâchés car il pense que la justice n'est jamais assez bien rendue. Ces histoires, qui pourraient sembler assez lourdes, sont habilement montées et écrites en évitant au maximum le manichéisme. Si le politique en lui-même semble complètement perdu et corrompu dans des histoires louches, comme s'il n'y avait rien à sauver d'un pouvoir devenu incontrôlable, les individus eux restent humains, bons et mauvais. Blue eyes évite donc de caricaturer les personnages et de trop les associer à ce pouvoir. Chaque être mène alors deux vies : une liée à une société qui les dirige et les manipule bien plus qu'ils n'y arrivent eux-mêmes, et une intime dans laquelle ils se retrouvent face à leur complexité.
 
 
 
Enfin, on a pu voir les quatre premiers épisodes d'une série Norvégienne d'anticipation et coproduite par Arte, Occupied. Ecrite par Jo Nesbø, l'un des maitres du roman policier actuel, elle est pourtant bien plus liée au thriller qu'au polar en tant que tel. La police est certes présente mais les enquêtes sont mise de côté. On assiste ici à l'invasion de la Norvège par la Russie, avec l'accord de toute la communauté européenne, pour des questions énergétiques. En effet, la Norvège est désireuse de stopper la production pétrolière dans ses territoires maritimes, ce que les autres pays voient d'un mauvais œil. D'où une l'invasion passive des russes qui vont et viennent partout mais sans prendre du tout le pouvoir ni contrôler les institutions. Et la grande question de la série : comment réagir face à ce type d'occupation ? Résister et lutter, ou ne pas s'en préoccuper vu qu'on les voit à peine. On observe peu à peu les individus changer de caractère et prendre position puis lutter chacun pour leurs idées. L'ensemble est fluide, intense et suit de nombreux personnages différents. On a juste hâte de voir la suite maintenant.
 
 
 

Le reste du monde : quelques belles surprises et autant de déceptions

 
De cette édition de Série Mania, on ne retiendra guère de séries américaines. Wayward Pines, produite par M. Night Shyamalan, ressemble à une réadaptation de son Village avec des airs de Twin Peaks et du Prisonnier mais les influences sont si fortes que l'impression de déjà vu est la seule qui reste. Après le premier épisode, on a l'impression d'un mic-mac tortueux où se mêle tout et n'importe quoi au niveau des temporalités et des espaces sans qu'on voit vraiment émerger le bout. Niveau présentation des personnages, d'un monde et d'une intrigue, on a vu mieux... C'est un peu le même topo pour Mozart in the jungle, série coproduite par Jason Schwartzman Roman Coppola and co. avec Gabriel Garcia Bernal et Malcolm McDowell. Les acteurs sont excellents, le premier épisode laisse augurer le meilleur, mais ça s'essouffle bien vite une fois la surprise passée. On en a vu trois, pas sûr qu'on ait envie d'en voir davantage. 
 
Mais le pire était encore ailleurs. On en avait peur, on avait du temps à perdre, alors on a vu Powers, une série de super héros (encore...) made in Amazon ! C'est mal écrit, avec des dialogues horripilants et totalement naïfs tout juste bons à être gobés par des geeks ayant brûlé leurs neurone ailleurs ou qui, en mangeant trop de chips, n'entendrait pas les nullités débitées à tout bout de champ. Niveau réalisation c'est bidon et l'ensemble est une caricature absolue, le bas de gamme du bas de gamme du super héros.
 
 
Deux autres shows viennent heureusement en contrepoint. On commence par l'émouvante American crime. Cette série chorale montre les répercussions d'un meurtre sur tous les gens impliqués de près où de loin dans la vie du mort : parents, beaux-parents, policiers, assassins ou complices, voisins et autres personnes. On navigue ici dans l'intime le plus profond et dans les révélations les plus fortes d'un point de vue personnel et sentimental. On ne sait pas comment ça va tenir sur la durée mais les deux premiers épisodes manifestent un réel talent de scénariste. L'autre est une mini-série en 4 épisodes : Olive Kitteridge, soit la vie d'une femme  et de ses proches sur près de 25 ans avec des ellipses entre chaque épisode. Ceux-ci forment des blocs temporels solides, s'étirant sur quelques semaines ou même deux jours. Après un premier épisode éblouissant, les autres faiblissent un peu mais l'ensemble reste cohérent et visuellement magnifique. La série laisse la vie s'écouler dans le cour d'un long fleuve tranquille. Il ne se passe certes quasiment rien, juste le quotidien, mais on est rapidement pris dans cet engrenage et on a du mal à le lâcher. La faute aux acteurs, tous éblouissants, notamment Frances McDormand, souvent excellente mais ici juste parfaite. A noter une apparition de Bill Murray dans un rôle qui lui sied comme un gant.
 
 
Nous n'avons pas pu voir d'autres séries made in US mais d'autres venues des terres de Navarro et de Derrick qui ont étrangement révélé de très bonnes surprises. La première est donc française et elle est même diffusée en ce moment sur France 2. Il s'agit de Disparue, série en 8 épisodes pas comique pour un sou malgré son casting réunissant François-Xavier Demaison, Alix Poisson et Pef. Il s'agit d'une enquête sur la disparition d'une adolescente à Lyon pendant la fête de la musique et de l'angoisse de son entourage, qui cache souvent tous des secrets assez lourds. On est très loin des séries habituelles des chaines non-cryptées et on sent que les moyens accordés à la réalisation ont été à la hauteur. Les plans sur Lyon sont magnifiques et la cité des gaules est tellement télégénique qu'on se demande pourquoi on ne vient pas plus souvent y tourner. Le scénario tient, pour le moment, le coup et l'idée de ne pas dépasser les huit épisodes est excellente. En outre, les acteurs sont tous parfaitement crédibles alors qu'on les utilise à contre emploi. Que demander de plus ? Un rythme efficace, une écriture cohérente, des enquêtes solides. On a tout ça aussi.
 
 
 
 
Celle venue d'Allemagne reste dans le genre dominant de Série Mania mais en bifurquant légèrement. Avec Deutschland 83, nous ne sommes plus dans le polar mais dans l'espionnage : en pleine guerre froide, alors que Reagan est au pouvoir aux États-Unis, un lieutenant de la Stasi est choisi pour passer d'Allemagne de l'est à l'ouest et espionner une caserne militaire à propos de possibles missiles qui vont être installés à proximité. Pour ceux qui s'inquiète des séries allemandes comme on peut s'inquiéter des séries françaises, on peut remballer tous les clichés. On est très loin des images sales et jaunies des années 70 à 90 de même qu'on quitte les héros lourdauds et sans intérêt de ces mêmes feuilletons interminablement longs et dont on a droit à des rediffusions à l'heure de la sieste. Cette série est une fois encore passionnante, croisant histoire personnelle et histoire politique, avec des personnages à la fois fragiles et fortes et auxquels on s'attache sans difficulté. De surcroit, la réalisation est efficace dans sa simplicité, les genres se mêlent agréablement bien entre des moments comiques, des séquences de fortes tension et d'autres plus mélo et on appréciera le détail et la minutie extrême apportée aux décors et aux accessoires. En somme, encore une série à voir.
 
 
Ce qu'on retiendra de cette édition de série mania, c'est d'un côté la bonne santé des séries policières et de l'autre un vent nouveau venu du Nord et qu'il faudra suivre de près. Les polars ont toujours eu la côte auprès d'un large public, et c'est une valeur sure des chaines de télévision, tous pays confondus. On pouvait avoir peur que le genre, après avoir déjà été mille fois utilisés, ne parviennent plus à suivre et n'offre guère que des variations sur des thèmes ancestraux et ennuyeux. Finalement, pas du tout, c'est bien le contraire qui s'affiche avec un renouvellement à la fois thématique et parfois aussi esthétique audacieux et appréciable. Le fait qu'il vienne d'abord de pays qui disposent d'une littérature aussi riche dans ce genre là n'est pas un hasard. On y retournera l'année prochaine !
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commentaires
Louig
11/05/2015 à 11:33

En parlant de série, et puisque vous devez regarder OCS, vous pourriez un peu parler de turn, sillicon valley ou transparent entre deux spoils sur GoT diffusé dans la nuit (tiens pas aujourd'hui d'ailleurs ;o)