Girls : 13 raisons d'aimer et détester le phénomène

Geoffrey Crété | 11 février 2014
Geoffrey Crété | 11 février 2014

Incontournable, insupportable, irrésistible, le phénomène Girls a englouti la planète séries, entre les raz-de-marée Game of Thrones et Scandal - du cul, du soap, du buzz. Adoubée par Judd Apatow, érigée en féministe moderne, célébrée comme artiste, Lena Dunham, corps et cerveau de la série HBO, s'est attirée en l'espace de deux ans les foudres des uns et les louanges des autres. A mi-chemin de la troisième saison, bilan d'un phénomène qu'on déteste aimer, et vice-versa.

   

Bien : c'est Lena Dunham aux commandes

Elle n'a pas encore 28 ans et a signé une série, un film, une foule de courts-métrages et scénarios, en plus de remporter deux Golden Globes - meilleure série et meilleure actrice. Moins tête-à-claque mais aussi hipster que Xavier Dolan, Lena Dunham, fille d'une artiste et d'un peintre new-yorkais, arrive sur la scène indé en 2010 avec Tiny Furniture, un film qu'elle réalise, écrit et interprète, où elle raconte ses états d'âme d'adulescente paumée. En 2012, elle trouve chez HBO un territoire idyllique pour développer Girls, vendue comme un Sex & The City plus trash et moins rudimentaire. Car avec sa silhouette proche d'un John Waters, sa propension à user et abuser du vocabulaire Youporn et ses héroïnes déglinguées, Lena Dunham n'y va pas par quatre chemins.

Pas bien : c'est Lena Dunham le sujet

Créatrice, productrice, réalisatrice, scénariste, star, personnage principal, mais aussi auteur d'une autobiographie, twitteuse populaire, figure féministe et égérie branchouille : la superstar Lena Dunham n'a peur de rien. Malgré son discours très rationnel sur ses peurs et ambitions, elle n'aura pas mis deux ans à monopoliser l'attention. A l'écran, la série, très centrée sur Hannah, son personnage, a forgé un curieux lien entre sa réalité et la fiction, si bien que la frontière s'est embrumée au fil des épisodes. Dunham a donc mis en scène ses TOC, y filme sa meilleure amie dans le rôle de sa meilleure amie, et utilise la caméra comme une arme braquée sur son corps anormal selon la dictature hollywoodienne. La démarche est admirable, mais la formule, narcissique, pourra sembler limitée.

 

 

Bien : c'est cru

Gageons que le phénomène est né dans un premier temps de l'étiquette hard entretenue par une série rentre-dedans, qui n'épargne aucun détail de la sexualité - la finesse de la levrette, la géolocalisation de l'éjaculation, entre autres problématiques triviales. Mais au-delà de ringardiser la Samantha de Sex & The City pour rappeler que le cul n'est pas réservé qu'aux plus audacieuses, Lena Dunham a braqué sur le monde ses petits seins et ses bourrelets dans une offensive historique, dirigée contre la production mainstream. Non, la comédienne n'est pas une race nourrie aux légumes vapeur. Non, une héroïne n'est pas toujours un oisillon à la Ally McBeal. Oui, son corps loin des couvertures de Playboy n'a rien de monstrueux, et sera filmé comme les autres. Qu'on aime ou pas, Girls a changé la donne, pour le meilleur.

Pas bien : c'est cru, et après ?

« Je ne comprends pas le sens de toute la nudité dans la série. Particulièrement la vôtre ». Lors d'un panel de discussion le mois dernier, la question d'un journaliste, au moins aussi directe que la série, a offensé Judd Apatow, la productrice Jenni Konner et Lena Dunham, qui a rétorqué : « C'est une expression réaliste de ce que signifie être en vie, je pense. Si je ne vous plais pas, c'est votre problème ». Mal lui en a pris de questionner l'identité de Girls, qui semble désormais inséparable de son approche crue des corps et des sexes. Après trois saisons, la série a comme prévu banalisé la chose, mais risque désormais de se résumer aux errances socio-sexuelles d'une bande de gens centrés sur leur nombril. Pas désagréable, mais probablement très dispensable sur le moyen terme.

 

 

Bien : ça ne s'embarrasse pas de tous les codes de la série

Parce qu'elle a une courte carrière, une envie de repousser quelques limites, une chaîne friande de buzz derrière elle ainsi qu'un Apatow censé être novateur, Lena Dunham s'est vue pousser des ailes. Girls s'est affranchie de quelques uns des pires travers de la série à succès, livrée avec un mode d'emploi en voix-off, une lourde machinerie scénaristique, ou encore une structure artificielle qui donne une cohérence à chaque chose. Girls n'a rien d'un conte de fées, et Carrie Bradshaw peut remballer ses chroniques en voix off à la mords-moi-le-nœud, conclusion réconfortante de chaque épisode.

Pas bien : ça souffre d'un manque de rigueur

En conséquence, Girls est bancal. Arrivée à la troisième saison, la série se cherche encore, et la ligne de défense "comme ses héroïnes" n'a aucune valeur vu la place qu'elle occupe sur le marché. L'épisode avec Patrick Wilson la saison passée a par exemple marqué une limite gênante où Girls s'est perdu dans une lubie, très nuisible à une saison composée de dix épisodes. Il faudra en plus subir les aléas d'une narration incapable de porter une réelle attention à ses seconds rôles, ballottés de manière arbitraire selon les envies et événements, parfois relégués à une scène inutile après un épisode primordial pour leur évolution. Pour preuve : la disparition de Charlie cette saison, alors que sa relation avec Marnie a été relancée de plus belle en fin de saison 2, pourrait presque sembler normale dans le chaos qui règne, alors qu'en réalité c'est le comédien Christopher Abbott qui a décidé de quitter la série. Arrivée au cap de la troisième saison, avec une trentaine d'épisodes en stock, Girls va devoir définir son identité, ou prendre le risque de sombrer dans un simple portrait morose.

 

 

 

Bien : ça a un goût de ciné indé

Pour l'initié, difficile de retrouver le parfum de cinéma indépendant à la télévision. Girls en sera donc l'une des meilleures manifestations. Tour à tour drôle et brutale, superficielle et intellectuelle, la série a créé son propre univers, d'une douce étrangeté. La série ne dépense pas son énergie à revendiquer une quelconque originalité ou poésie, formelle ou thématique, ce qui lui confère un charme certain.

Pas bien : ça en a aussi l'arrière-goût

L'initié reconnaîtra la couleur du ciné indé à mille lieues à la ronde. Car Girls filme des personnages égocentriques, bavards ou bizarres en toute occasion, avec une vision très théorique de la vie et du travail. Il y a aussi des discussions insensées sur le monde, des seconds rôles azimutés, de la drogue banalisée, des questionnements sur l'existence, et un attachement à l'art sous toutes ses formes. En digne membre de la génération Y, convaincue que chaque débilité à la mode révèle quelque chose de profond sur la nature humaine, Lena Dunham mobilise en quasi temps réel l'univers qui l'entoure, et parle des célébrités, de Youtube et Grindr. Une manière de s'ancrer dans le réel et s'adresser au spectateur, mais aussi de se perdre dans le futile.

 

 

 

Bien : ça ne ménage personne

En cette troisième saison, Lena Dunham ne ménage pas son personnage. En couple stable avec Adam, en plein travail sur son livre, Hannah se révèle être d'un égocentrisme imparable, d'une hypocrisie monumentale et d'une immaturité fabuleuse en six épisodes. En plus de filmer son corps comme celui d'une autre, Dunham s'en balance beaucoup dans la tronche, et a forgé un beau personnage rare. Autour d'elle, c'est moins spectaculaire mais entre la pétasse hautaine, le moulin à paroles aigüe à la limite des ultra-sons et l'épave hippie, Girls n'épargne aucun cliché.

Pas bien : ça irrite vite

C'est le syndrome True Blood : à force de personnages tête-à-claque, conçus pour désobéir aux clichés bienveillants, Girls crispe les muscles. Comme Sookie en son temps, Hannah, Marnie, Shoshanna et Jessa donnent parfois des envies de meurtres pour quiconque n'accepte pas le concept de la série.

 

  

Bien : ça décape le féminisme

Trop associé aux rombières, lesbiennes et toute forme de misandrie, le féminisme a trouvé en Lena Dunham une représentante cool, qui n'a pas peur d'assumer son allure et ses convictions, et revendique son désir de mettre un coup dans la fourmilière hollywoodienne, obsédée par la taille mannequin. Aucun risque, a priori, de la voir fondre comme une Jennifer Hudson ou une Christina Ricci au fil des années et succès, donc. La voir associée à Judd Apatow, qui frôle parfois le sexisme, et l'entendre défendre ses personnages masculins aide aussi à ne pas la résumer à un mauvais cliché.

Pas bien : ça se cache un peu derrière le féminisme

Lorsque le malheureux journaliste américain a osé questionner la nudité de Girls, Judd Apatow s'est armé du nouveau point Godwin : le sexisme. « Relisez votre question, et vous comprendrez ». Mais si problème il y a, il n'est pas du côté des médias non conquis par Girls. La carcasse féministe de la série, belle et remarquable dans le paysage télévisuel contemporain, n'empêche pas de cerner les imperfections et hésitations d'une création qui, dans l'absolu, n'a pas de quoi illuminer l'histoire des séries. Il incombe aussi à Lena Dunham, qui avoue ne pas recevoir d'offres de l'extérieur, de ne pas se laisser bouffer par son rôle de boulotte - pensée pour Gabourey Sidibe, qui décroche tous les rôles calibrés. Et surtout ne pas subir les étiquettes apposées sur son corps par le système qu'elle attaque.

 

 

Bien et pas bien : c'est un phénomène

Qu'on le veuille ou non, qu'on la vomisse ou la vénère, Lena Dunham a marqué la deuxième décennie du nouveau millénaire, et semble partie pour maintenir sa place encore quelques années - Girls connaîtra cinq ou six saisons. Après les bides pitoyables de Cashmere Mafia et Lipstick Jungle, parmi d'autres catastrophes industrielles calquées sur le modèle Sex & The City, la série a au moins le mérite de redresser la barre d'un genre, sans salir le sexe féminin et le réduire à une espèce de poupées uniformisées.

Face aux increvables Jennifer Aniston et Katherine Heigl, devenues les déesses d'une industrie de rom-com nauséabondes, la chef d'orchestre de 27 ans mérite d'être accueillie comme un miracle, indépendamment des sentiments suscités par son personnage de new-yorkaise perchée. Le temps déterminera la valeur de Lena Dunham et la postérité de Girls, mais il semble limpide qu'elle n'a pas volé une place jusque là niée par le système. Le moment idéal pour citer Hannah/Lena, qui balance dans le premier épisode avec des yeux de merlan frit : « Je pense être LA voix de ma génération. Ou du moins... une voix, d'une génération ». A une époque où la comédie TV se résume aux sitcoms préfabriquées et ses rires en boîtes, c'est suffisant pour tenir la route.

 

 

 

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