Deadwood - Saison 1

Sandy Gillet | 23 février 2006
Sandy Gillet | 23 février 2006

Une putain de série. C'est bien le premier qualificatif qui nous vient à l'esprit quand on referme cette première saison, qui propulse d'entrée de jeu Deadwood dans un peloton de tête de la production télévisuelle américaine actuelle aux côtés de Six Feet Under, Les Soprano, Nip/Tuck et autres Desperate Housewives. C'est dire si cette nouvelle création du dorénavant mythique David Milch (Les Rues de San Francisco, NYPD Blue, rien que cela…) frappe fort et juste, ou comment il est encore possible aujourd'hui de revisiter le mythe de l'Ouest américain et de sublimer les codes majeurs d'un genre qui renaît de ses cendres au cinéma de temps à autre. Dès lors, dire que Deadwood renoue avec la flamboyance d'un certain western classique visible dans les années 1950, quand les Ford, Hawks ou Mann donnaient leurs lettres de noblesse au genre ne serait pas faux, mais pas complètement vrai non plus. Car Deadwood, c'est aussi la vision d'un monde en devenir, d'une société en quête de la célèbre « Frontière », non pour en être l'un des derniers témoins à l'instar du lieutenant John Dunbar dans Danse avec les loups, mais bien pour être le véritable artisan de sa disparition.

 

 


1876, la guerre de Sécession vient de se terminer, laissant le nouveau monde exsangue. Commence alors la plus grande ruée vers l'or que connaîtra le pays à la suite de la découverte en 1864 par le général Custer de filons dans les Black Hills. Elle resta secrète pendant dix ans, car le gouvernement américain ne voulait pas d'un exode au sein de territoires sacrés et attribués par traité aux Indiens, mais celui-ci change son fusil d'épaule devant l'état de l'économie, au risque d'un conflit ouvert avec certaines tribus comme les Sioux ou les Cheyennes. Sous la conduite de leurs chefs Sitting Bull, Crazy Horse et Red Cloud, ceux-ci ont d'ailleurs bien tenté de résister, voire de refouler les intrus. Le plus célèbre des affrontements étant sans conteste le « Custer's Last Stand » qui vit le massacre du général Custer et de ses 250 soldats à Little Big Horn. C'est exactement une semaine après ce dernier grand fait d'arme du peuple amérindien que Deadwood commence.

 

 

 


Deadwood n'est rien d'autre que la plus célèbre des villes minières qui poussèrent à l'époque comme des champignons dans la région. Celle-ci n'a pas deux mois d'existence que grouillent déjà en son sein plus de dix milles personnes aussi avides de faire fortune que prêtes à tout pour y arriver. Il s'agit d'un endroit où la justice et les lois du gouvernement de l'Union ne sévissent pas encore, et où donc tout est encore permis, du moment que l'on sache manier du colt. David Milch et ses scénaristes se sont donc appuyés sur ces faits historiquement exacts pour développer une sorte de série en forme de docu-fiction, puisque s'y croisent personnages historiques (Wild Bill Hickock, Calamity Jane...pour ne citer que les plus emblématiques) et figures composites inspirées de personnes qui ont réellement existé. C'est ainsi que l'on fait connaissance avec Seth Bullock, ex-shérif dans une ville du Montana, et son acolyte Sol Star, tous deux en partance à Deadwood, non pour l'or, mais pour y ouvrir une quincaillerie et profiter justement du boom économique de la région. Leur arrivée à Deadwood, dès le premier épisode, sera le prétexte pour nous faire découvrir les « notables » déjà en place, à commencer par Al Swearengen (joué par un certain Ian McShane, acteur essentiellement de télévision et quasi inconnu du grand public chez nous, mais dont le talent crève l'écran au détour de chaque plan), un homme au passé trouble qui, avec son saloon, contrôle de fait une ville déjà en perdition.

 

 

 


À la véracité des personnages et du contexte historique vient ensuite s'ajouter un facteur réellement nouveau ici : le langage. On ne compte plus les déclinaisons de phrases commençant ou se terminant par des « fuck », les « cocksuckers » en veux-tu, en voilà ( mot qui veut dire, grosso modo, enculé. C'est fou comme la langue anglaise est pleine d'associations subtiles de mots pour dire la même chose), et autres petites attentions de ce genre envers les censeurs américains qui ont dû littéralement tomber dans les pommes au sortir du générique de l'épisode pilote. Comme aime à le répéter David Milch à qui veut l'entendre, Deadwood tord définitivement le cou au Code Hays. Ce fameux code qui obligea le cinéma américain de l'entre-deux-guerres à se soumettre à une censure morale des plus strictes, obligeant de fait Hollywood à donner une image plus lisse de cette période, jusqu'à donc en oblitérer l'aspect outrancier et ultra ordurier du langage. Celui-ci n'étant en fait qu'une façon pour tout un chacun de s'imposer dans un environnement sans concession. Paradoxalement, on a donc l'impression de voir une déclinaison des Soprano au Far West, alors que la vérité est plutôt dans le chemin inverse. Tony Soprano étant, à sa manière, l'héritier direct d'Al Swearengen, quand il affirme être le boss ne justifiant sa position que par le simple fait d'y être.

 

 

 


Si le couple véracité historique fascinante et fiction habilement intégrée est le squelette de la réussite de Deadwood, l'on pourrait encore décliner à l'envi les multiples facettes de cette série, tant sa richesse d'écriture, qui semble infinie, irradie l'ensemble d'une première saison au premier rang duquel se dresse une palette de personnages bénéficiant d'un traitement d'une rare complexité. Si voir Deadwood est essentiel pour qui veut prolonger encore une fois le plaisir de se plonger dans un bon vieux western, elle est aussi incontournable pour appréhender le travail de synthèse d'un genre qui semble définitivement arrivé à un degré de maturité sans précédent. Oui, putain de série !

 

 

 

 

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