Tokyo Ghoul : un des meilleurs animes de ces dix dernières années ?

Camille Vignes | 25 mai 2021 - MAJ : 25/05/2021 22:15
Camille Vignes | 25 mai 2021 - MAJ : 25/05/2021 22:15

À mi-chemin entre l’anime de zombies et celui de vampires, il était temps de faire un petit détour du côté de Tokyo Ghoul, oeuvre géniale d'une violence inouïe. 

Tokyo Ghoul pourrait n’être qu’une nouvelle incartade des arts visuels dans une écurie monstrueuse déjà pleine à craquer. Mais c’est une incartade pour le moins singulière (on vous parle du manga ici).

Créé en 2011 par le mangaka Sui Ishida et d’abord édité dans les pages du Weekly Young Jump, l’œuvre a commencé par recevoir un prix d’excellence (durant la 113e compétition de Grand Prix du Young Jump) avec son pilote Tokyo Ghoul Rize, avant d’être adapté en anime à partir de 2014. Un anime d’une violence visuelle et psychologique rare, qui sonde l’humanité avec panache. 

 

photoUn nectar dont il faut se délecter 

 

GOULEMENT ORIGINAL

Il existe tellement d’œuvres qui s’accrochent à la mécanique du monstre pour explorer les tréfonds humains. Sérieuse, inattendue, étranges, comique, plaisir coupable, délirante, parodique... la pop culture (a fortiori le 7e art et le petit écran) a donné bien des formes à l’altérité monstrueuse, des formes qui n’ont pas de genres, et pas de public de prédilection (du symbiote de Venom à la Transylvanie de Dracula, il y a un chemin surpeuplé).

Vampires, zombies, fantômes, démons, extraterrestres, humanoïdes, créations scientifiques… rien qu’avec les deux premiers, on pourrait aborder au bas mot une centaine d’œuvres. Impossible donc de rendre hommage ici à toutes ces figures qui peuplent le paysage cinématographique. Et la raison est simple : le monstre est une manne sans pareil de questionnements possibles sur ce qu’est la nature humaine, sur les raisons qui nous font nous reconnaître en tant qu’humain, ou reconnaître l’autre en tant qu’être profondément différent.

 

photoEn pleine préparation de camouflage humain

 

Et même si les monstres de Tokyo Ghoul s’y apparentent, exit les connus et reconnus vampires et zombies. Tokyo Ghoul s’extirpe dès le départ des poncifs du genre, car, bien qu’ayant besoin de se repaître des humains pour survivre, les goules n’appartiennent pas franchement au genre des morts-vivants. Issues du folklore arabe, il s’agit plus d’une espèce à part entière qui n’a rien à voir avec une infection biologique quelconque ou la damnation d’une âme, et qui appartiendrait à la famille des démons, au même titre que les sirènes, séduisantes créatures qui charment pour tuer et se nourrir.

En réalité, le seul point commun qu’entretiennent zombies et goules, c’est leur nourriture. Il n’est jamais question de créatures décérébrées asservies par leur besoin de grignoter de la chaire ni d’une épidémie à grande échelle où la race humaine essaierait tant bien que mal de survivre malgré son infériorité numérique. Les goules apparaissent dans la capitale japonaise peu nombreuses, organisées en groupe (armé) dans tous ses quartiers, avec une volonté propre, une intelligence et une capacité à se fondre parmi le commun des mortels à la manière des vampires. Sui Ishida s’est d’ailleurs permis une petite originalité avec ses goules en leur ajoutant un organe rétractable, rouge comme sang, flexible comme l’eau, ferme, robuste, sorte de muscle liquide mortel, le kagune, et une capacité de régénération hors du commun.

 

photoJolie goule bienheureuse 

 

L’HUMAIN TAPI DANS L’OMBRE

Le monstre est différent donc. Sa mécanique d’introduction, elle, est tragique. Sans préambule (ou presque), Ken Kaneki, jeune étudiant timide et naïf plongé dans les livres, est mortellement blessé par une goule un peu sadique, Lize, qui avait décidé de faire de lui son quatre heures. Dans l’équation, Lize meurt et Ken se réveille dans la peau d’une créature hybride, humain devenu goule borgne après la greffe du kagune de Lize.

La suite, vous la connaissez : dégoût de soi, de sa nature nouvellement assoiffée de chair humaine, quête d’identité et de réconciliation entre goules et humanité. En fait, c’est dans son traitement purement violent, dans la route façonnée par le sang, la souffrance et la mort, dans les points de vue qu’il adopte et dans sa facilité à naviguer parmi les monstres que Tokyo Ghoul est purement génial.

 

photoIl se trouve pas beau le cyclope ? 

 

Car l’anime ne s’arrête pas avec ce premier contre-pied — celui de prendre pour personnage principal un être mi-homme mi-monstre — il va surtout se nourrir de cette nature ambivalente pour alterner les points de vue. D’abord celle d’un homme-goule parmi les goules, tentant d’apprivoiser sa nouvelle nature (Tokyo Ghoul) ; ensuite celui d’une goule (Tokyo Ghoul √A), puis celui des hommes (Tokyo Ghoul:Re), et enfin des goules à nouveau (Tokyo Ghoul:re seconde saison). Une pluralité de discours qui n’a qu’un but : essayer de savoir ce qui fait l’être humain et ce qui fait le monstre ; trouver où se cache la limite, si tant est qu’elle existe.

Pour les hommes, la réponse est simple : les goules se nourrissent de chair humaine, de chaires fraîches, crues, directement arrachées des os. “Dis-moi comment tu manges, je te dirais qui tu es” : les goules n’ont ni cérémonial, ni préparation, ni même aucune cuisson dans leur façon de manger. Elles n’ont aucune culture culinaire. Pourquoi diable les goules auraient donc une culture tout court, elles qui ressemblent plus à un vulgaire animal carnivore qu’à un homme ? Et, puisqu’elles menacent les hommes, pourquoi devraient-elles vivre ?

De ce constat diablement spéciste et anthropocentré, faisant se toiser nature et culture, toutes les violences humaines à l’adresse des goules peuvent naître et être justifiées, même les plus absurdes d’entre elles. C’est là que les frontières se fondent. Quel que soit son visage, la guerre n’a rien de civilisé. Or des guerres, il va y en avoir (on y reviendra), et celle qui voit s’affronter goules et hommes ne montrera rien d’autre que la folie humaine, celle qui habite les cœurs emplis de violence sans sens, et l’être déraisonné qui naît dans le sang.

 

photoL'image parle d'elle-même

 

JE M’APPELLE PERSONNE

Les goules menacent certes l’humanité, mais d’une part, elles en sont dépendantes pour survivre, et d’autre part, avant la transformation de Ken, certaines cherchaient déjà à vivre en paix avec les hommes. En réalité, cet affrontement montre bien une chose : le monstre n’est qu’une construction. Une construction consciente ou inconsciente peut-être, induite par autrui et subie parfois, embrassée avec allégresse aussi, le monstre n’en est pas moins construit par une culture et en réaction à autrui et ses mœurs trop différents.

C’est dans Tokyo Ghoul √A (la deuxième saison) que cette construction sera la plus explicite, alors que Ken, torturé à outrance par un sadique tout droit sorti d’un slasher en fin de première saison, sombrera un temps dans la folie la plus horrible. Il avait déjà pris le parti des goules, tout en étant incapable de se résoudre à perdre sa part d’humanité, il embrasse alors pleinement sa part monstrueuse, jusqu'à deviennir l’être craint par excellence : un cannibale parmi les goules. Déjà porté sur l’introspection et sur la quête d’identité, cette saison donne une nouvelle impulsion à l’anime, car ce qui reste de Ken après son passage par les enfers, ce n’est qu’un être aveugle, brisé. Un être d’une violence inouïe qui se nourrit de ses congénères et que plus rien n’arrête... 

 

photoOn a tous besoin d'un Jason

 

Sauf peut-être l’amnésie dans laquelle il est plongé dans la troisième saison. Après avoir fait accepter à son personnage sa part goule et l’avoir abandonné aux abysses de la violence, la série peut s’adonner sans complexe à l’une des choses qu’elle fait le mieux : se questionner sur ce que l’on est vraiment, en dessous des apparences, des masques portés en société. Vaut-il mieux se connaître et assumer le prix de la vérité ? Tout abandonner pour être véritablement soi ? Ou ne serait-il pas plus simple de se fondre dans les attentes du monde, sans chercher à se connaître vraiment ? Où se trouve l’identité finalement ? Est-elle dans un nom ? Dans le regard de l’autre ? Se terre-t-elle au fond de soi, cherchant toujours à s’exprimer quoiqu’il en coûte ?

Rarement une œuvre sera allée sonder aussi profondément cette question et pas seulement avec Ken. Beaucoup d’autres personnages passent par cette phase (parfois trop même), surtout avec toutes les expérimentations humaines et leurs dérives abordées dans la dernière saison. N’hésitant jamais à maltraiter, torturer, tuer ses personnages, la mort est partout, elle est donnée, elle est reçue, elle est surtout violente et parfois douce-amère, elle est meurtre et suicide. Elle prévaut sur tout.

Évidemment, elle est l’une des raisons de la perte de sens et de la quête de soi des personnages, mais en réalité, elle ne fait qu’amplifier une des questions existentielles : qui suis-je ? Qui suis-je, car je ne suis pas simplement ce que je mange ? Suis-je mes actes ? Mes pensées ? Mes frustrations et mes désirs ? Rien de cela et tout à la fois ? 

 

photoCachez-moi donc cet oeil que je ne saurais voir 

 

COLOSSE AUX PIEDS D’ARGILE

Ce qui reste après ces quatre saisons, ses innombrables questionnements et ses passages des hommes aux goules, c’est la violence inouïe de l’ensemble, son traitement si parfaitement original, toujours poétique, pourvu qu’il soit organique et dégoulinant. Tout en contraste aussi, gerbes de sang et trait déchaîné d’un côté, musiques mélancoliques et moments de suspension lyrique de l’autre.

Tokyo, comme beaucoup d’autres mégalopoles, est le théâtre parfait de l’aliénation humaine. Parfois même, quand sur les toits des buildings tokyoïtes brillent les lumières rouges de la ville, c’est à se demander si ce n’est pas elle qui renferme l’essence de ce qui déshumanise. Quel que soit le point de vue adopté, le combat ne semble jamais complètement légitime. Que les hommes tuent les goules par crainte, allons bon, mais qu’ils les massacrent comme il le fait, sans leur laisser voix au chapitre n’a aucun sens. Que les goules défendent leur espèce : rien de plus normal. Qu’elles fassent société pour rendre la monnaie de leur pièce aux hommes, pourquoi pas, mais déjà les raisons du combat s’éloignent.

 À mesure que les coups sont rendus, il semble qu’il n’y ait plus à combattre que les fantômes du passé. L’affrontement s’appauvrit, perd sa raison pour ne plus devenir qu’un prétexte à l’écrabouillage brut de l’autre. Tokyo deviendrait presque le champ de bataille d’une armée de petit Jason motivé par ses envies d’expérimentations médicales, la vengeance ou l’argent… tous perdus par le sang, celui-là même que les humains se refuseraient pourtant tant à verser.

 

photoEt le monstre fut

 

Après quatre saisons passées à rappeler aux spectateurs les pires périodes de l’histoire moderne et contemporaine, reste en bouche le doux goût de l’espoir face au cirque qu’est capable d’être l’humanité. Le seul véritable ennemi n’a jamais été ni la goule pour l’homme ni l’homme pour la goule, c’est la société. L’homme est un loup pour l’homme, le schéma est classique.

Gangrénée par des maux qui sonnent creux, la société pousse les hommes dans leurs retranchements, pour n’en tirer que le pire. Elle les rend sourds à leurs questionnements les plus importants, et alors apparaissent des monstres se laissant aller à toute leur bestialité. Au milieu de ça, le message d’espoir, c’est Ken Kaneki, le borgne qui change d’aspect physique tel un Docteur Jekyll et Mister Hyde hybride à mesure qu’il apprend à connaître ses différentes facettes et à être lui. L'un des rares hommes-goules à avoir fait la paix avec son ambivalence et sublimé ses capacités.

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commentaires
Kaneki
15/07/2022 à 13:11

C’est drôle de voir que la majorité des commentaires négatifs viennent de ceux qui n’ont vu que l’anime sans lire le manga.
Il est vrai que l’anime n’est pas le meilleur car l’animation ou l’histoire n’est pas exceptionnel; en revanche ce manga n’est pas un shonen et la psychologie dont il fait preuve est pour moi largement supérieur à celle de Death note. Les personnages du manga sont très travaillés et Kaneki est probablement un des perso avec le meilleur développement psychologique. Tokyo ghoul re se rapproche légèrement d’un shonen mais encore une fois dans le manga l’auteur laisse des indices prouvant que ça n’en est pas un.
La lecture est intéressante, les planches exceptionnelles et les personnages bien développés: Tokyo ghoul se place dans mon top 5 sans hésitation.

Bien
06/06/2021 à 02:35

Bien les commentaires supprimé lorsqu'on prend le temps de donner un avis des plus constructif et objectif possible ?

Tokyo goul
30/05/2021 à 11:34

Il y heura une saison 5 de Tokyo goul ?

Lorddesnano
28/05/2021 à 07:26

Bonne anime, mais largement surcoté, certe je veux bien que se soit l'anime d'une génération, mais de la a dire que c'est l'un voir le meilleur anime de ces 10 dernières années, ont a pas du voire les mêmes anime

Hasgarn
26/05/2021 à 15:33

Je me force un peu à regarder quand je lis cet article mais honnêtement, je suis loin d'être convaincu.

C’est au mieux le haut du panier du tout venant.

Mais ça s’arrête là.

Le haut de gamme pas trop vieux, ça reste Fullmetal Alchemist qui ne sacrifie jamais son histoire.
Et sans vouloir être un vieux con, je reste bien plus admiratif de Samurai Champloo, Cobra, Wolf’s Rain et Ghost In The Shell SAC.

Mes derniers coups de cœur sont très franchement supérieur, meme si très différent, à Tokyo Goul.

Enfin, ça reste une question de goût mais ce serait bien que EcranLarge traite de pépites moins shonen comme Super Cub ou même Fruit basket (série récente pour un manga qu’il l’est mois). Y’a pas que le shonen, dans la vie :p

Don Arty
26/05/2021 à 10:52

Les goûts et les couleurs ne se discutent pas mais d'un point de vue objectif cette œuvre animé comme manga est pleine de réflexion, unique et intense.
Gros point noir, la saison de TG:re se rapproche trop d'un Shonen à mon goût avec des power-up et une animation trop infantile et moins sombre que les premières.
Mais il faut noter que Ken Kaneki est l'un des protagonistes les plus charismatiques existant !
Réel coup de cœur pour Tokyo Ghoul.

Raupê Roden
26/05/2021 à 10:47

Un des meilleurs anime? il n'est même pas fidèle et ne représente qu'une petite partie du véritable potentiel de ce qu'est vraiment Tokyo ghoul. Le manga est un vrai chef d'oeuvre par rapport à l'anime

Socks
26/05/2021 à 09:17

Alors venant d'une fan, l'anime n'est pas si parfait. Manque de temps ou de budget, après la première saison l'histoire dévie du manga de façon drastique avant de tenter d'y revenir pour la troisième saisonmais mais laissant certains trous sans jamais vraiment les expliquer. Si vous voulez un chef d'œuvre, lisez le manga original, qui a une meilleure histoire.

Bof211
26/05/2021 à 08:36

Un des meilleurs anime des 10 dernières années? En meme voila la qualité des animes depuis 10 ans…. Reposons la questions: un des meilleurs animes depuis 25 ans? Non, clairement non, tokyo ghoul, mha, one punch man, demon slayer etc… sont vite consommés et vite digerés, ils sont probablement bien classés en comparaison de ce qui se fait depuis dix ans mais c’est loin d’etre un compliment

GTB
25/05/2021 à 23:57

J'ai tenté il y a peu. J'ai stoppé au bout de quelques épisodes. C'est au mieux sympatoche, mais clairement loin des meilleurs animes.

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