La Roue du Temps saison 2 : critique d'une saison qui roule sur Amazon

LA ROUE DU TEMPS ROULE SA BOSSE

La saison 1 était la partie d'initiation de notre Donjons & Dragons friqué. La saison 2 est celle du vrai jeu, celles où tous les joueurs ont troqué le carton contre le plastique pour leurs costumes et où chacun a intégré les 17 manuels de règles. Jette ta brouette de d20 jeune rôliste, et entre dans le monde de La Roue du Temps, où tout n'est plus que magie, arc et épées ! Rivières chantantes, tours féériques et landes désolées ! Narines retroussées, yeux écarquillés et sourcils froncés ! Plus de temps à perdre à réparer des chaises en bois, à l'aventure compagnons, partons vers l'horizon !

En avant mon fidèle canasson !

L'univers posé et la myriade de personnages introduits tant bien que mal, il est l'heure cette fois-ci de plonger dans l'histoire. Et une fois déroulé un premier épisode à mourir d'ennui, Amazon passe la deuxième et fait crisser sa Roue du Temps. Beaucoup plus proche d'une logique d'action que d'une logique d'exposition, cette saison embraye sur une intrigue plus directe, et avance donc à un rythme subséquemment beaucoup plus soutenu. La Roue du Temps a les mains libres, et elle entend bien nous montrer de quel bois elle se chauffe.

Pour cela, elle peut compter sur un nouvel atout de choix : son antagoniste, brièvement introduit dans le dernier épisode de la saison précédente. Ishamael est le parfait méchant shakespearien d'heroic fantasy, tout à la fois puissant, rusé, machiavélique, motivé n'importe comment, mais ambigu et nuancé. Incarné par le bien trop rare Fares Fares, qui met ses traits remarquables et son charisme ombrageux à contribution, Ishamael est la force motrice qui manquait pour faire tourner La Roue du Temps, celle qui apporte ce délicieux soupçon de poésie macabre à tout bon gros vilain qui se respecte. Le danger se rapproche, frappe fort. Les enjeux gonflent. Fini de jouer.

Fares Fares, à droite. Ouh qu'il est vilain.

PAR LE MARTEAU DE GRABTHARR

Fini de jouer, du moins, en quelque sorte. Car si cette deuxième saison bénéficie de nombreuses améliorations techniques, d'une écriture plus concentrée et des grands talents combinés de son ténébreux boss de fin et de son héroïne à la majesté froide campée toujours avec brio par Rosamund Pike, tout le reste baigne encore dans le kitsch merveilleux crétinisant. On dirait même que la série y nage la brasse coulée avec une sidérante obstination, un peu comme un enfant à qui on aurait retiré les brassards et qui mettrait un point d'honneur à aller dans l'eau en portant son enclume préférée sur le dos. Passe le bonjour à l'OceanGate quand tu le croiseras hein.

Ainsi donc, La Roue du Temps patauge toujours dans un univers visuel au goût plus que douteux. Ce n’est pas encore la cuirasse bikini, le pagne en peau de mammouth ou le slip Zardoz, mais tout de même. Malgré le grand soin artisanal apporté aux décors et costumes, riches en ornements, parfois on se demande si on n’a pas lancé par erreur le dernier Mortal Kombat.

On a dit faut que t'aies l'air méchant, pas l'air mignon

La Roue du Temps déborde tellement de pouvoirs farfelus, de pagodes, de dragons, de poses ridicules et d'armes loufoques que le doute est permis. Au moins, la soif de sang de la série n'est pas tarie. Mais on sourit de tout cela avec bienveillance. Que faire d'autre, sachant que tout cela est raccord avec les romans (dont la qualité littéraire est cependant fort discutable).

D'autant plus que cette fois-ci, la phase d'apprentissage de nos héros étant terminée, tout le monde se retrouve bardé de compétences toutes plus pétées les unes que les autres. C'est jouissif, mais c'est aussi impossible à prendre au sérieux. Imaginez sept Superman qui récitent les dialogues du Dungeon Siege d'Uwe Boll en plus d'avoir le slip par-dessus le pantalon. Dur à encaisser, surtout quand la totalité des endives fraiches qui composent le reste du casting se ferait recaler de la troupe de théâtre de l'école maternelle du coin, en repartant avec une gifle humiliante du petit Antoine, 4 ans, au passage. Et pourtant, il est tolérant, c'est un fan de Transformers.

ÊtrE oU ne PaS êtRe, teLLe eSt La quefTion sinUSoïdAle dE l'AnacHorète hyPocOndriaQue

Ô TEMPS, SUSPEND TON VOL

Mais comme Antoine, on adore jouer dans notre chambre en mettant Blind Guardian à fond. La question qui est donc posée à La Roue du Temps est la suivante : le pompiérisme de la série étant consubstantiel à la matière littéraire qu'elle adapte, choisira-t-elle de s'en libérer pour évoluer, ou demeurera-t-elle dans ce giron quitte à risquer que le public préfère retourner jouer à son excellent équivalent vidéoludique Baldur's Gate 3 ?

Certes, le côté complètement débridé de cette fantaisie est très fidèle aux livres, mais de même que les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures, se prêter au jeu du charme suranné d'une heroic fantasy archaïque ne pourra pas durer éternellement. Un roman n’est pas une image, et ce côté foufou compensé par l’imaginaire d'un lecteur de mots apparaît à un spectateur d'images dans une vérité beaucoup plus crue. La Roue du Temps est un terrain de jeu, mais il est normal de vouloir passer à Terraforming Mars après 150 parties de dames.

La sorcière bleue

De même, le risque encouru par La Roue du Temps est de rejoindre The Witcher: L'héritage du sang dans les poubelles du nanar fantastique, dont elle n'est séparée que par un fragile sortilège qui fait passer une cochonnerie à l'aspartame pour un bonbon sucré. En atteignant sa vitesse de croisière, La Roue du Temps montre aussi sa vraie nature, et quelque part elle pose les mêmes limites qu'un Marvel.

La série ne pourra pas compter à tout jamais sur l'alliance improbable d'un public qui met de la distance dans son appréciation en prenant la nostalgie comme excuse, et de la petite frange de spectateurs très TRÈS fans de collants. Heureusement cependant, il est encore largement temps pour La Roue du Temps de dépasser le stade de l'emphase ridicule, et pourquoi pas, d'écrire une histoire captivante sur la folie du pouvoir, sans délaisser au passage l'amusant bac à sable qu'elle vient de construire, et dans lequel on veut continuer de jouer. Mais si on bâtissait un vrai beau château de sable cette fois, au lieu de se contenter de faire des pâtés avec notre seau ?

La saison 2 de La Roue du Temps est disponible intégralement sur Amazon Prime Video depuis le 6 octobre 2023