Tapie : critique à qui on la fait pas sur Netflix

Marvin Montes | 13 septembre 2023
Marvin Montes | 13 septembre 2023

Une mini-série Tapie consacrée à 35 années de la vie de l'icône des affaires Françaises, présentée comme une fiction sans concessions ne négligeant jamais les zones d'ombre de sa figure centrale. Est-ce seulement possible ? Réponse sur Netflix avec la série de Tristan Séguéla et menée par Laurent Lafitte dans le rôle de Bernard Tapie.

Tapie roulant

Il n'est évidemment plus nécessaire de présenter Bernard Tapie. Tour à tour vendeur d'électroménagers, patron d'entreprises régionales puis d'Adidas, président de l'Olympique de Marseille et même ministre éphémère sous Mitterrand, l'homme d'affaires français aura tout connu, des ascensions fulgurantes aux déchéances à répétition. Malgré les côtés sombres entachant régulièrement son image, le businessman au franc-parler légendaire aura bénéficié, jusqu'à son décès en 2021, d'une aura toute particulière.

Symbole du prolétariat se hissant jusqu'au sommet du pouvoir, mu par une rage de réussir et un besoin de reconnaissance érigé en priorité, l'entrepreneur a tout bousculé sur son passage, des conventions à la carrière (et parfois même la vie) de milliers d'employés laissés sur le carreau pour permettre au patron de s'offrir une nouvelle virée vers le succès. Difficile d'imaginer une vie plus naturellement romanesque, et deux années après son décès, c'est du côté de Netflix que se présente la première fiction consacrée à Bernard Tapie.

 

Tapie : photo Laurent LafitteLa grandeur des petits débuts

 

Le projet avait de quoi intriguer, y compris après les premières images présentant un Laurent Lafitte qui ne semblait pas dénoter dans le rôle du boss, malgré quelques approximations capillaires un tantinet visibles. La grande question, comme souvent à l'annonce de ce type de propositions, résidait dans l'approche adoptée pour retranscrire une telle existence. Comment seulement effleurer une certaine authenticité, ou du moins une absence de décharge, au moment de s'intéresser à une figure si clivante ?

Divisée en sept épisodes d'environ une heure, la minisérie (qui se suffit donc à elle-même) est scénarisée par Olivier Demangel (crédité précédemment au scénario de 9 mois ferme ou encore Novembre) mais surtout créée sous l'impulsion de Tristan Séguéla. Le réalisateur, fils du publicitaire Jacques Séguéla (lui même grand ami de l'entrepreneur), n'a pas manqué de s'affirmer comme un admirateur de la figure Tapie durant la production de la série. Malgré une volonté d'objectivisme rebattue aux oreilles de tous, on ne va pas se mentir, ça pouvait réveiller quelques craintes.

 

Tapie : photoPasseport pour le soleil

 

Une vie de succès

Les premières images de la série sont limpides : incarcéré en 1997 à la suite d'une affaire de corruption sportive, Bernard Tapie fait son entrée en prison. Isolé dans sa cellule, l'ex-président de l'OM se remémore les grandes étapes de son parcours, qui commence à l'écran au moment de l'échec d'une carrière de chanteur pourtant prometteuse. La course à la célébrité, déjà. C'est donc une épopée en forme de bilan qui nous est proposée.

Chacun des sept épisodes de la série revient donc en effet sur un événement marquant de l'odyssée Tapie, en couvrant au final 35 années d'un rise and fall permanent, fait de moments de gloire aussi clinquants que les chutes sont abruptes. Une formule au premier abord plutôt intéressante, qui choisit de s'affranchir rapidement de la structure classique du récit biographique, pour se diriger vers un récit elliptique, relatant un enchainement de tranches de vie. Toute proportion gardée, nous pensons parfois au Steve Jobs de Danny Boyle, notamment au cours de l'épisode consacré à la première de l'émission de télé Réussite, probablement le plus réussi (ça ne s'invente pas).

 

Tapie : photo Laurent LafitteLe sommet ... 

 

De manière générale, nous pourrons constater d'emblée le soin apporté à une reconstitution d'époque convaincante, dans les différentes sphères fréquentées par le caméléon Tapie, en dépit d'une mise en scène finalement assez peu aventureuse. Surtout, le casting, Laurent Lafitte en tête, fait preuve sans trembler d'une implication de tous les instants. Extrêmement à l'aise dans le rôle de l'homme d'affaires controversé, l'ex-pensionnaire de la Comédie-Française donne tout, et même plus, allant jusqu'à devenir la seule véritable attraction de la série.

Car à mesure que l'intrigue avance et que les exactions du boss deviennent de plus en plus difficiles à dissimuler (sous le tapis, vous l'avez), on ne peut s'empêcher de constater le manque d'honnêteté du projet, qui se refuse systématiquement à nous entrainer vers les territoires les plus sombres de la galaxie Tapie. Alors que le grotesque prend finalement le pas sur la vérité, Lafitte surnage et parvient à rester crédible, y compris lorsque son personnage grossit à vue d'oeil, à l'image des lettres du générique, toujours plus imposantes au point de déborder du cadre.

 

Tapie : photo Laurent LafitteCarlos Ghosn energy

 

Tapie roue libre

Et finalement, la grande crainte, celle redoutée depuis l'annonce de l'existence de la minisérie, vient se matérialiser devant nos yeux assez peu surpris. Loin de nous l'idée de juger de l'intention d'origine, mais il est impossible de ne pas le mentionner : oui, Tapie sombre totalement dans les eaux de la complaisance et de l'iconisation à outrance. Admiration réelle ou peur du manque d'empathie générée par une figure publique chahutée ? Nous n'aurons pas la réponse, mais seulement le résultat.

Et le constat est aussi amer qu'implacable : à l'image de l'entrepreneur-boulet de canon, la série de Séguéla choisit de tout justifier sur son passage, en apportant un étrange contrepoint à chacune des exactions du patron. Tant pis pour l'authenticité, à l'image du carton qui ouvre chaque épisode en semblant s'excuser par avance de l'inexactitude de son contenu. Nous aurons donc droit pêle-mêle, à Bernard lâché par ses proches, Bernard abandonné par son gouvernement, Bernard le sauveur de la France à qui l'on a coupé l'herbe sous le pied et même, Bernard l'insoumis contre la très méchante CGT. Fiction ou réhabilitation ? On se pose toujours la question.

Tapie est disponible en exclusivité sur Netflix depuis le 13 septembre 2023.

 

Tapie : Affiche officielle

Résumé

Malgré une direction artistique réussie et l'implication sans faille de son interprète principal, Tapie bascule bien trop facilement dans les affres de la complaisance pour satisfaire qui que ce soit. Dommage.

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Lecteurs

(3.4)

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commentaires
Koolrevo
28/09/2023 à 13:28

Un bouquin de plus et superficiel sur Alien ne fait visiblement pas un bon critique de série.
Beaucoup trop de préjugés au départ. dommage aussi.

Extra-ordinaire
27/09/2023 à 00:29

J'ai bouffé cette mini série comme je l'avait fait pour Lupin, moi qui ne suis pas fan des séries sauf quand elles ont du coffre, de la tripe et que c'est bien joué.
Et là je ne comprends pas cette critique en creux qui sent assez mauvais l'idéologie politique à la place d'un regard cinématographique.
Car la prestation de L.Laffite ou de J.Jaby, autant que celle des comparses, est tout bonnement extraordinaire. On est complètement dedans à tel point qu'on a vraiment l'impression qu'on est dans la réalité. Et c'est si rare au cinéma, à la télévision, d'avoir des incarnations qui sont joués avec autant d'authenticité. Du très, très haut niveau.
Je ne juge pas la trame : c'est expliqué dès le début, faits marquants et fiction des dialogues ou passages pour faire le lien. Donc je ne me sens pas trahi sur la marchandise. Je ne trouve pas que le côté triste du personnage soit éludé, au contraire.
Mais quel jeu d'acteurs ! Rien que pour leur jeu qui traverse l'écran, la série vaut le détour. Et l'acteur qui joue le juge Mongolfier est grandiose. Je découvre une palette d'acteurs vraiment fantastiques. Joséphine Jaby apporte une épaisseur, une profondeur et une incarnation de son amour pour son homme avec une justesse et un jeu bluffant, c'est un des meilleurs jeu d'actrice que j'ai vu ces dernières années avec celui de Rebecca Ferguson.
Si on aime le cinéma, les acteurs et qu'on a envie de passer de bons moments, à la fois pour rire mais aussi pour être touchés, ça vaut très largement le détour, bien plus que de très nombreuses séries très très chiantes. Pour une série française en plus, on évite tous les défauts du ciné français, ses maladies chroniques que sont les longueurs, le pathos, les détails sans intérêt, le manque de rythme et les longues minutes psycho. Là bravo, ça va très bien de bout en bout. Même Mitterand dont le personnage réel est pénible à entendre et écouter vu son rythme légumineux, prend ici de l'épaisseur et de l'intérêt. L'acteur est brillant d'interprétation.
Quand à Laurent Lafitte, sa ressemblance est déjà étonnante, mais son interprétation tutoie les sommets de son art, tant le rôle de composition prend ici tout son sens et ses galons. Absolument brillant, d'autant que je ne connaissais pas cet acteur avant cette série.
Beaucoup de réalisateurs et d'acteurs déjà bien connus trouvent ici des maîtres, ce sera difficile pour leur égo, mais le talent ne ment pas.

Jmb
18/09/2023 à 20:31

Casting nul ( joueurs de foot, Mitterrand, Defferre, Tapie,) j ai eu du mal a reconnaître notre ancien président , et ancien maire de Marseille
Heureusement que j ai connu cette époque

ahmani ramdam
18/09/2023 à 19:33

A trop vouloir centrer la série sur l’homme tant privé que public (Tapie est dans presque tous les plans) ; à faire jouer le personnage par un Laffite formidable, on est bien davantage dans l’hagiographie que dans la critique de son action ou que dans la restitution d’une époque. En ce sens – eu égards à la réalité historique – cette série est malhonnête, voire nauséabonde.

S.
18/09/2023 à 12:59

J'ai trouvé la série bien écrite et très bien dans son déroulement. Laurent Laffite est très bon. Les autres acteurs aussi. Elle ne mérite clairement pas 2/5.
Pour une fois que Netflix propose une très bonne mini série française, c'est plutôt à soutenir qu'enfoncer...

Antoine
17/09/2023 à 18:03

Superbe série. LAFITTE est extraordinaire .
Tapie n’avait qu’un but sortir de la mêlée pour impressionner son père !
Bravo.

Jul
15/09/2023 à 20:56

Alors les mecs je ne sais pas ce qu'il vous faut ? Une production française et du travail bien fait, vous vouliez aussi la critique politique avec en plus ??? Elle est largement présente. Cette série est bien réalisée. Enfin une vrai narration qui colle au découpage des épisodes. Les décors, les costumes, la BO et le casting,... c'est quand même chouette. J'ai mon gamin qui ne connaissait le personnage et qui trouve ça très drôle. Il vous fallait quoi ?
Un peu pisse froid quand même chez Écran Large dès que ça devient société ou politique.

RobinDesBois
15/09/2023 à 16:41

J'ai terminé la série, j'ai beaucoup aimé dans l'ensemble. Le dernier épisode est extra. Laurent Laffite crève l'écran, il est plus Tapie que Tapie pendant le mariage c'est impressionnant. La confrontation avec le procureur est géniale, David Talbot est brillant de justesse dans ce rôle. Le deuxième meilleur rôle de la série (et Lucchini 3ème).

Flash
15/09/2023 à 14:35

@Ethan, il a été gagné sur le terrain.
Aucune raison de l’annuler.

Élyséeologie
15/09/2023 à 14:04

"Malgré une volonté d'objectivisme rebattue aux oreilles de tous, on ne va pas se mentir, ça pouvait réveiller quelques craintes."

D'objectivité plutôt.
L'objectivisme, c'est autre chose.

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