One Piece : critique qui n'embarque pas sur Netflix

we are on the cruise !

Quand la série One Piece en prises de vue réelles a été annoncée, le mauvais souvenir du Death Note d'Adam Wingard, du remake de Cowboy Bebop ou encore du Dragon Ball Evolution de James Wong était encore trop vif pour ne pas craindre le pire. Et la rédactrice de ces lignes faisait probablement partie des plus pessimistes et ulcérés par l'existence d'un projet aussi fumeux. En même temps, si de bonnes adaptations de manga en prises de vue réelles existent (Lady Snowblood, Baby Cart, Old Boy, Speed Racer), rares sont les nekketsu à sortir bonifiés de ce lifting. Alors avec une oeuvre aussi singulière, populaire et a priori inadaptable en live action que One Piece, le pari semblait aussi incongru que vain. 

Mais la présence du papa de One Piece, Eiichiro Oda, à la production exécutive avait de quoi rassurer un peu, tout comme les annonces de casting et les premiers visuels des bateaux pirates fabriqués pour l'occasion. De fait, comme Luffy avec son enthousiasme communicatif, Netflix a presque réussi à dissiper les doutes quant à la sincérité et l'amour derrière ce projet de plus en plus intrigant. Et maintenant qu'on a rattrapé les huit épisodes, il faut bien le reconnaître : oui, One Piece est une série fidèle à son matériau d'origine, qui souhaite autant s'ouvrir à un nouveau public que cajoler les fans de la première heure (le réarrangement musical du premier opening et le retour du casting vocal japonais pour preuves). 

Nakama 4 life

De la direction artistique qui reprend religieusement l'esthétique de l'oeuvre originale en passant par la distribution hyper investie (en particulier Iñaki Godoy dans la peau élastique de Luffy), tout a été fait avec sérieux, passion et sans économie d'effort. Évidemment, tout n'est pas transposé à la case près. Pour adapter efficacement la saga d'East Blue (qui représente 10 tomes et 45 épisodes de l'anime), il a fallu trouver un nouveau rythme de croisière et donc trahir par endroits le déroulé des événements.

Certaines situations ont été intelligemment remaniées et certains moments d'accalmie ou d'émotion ont été éclipsés faute de temps. La narration est donc plus concise, claire et efficace, même si cette accélération freine fatalement la complicité naissante de l'équipage et la montée en puissance de Luffy, soit deux dimensions qui devraient avoir plus de place dans une saison 2. Sur le travail d'adaptation seul, à quelques écueils inévitables près, One Piece est donc une réussite presque miraculeuse grâce à la volonté et l'attachement de ceux qui ont porté le projet. 

On lui dit ou pas que ça va être long ?

L'ENFER EST PAVÉ BONNES INTENTIONS 

Si One Piece a demandé un travail titanesque, ce n'est malheureusement pas une bonne série pour autant. Tout le paradoxe est là : la série tire sa sympathie et ses honneurs, mais aussi toutes ses faiblesses de sa fidélité et de son respect à l'oeuvre d'Oda. Trop occupée à décalquer soigneusement l'esthétique du manga et à singer une dynamique propre à l'animation, elle ne trouve jamais son identité et n'offre aucune plus-value à son médium.

Les dernières révélations en date dans le manga et l'anime l'ont un peu plus confirmé : One Piece, plus encore que d'autres titres du genre, est un univers parfaitement cartoonesque qui n'a de sens qu'en animation ou en dessins. Tout y est tellement immodéré et grandiloquent que la transposition de ces codes en live action est une impasse.

De fait, l'univers de Netflix est plus rationnel et raisonnable, car les personnages sont tous homogénéisés les uns par rapport aux autres. Exit les tailles démesurées, les torses de gorille, les sourcils en vrille et les nez allongés : le nouveau One Piece est à échelle humaine, bien que cette version assagie conserve une part d'excentricité, en particulier les looks insensés des personnages. Mais autant pour le public novice que pour les spectateurs aguerris, ce mélange est assez déconcertant, pour ne pas dire grotesque. 

Pas hâte de voir l'Elephant Gun...

Avec son mimétisme de cosplayer, la série tombe souvent dans le ridicule là où elle voudrait être épique, émouvante ou exaltante, les personnages étant vidés de la moitié de leur charisme et de leur attrait visuel. Il est par exemple difficile, sinon impossible, de considérer sérieusement le Vice-Amiral Garp lorsqu'il sermonne ses soldats affublé d'une sorte de chapka-chien sortie d'un rayon de la Foirefouille. Il en va de même pour le capitaine Nezumi avec ses oreilles et moustaches de souris ou les membres de l'équipage du Chat Noir avec leurs oreilles de chat et leurs griffes en plastique.

Cette standardisation affecte également le rapport de force entre les personnages et les capacités propres à chacun d'entre eux. Ainsi, Garp a la corpulence d'un homme lambda, loin de la posture imposante de son homologue sur papier, mais reste caractérisé comme un monstre de la nature qui peut balancer des boulets de canon à la main, sans grande crédibilité. L'univers perd donc en vraisemblance, mais aussi en cohérence, notamment quand apparaissent à l'écran les escargophones ou les Martins Facteurs, qui dans le manga et l'anime participent à la fantaisie de l'oeuvre, mais ne font ici que renforcer ce décalage ambiant.

Quelle prestance...

ALA-BASTA

L'autre limite évidente du One Piece de Netflix concerne les combats, qui là encore cherchent à rester dans le carcan du shonen, mais ressemblent immanquablement à de la parodie ou un jeu de rôles grandeur nature. Les combats ne cherchent pas à s'adapter aux limites physiques du casting, mais se contentent de mimer ceux de l'anime, bien que la comparaison ne joue absolument pas en leur faveur. Les quelques séquences d'action ne comptent que sur des travellings avant, le cabotinage des acteurs et des CGI malheureux pour retrouver une dynamique, une intensité et une puissance qu'elles n'auraient de toute façon jamais pu égaler. 

Ce qui était cool et épique devient ainsi absurde et fauché, voire embarrassant comme au moment de l'affrontement entre Zoro avec Mihawk, quand certains combats ne sont pas carrément mis sous le tapis. C'est surtout le cas pour celui entre Luffy et Arlong, le premier vrai ennemi du capitaine, qui se règle en quelques coups et n'a plus rien du long combat harassant censé éprouver et tester pour la première fois le capitaine des Mugiwara. Il est donc déroutant de voir la série atteindre aussi rapidement les limites de l'exercice, encore plus quand on sait que ce premier arc est le plus "sage" de l'oeuvre et que la suite, du moins celle qu'on connaît, pousse rapidement les curseurs en termes d'extravagance. 

Oubliez la vitesse, la puissance des coups, les étincelles sur les lames et le sang

L'adaptation et la recréation de Whiskey Peak, de Drum et d'Alabasta, et par extension l'introduction de Smoker, Chopper, Crocodile et Baroques Works, paraissent être des défis encore plus insurmontables. Et en anticipant un peu plus, on se demande bien à quoi pourront ressembler Brook, Franky ou les Yonko, sinon à une mauvaise hallucination, et comment seront représentés Skypeia, Ohara, L'Archipel des Sabaody, l'île des hommes poisson ou Dressrosa. Et surtout, si le but est bien de rester fidèle à la version imprimée, à combien s'élèveront les prochaines factures si, (comme estimé mais pas encore confirmé), celle de la première saison tourne déjà autour des 144 millions de dollars, soit environ 18 millions par épisode ?

Plus concrètement, jusqu'où la série pourra-t-elle aller sans rompre sa promesse de fidélité ou d'univers tangible ? Au final, si le résultat est bien meilleur qu'escompté, tout semble indiquer que le navire est déjà en train de couler et qu'à peine entamé, le voyage vers le One Piece se terminera probablement à la prochaine escale.

Les huit épisodes de One Piece sont disponibles sur Netflix